Une recrudescence des actes de piraterie en 2007

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JMM: L’International Maritime Bureau a rendu public son rapport annuel 2007 sur la piraterie. Quelles observations en tirez-vous?

Pottengal Mukundan: « Nous avons constaté une tendance à la baisse depuis quatre ans. Mais en 2007, pour la première fois, le nombre d’attaques a augmenté d’environ 10 %. Comme l’indiquent les chiffres, 18 navires ont été détournés, 292 navigants ont été pris en otages contre 239 l’année précédente. Il y a donc eu un hausse sensible de la violence. Les attaques avec des armes à feu ont augmenté de 35 %. Les principaux pays sensibles sont la Somalie et le Nigeria. La situation en Somalie est particulière, car il n’y a ni gouvernement, ni organisme pour faire respecter la loi. Les gangs disposent de l’appui des milices locales. C’est un problème très difficile à résoudre. La situation était particulièrement grotesque la première semaine d’août 2007, lorsque cinq navires ont été détournés. Ils se trouvaient presque bord à bord dans le port de Hobio pendant les négociations sur les rançons. Il n’y a aucun pays au monde où ce crime pourrait être commis aussi ouvertement et sans intervention des autorités à terre. »

JMM: Comment se déroule l’attaque type?

Pottengal Mukundan: « Les navires sont attaqués dans les eaux internationales à des centaines de milles de la côte somalienne. Les pirates attaquent à partir d’un navire mère, parfois un grand chalutier. Quand le navire ciblé se rapproche, ils embarquent sur un ou deux bateaux rapides et sont équipés d’armes automatiques ou même de lance-grenades. Ils commencent par tirer sur la passerelle et la zone vie. Leur objectif est d’effrayer l’équipage pour qu’il ralentisse le navire ou le mette en panne. Si le commandant le fait, le navire sera certainement pris à l’abordage et détourné. Seuls s’en sont tirés les navires qui ont accéléré et pris le large vers la mer d’Arabie, pour s’éloigner du navire pirate mère. Au bout d’une demi-heure, les bateaux rapides renoncent à l’attaque et font demi-tour. Si le navire marchand est détourné, les pirates prennent position sur la passerelle et dans la salle des machines. Ils enferment l’équipage et conduisent le navire vers la Somalie et jettent l’ancre à un mille ou deux de la côte, dans la zone des eaux territoriales des 12 milles. En conséquence, aucun bâtiment militaire ne viendra à l’aide du navire. Les négociations peuvent alors commencer. La seule réaction possible est l’assistance immédiate des bâtiments militaires (présents sur zone) de la coalition étrangère. Mais il y a des difficultés pratiques. Le bâtiment militaire doit en effet disposer d’une équipe d’intervention prête à embarquer sur le navire attaqué. Il faut aussi éviter toute escalade de la situation qui mettrait l’équipage en péril. »

JMM: Que se passe-t-il ensuite?

Pottengal Mukundan: « Que faire des pirates capturés? Ils ne peuvent rester à bord indéfiniment. Normalement, c’est à l’État du pavillon de les présenter à la justice. Mais cela n’arrive pas souvent. Nous avons connu un cas très intéressant en janvier 2006, quand un vraquier a été attaqué au large de la Somalie. Il est parvenu à échapper aux pirates et a prévenu notre centre de Kuala Lumpur. Nous avons transmis l’information au commandement de la coalition navale. Le bâtiment américain Winston-Churchill, qui se trouvait sur zone, a repéré le bateau pirate, l’a pisté toute la nuit et l’a arraisonné au matin. Or, il s’agissait d’un navire indien, capturé par des pirates somaliens qui avaient enfermé l’équipage dans la cale. Le Winston-Churchill a débarqué les pirates à Mombasa et le gouvernement kenyan a accepté d’entamer une procédure judiciaire à leur encontre qui a débouché sur des condamnations de sept ans de prison en novembre 2006. Or, les autorités kenyanes n’avaient pas l’obligation d’entamer une procédure judiciaire. Elles l’ont fait quand même, ce qui est très bien! Nous avons besoin d’un mécanisme, selon lequel certains pays voisins peuvent prendre la responsabilité de poursuivre des pirates en justice. On ne peut en effet les rapatrier en Somalie… où ils n’ont rien à craindre! »

