Le vetting, source de responsabilités

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Il ressort des près de 300 pages du jugement rendu par le tribunal de grande instance (TGI) que la seule intervention de Total SA consistait dans le vetting de l’Erika, à savoir le contrôle du navire en vue de son acceptation pour l’affrètement.

Dans le cas de l’Erika, les contrôles avaient été menés le 21 novembre 1998 par un inspecteur mandaté par le service vetting de Total SA. L’inspecteur avait alors relevé plusieurs défauts et notait dans son rapport: « Ne peut être pris en time charter (Groupe secours et seulement 2 D.G) – 1 seule chaudière – pas de compresseur de secours; Acceptable à la limite en spot quand nous aurons vérifié que la pompe incendie est disponible à tout moment[et] que les méthodes d’élimination des eaux de cale Machine ont changé. »

Le service vetting ayant obtenu ultérieurement, d’une part, la communication d’un rapport du Rina « garantissant le bon état de la structure et des citernes du navire » et, d’autre part, le certificat ISM de la société Panship, gestionnaire du navire, ce service acceptait l’Erika le 24 novembre 1998 pour une durée d’un an. Le tribunal a estimé que Total SA aurait dû refuser d’accepter le navire dès le 24 novembre 1998. Qualifiée de « faute d’imprudence », l’acceptation aurait, selon le TGI, eu un rôle causal dans la survenance du naufrage. En effet, le tribunal a considéré qu’il existait dès cette date un certain nombre de facteurs « rédhibitoires » dont « l’âge du navire, …la discontinuité de sa gestion technique et de son entretien, … [le] mode d’affrètement habituellement choisi et … la nature du produit transporté ».

Une telle faute ne peut, cependant, être constitutive d’une infraction réprimée par la loi de 1983 qu’à la condition que son auteur ait exercé « en droit ou en fait, un pouvoir de contrôle ou de direction dans la gestion ou la marche du navire ».

En l’espèce, le tribunal a considéré que le vetting effectué par Total SA consistant, d’une part, dans la vérification que le navire remplissait les conditions de sécurité définies par elle-même et, d’autre part, dans l’obtention de l’assurance de la part du gérant technique que les remarques formulées seraient prises en compte, était constitutif de l’exercice de facto d’un pouvoir de contrôle.

Cependant, le vetting, pratiqué par toutes les grandes compagnies pétrolières depuis de nombreuses années, ne résulte d’aucune convention internationale, loi ou règlement. Il apparaît, dès lors, pour le moins contestable qu’un contrôle effectué de manière purement volontaire puisse être source de responsabilité pénale et ce d’autant plus lorsque le lien de causalité entre la faute qui aurait été commise et l’accident paraît incertain. À ce titre, on rappellera que le vetting s’ajoute aux divers contrôles, obligatoires, opérés sur les navires tant par les autorités du pavillon que les sociétés de classification voire aussi les États dans le cadre du Port State Control. Considérer, dès lors, que Total SA ne pouvait se prévaloir du fait que le navire disposait de l’ensemble de ses certificats au motif qu’il existait d’autres éléments « rédhibitoires » peut paraître critiquable.

Par ailleurs, dès lors que le tribunal a considéré que la corrosion généralisée de la structure du navire était « l’une des causes » du naufrage alors que le collège d’experts désigné par le tribunal de commerce de Dunkerque avait estimé que cette corrosion ne pouvait être décelée ni par les États du Port, ni par les différentes compagnies pétrolières, n’aurait-il pas dû, de ce seul fait, prononcer la relaxe de Total SA?

Si l’on retient que la faute d’imprudence reprochée à Total SA consiste à avoir accepté, plus d’un an avant le naufrage, un navire âgé, ayant connu une discontinuité de gestion, habituellement affrété sur le marché spot et devant servir au transport de fuel lourd, le tribunal n’aurait-il pas dû également retenir la responsabilité de l’affréteur, Total Transport Corporation? Le raisonnement du tribunal consistant à acquitter la filiale de Total SA au motif qu’il « existe un doute sur le lien causal » entre, d’une part, sa décision d’affréter le navire alors que l’acception du navire était arrivée à expiration et, d’autre part, le naufrage ne nous paraît guère convaincante.

Certains penseront que l’acquittement de Total Transport Corporation a permis au TGI d’éviter de trancher la question de la responsabilité civile de l’affréteur au plan international afin de se focaliser sur celle de la « poche profonde » de Total SA. Cette dernière, ayant été considérée comme n’agissant pas en tant que « préposé ou mandataire » de l’affréteur se trouvait hors du champ de la Convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (CLC 1969) telle qu’amendée par le Protocole de 1992 et pouvait, dès lors, être tenue pour responsable au plan civil.

À l’avenir, on peut penser que le vetting des navires par les compagnies pétrolières sera confié à une société juridiquement distincte de toutes les autres sociétés du groupe et ce dans l’objectif de circonscrire les risques. Par ailleurs, on peut également penser que les groupes mettront désormais en place des procédures en interne afin que la société de vetting puisse uniquement être considérée comme « préposé ou mandataire » de l’affréteur.

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