JMM: Lors de votre discours aux Assises de la mer à Marseille le 14 décembre, vous avez eu des propos vifs à l’égard des politiques français. Vous avez déclaré: « Le maritime, jusqu’à présent en tout cas, ne fait jamais partie des priorités, il est parfois écouté, mais il y a toujours – les tâches du gouvernement étant par nature multiples – de bonnes raisons de ne pas l’entendre. » Quelques jours plus tard, François Fillon a annoncé, dans cette même cité phocéenne, un plan de modernisation des ports autonomes. Cette réforme intervient-elle au bon moment ou est-ce trop tard?
Francis Vallat (F.V.): « C’est vrai que mes propos reflétaient notre déception. Mais ils étaient aussi ouverts. Ils en appelaient par exemple à l’action avant les municipales, à l’engagement personnel, à l’expérience et au langage courageux du secrétaire d’État aux transports, Dominique Bussereau.
Pour répondre à votre question, il n’est jamais trop tard pour bien faire. Ce plan intervient à un moment clé. L’ensemble des parties impliquées y réfléchit depuis de longs mois. Le conflit d’avril 2007 à Marseille en a démontré “l’ardente obligation”. Il fallait qu’on en sorte. D’autant que le fond du système actuel des ports autonomes date des années soixante même s’il faut saluer la “réforme Le Drian” (mais qui était partielle et qui est déjà ancienne). Le diagnostic a été bien exposé par le Premier ministre le 14 janvier. Par ailleurs, malgré le “boom” du commerce maritime, certains de nos ports ont baissé en valeur absolue (en tonnes en 2006) et quasiment tous perdent des parts de marché. Si le manque d’investissement est mis en cause, tant dans les ports que dans les connexions vers les hinterlands, les contre-performances proviennent aussi de l’organisation du travail. Or il s’agit de deux éléments sur lesquels les décideurs ont prise. Raison de plus pour agir maintenant. »
JMM: Le plan de modernisation est destiné à permettre aux ports français de retrouver une place dans la concurrence européenne. Pensez-vous que nous ayons brûlé toutes nos cartouches?
F.V.: « Les ports français ont de nombreux avantages objectifs sur la durée. Le siècle actuel sera avant tout maritime, la mondialisation est irréversible. Elle présente des risques, mais offre de nombreuses opportunités. Par exemple, la position géographique des ports français au bout de la péninsule Europe est un atout majeur à l’heure où l’hinterland va être tout le continent, jusque et y compris l’Europe centrale (d’autant que le Pas-de-Calais est proche du seuil de saturation de trafic pour des raisons de sécurité maritime et d’environnement). Une partie des flux de marchandises devra donc arriver en Europe via les ports français. À court terme, il y a urgence et je vous renvoie aux différents rapports qui circulent depuis quelques mois: le rapport Gressier, le rapport Pfister et aussi, bien sûr, le rapport collectif du Cluster maritime français (qui résulte d’échanges entre acteurs portuaires de toutes origines géographiques, professionnelles ou statutaires). Les recommandations de tous ces travaux vont toutes dans le même sens. Il y a donc une route qui s’impose pour que la réforme aide à amener nos établissements au premier plan européen. »
JMM: Ce plan porte aussi sur la gouvernance des ports. Dans le rapport du cluster sur les ports français (Contribution à la réflexion sur l’évolution des ports autonomes, juillet 2007) les membres de votre groupe de travail préconisent une évolution plutôt vers un modèle de « landlord port ». Le plan de modernisation de son côté prévoit une plus grande implication du privé. Pensez-vous que cette réforme réponde aux attentes exprimées lors du rapport du cluster?
F.V.: « C’est vrai qu’il semble bien y avoir rapprochement sur de nombreux points, comme la volonté d’ouverture et d’adaptation de la gouvernance. C’est vrai que l’implication plus complète et plus claire du privé pour le contrôle, la direction de la partie disons “commercialo-opérationnelle”, de l’activité portuaire doit absolument être au cœur du dispositif prévu par le gouvernement. C’est une chance et c’était une exigence résultant de tous les rapports précités. C’est vrai aussi que les investissements à réaliser sont tellement énormes que le public ne peut pas les assumer seul, ni le privé d’ailleurs. Il est clair que l’État doit rester présent et même accroître son action, y compris dans certains domaines économiques essentiels (comme les infrastructures). En fait, où que se porte le regard, le défi est de trouver enfin le bon équilibre entre public et privé. Il est évident par exemple que les ports doivent demeurer un service public ouvert et sûr pour tous les utilisateurs présents et potentiels. Le rôle de l’État est d’y veiller et de le garantir, de même qu’il est de conserver et exercer pleinement toutes ses prérogatives régaliennes d’une façon générale. Simultanément le privé a une légitimité différente, mais croissante (tout simplement car il prend des risques financiers et industriels énormes, sans lesquels la France n’aurait aucune chance). Légitimité qui doit être reconnue comme doivent être donnés aux opérateurs économiques portuaires les moyens de travailler dans des conditions normales comme chez nos grands voisins. En fait, le vrai risque serait de demeurer dans la confusion, chacun doit mieux faire ce qu’il sait faire le mieux. Un représentant de l’État peut ou doit certes demeurer aux commandes du port pour veiller à la sauvegarde de l’intérêt général et aux tâches régaliennes. Mais le rôle majeur du privé et de l’économique doit être plus et mieux organisé, libéré, et les transitions sociales doivent être réglées au mieux dans un contexte économiquement dynamisé. »
JMM: Le Cluster maritime français avance avec la publication de nombreux rapports et la mise en place de nombreux groupes de travail. Un fonds d’investissement doit en sortir. Quand sera-t-il ouvert?
F.V.: « Nous avons pris du retard (cinq mois!) en raison d’un calendrier surchargé de la Caisse des dépôts et de consignation qui a dû traiter en priorité de nombreux dossiers gouvernementaux. Mais le fonds va bien être lancé. En fait, nous attendons aussi (fin mars environ) car nous aurons une capacité financière bien supérieure. Et le gestionnaire étudie déjà des projets à financer! »
JMM: Les groupes de travail du Cluster ont remis des rapports. Quelles sont les prochaines actions de ces commissions?
F.V.: « Trois rapports, dont celui sur les ports autonomes et celui sur l’académie maritime, ont incontestablement “fait l’événement”. Certaines des commissions concernées continuent d’ailleurs leur travail sur le suivi des conséquences concrètes de “leur” rapport. En outre, nous avons quinze groupes de travail en place actuellement. Tous ne vont pas déboucher sur un rapport, mais tous se traduiront par des actions’ou s’arrêteront. Ainsi, en avril le cluster participera au premier salon privé sur l’emploi maritime, organisé par Clic and Sea. Toujours en avril le cluster, avec Aker et la Marine nationale, coorganise une journée à Saint-Nazaire dédiée aux métiers manuels de la construction navale et de la “Royale” (plus de 100 prescripteurs venant de toute la France, une frégate sera là…). Des groupes évoluent, d’autres – nouveaux – se constituent comme ceux sur l’attractivité de la France maritime, ou le financement des actions de sûreté, ou encore les simulateurs. En fait, on n’arrête pas, et nous savons que de vraies solidarités, concrètes, se créent entre les talents divers du monde maritime français. Et beaucoup le savent, pour s’en réjouir ou le redouter. Une “première” en France non?