JMM: La 6e Conférence sur la piraterie et la sûreté maritime s’est tenue à Kuala Lumpur en juin dernier. Il a été décidé d’ouvrir une ligne directe et permanente par téléphone ou e-mail, dénommée « maritime security hotline ». Est-elle utilisée et quels résultats en avez-vous déjà obtenus?

Pottengal Mukundan: « Elle est utilisée et nous recevons des appels. Nous l’avons ouverte parce qu’il y a beaucoup d’informations de valeur disponibles sur la sûreté de la part des gens sur place: les dockers sur les quais, les équipages des bords, le personnel des remorqueurs dans les ports etc. Nous leur donnons l’occasion de nous signaler, en toute discrétion, ce qui leur semble suspect. Nous avons pu ainsi transmettre des renseignements importants aux autorités compétentes pour qu’elles prennent les décisions nécessaires. »

JMM: L’IMB a-t-il d’autres projets?

Pottengal Mukundan: « Oui, mais rien n’est encore prêt à être rendu public. Nous parlons aux responsables concernés. Nous y travaillons. Par exemple, nous nous intéressons aux passagers clandestins et à l’immigration clandestine à bord des navires. C’est un vrai problème. Mais d’autres organismes s’en occupent, comme la Chambre internationale de l’armement et une division de l’Organisation maritime internationale. Nous essayons seulement de savoir comment nous pouvons les aider. »

JMM: Les pirates utilisent les moyens techniques les plus modernes, dont le GPS, et sont bien informés. Pensez-vous que beaucoup d’entre eux ont infiltré les services de police, douaniers et portuaires des pays côtiers? En d’autres termes, sont-ils en service pendant les heures de travail et hors-la-loi en dehors, comme ce fut le cas en Chine il y a quelques années?

Pottengal Mukundan: « Il y a longtemps, plus de dix ans! Nous parlons ici des pirates qui détournent des navires, pas des petits voleurs à la tire. Si ces gens veulent des informations sur les mouvements des navires ou la nature des marchandises à bord, ils peuvent les obtenir. Ce n’est pas difficile. Si vous travaillez dans le domaine maritime, vous pouvez le savoir dans les ports d’une façon ou d’une autre. Dans certains pays, des fonctionnaires sont directement impliqués dans les attaques. Selon certaines allégations, des petits fonctionnaires font partie de ces gangs. Mais, nous savons par expérience qu’aucun haut responsable de la police ou de la Marine n’est impliqué. Tous veulent faire disparaître la piraterie. S’ils disposent de preuves suffisantes dans certains pays, ils interviendront comme il se doit. Dans la lutte contre la piraterie, la chose la plus importante est, selon moi, que les commandants (des navires marchands menacés) continuent de signaler les attaques à l’IMB. C’est la première étape d’un processus, en vue d’une action à entreprendre. Nous entrons les informations dans une banque de données, nous informons les autorités des États (côtiers) et nous vérifions si elles sont intervenues. C’est un catalyseur pour inciter les organismes de sûreté à agir. Sans chiffres, sans statistiques, nous n’apportons pas de faits suffisants pour demander l’aide des autorités dans les cas où des fonctionnaires sont impliqués. Nous avons besoin d’information pour pouvoir réagir. »

JMM: Je voudrais revenir sur les condamnations prononcées par le tribunal kenyan. Est-ce un cas isolé ou d’autres pays adoptent-ils une attitude similaire? Pensez-vous que cela a un effet dissuasif durable sur la piraterie dans la région?

Pottengal Mukundan: « D’abord, c’est rare. Simplement parce que dans de nombreux pays, la police et les tribunaux n’exercent aucune juridiction sur les crimes commis dans d’autres pays. Mais, ça peut s’arranger. D’abord, parce que la piraterie est considérée comme un crime universel contre l’humanité. Pour tout pays désireux d’agir, il existe une base juridique pour exercer sa juridiction à l’encontre des pirates. Mais, cela soulève plusieurs difficultés. D’abord, le coût de la procédure judiciaire. Ensuite, il faut faire venir de l’étranger des témoins, pas toujours enclins à témoigner devant un tribunal d’un autre pays, comme les marins originaires de pays en développement qui ont peur des représailles contre leurs familles. Enfin, une fois les pirates reconnus coupables, les pouvoirs publics doivent les prendre en charge pendant tout le temps de la procédure… pour un crime qui n’a pas été commis chez eux! Il existe une convention dénommée SUA, (Suppression of Unlawful Acts), c’est-à-dire suppression des actes illégaux contre la sûreté de la navigation maritime. C’est une convention de l’OMI. Elle oblige les États côtiers des zones où ont été arrêtés les pirates à les juger selon leurs propres lois, s’ils ne les extradent pas vers l’État du pavillon. Nous aimerions voir les pays des zones de piraterie ratifier cette convention. Les pays qui l’ont ratifiée disposent ainsi d’une base juridique pour entamer une procédure judiciaire. Quand un gouvernement se donne les moyens de traiter la piraterie, les attaques diminuent. C’est ça la dissuasion! Nous ne pensons pas qu’une action de caractère privée soit la bonne. C’est à l’État de l’entreprendre. »

JMM: Pendant deux mois et jusqu’à la mi-janvier, un bâtiment militaire français a assuré la protection des navires du Programme alimentaire mondial des Nations unies en Somalie. Pensez-vous que la présence de Marines étrangères ait un effet dissuasif durable contre la piraterie en Somalie, au Nigeria, au Bangladesh et en Indonésie?

Pottengal Mukundan: « Une action ponctuelle est utile, mais il faut maintenir une pression constante sur les pirates. Ce sont des criminels qui cherchent à faire de l’argent, facilement et par des moyens illégaux. S’ils constatent que personne ne les observe, ils vont recommencer. Il faut un programme antipiraterie de longue durée en Somalie. Seules, les Marines militaires peuvent le réaliser et personne d’autre. Commençons par la Somalie. Elle n’a pas d’État. Les opérations des Marines étrangères sont absolument indispensables, sinon il n’y a aucune action contre la piraterie. Dans les autres pays se pose la question de la souveraineté. Les Marines du Nigeria, du Bangladesh et de l’Indonésie et leurs autorités politiques ne veulent pas voir les Marines étrangères faire respecter la loi dans leurs eaux territoriales. Aucun État ne l’autorisera, car c’est une atteinte à sa souveraineté! C’est le grand débat au sujet du détroit de Malacca depuis quelques années. Des Marines étrangères ont proposé de faire la police dans le détroit. La Malaisie et l’Indonésie ont constamment déclaré qu’elles ne les autoriseront pas. C’est la réalité, il faut vivre avec. Nous mettons la pression sur ces États pour qu’ils remplissent leurs obligations, à savoir fournir les moyens de réduire la piraterie ».

JMM: Pensez-vous que la piraterie devienne plus politique, en recourant au terrorisme comme l’attaque contre le pétrolier français Limbourg il y a quelques années?

Pottengal Mukundan: « Les pirates sont motivés par l’argent obtenu de façon illégale, des criminels financiers en quelque sorte. Les terroristes veulent atteindre des objectifs politiques et ne sont guère intéressés par des gains financiers. Au cours des quinze dernières années, nous avons constaté que les pirates ne s’impliquent pas dans le terrorisme. Ce n’est pas leur profil mental. Ils veulent faire de l’argent. Si le risque est trop grand, ils s’enfuient. Les terroristes sont des individus beaucoup plus déterminés pour des raisons différentes. Nous n’avons aucune information, selon laquelle un pirate « commercial » serait devenu un terroriste. De plus, les terroristes ne veulent pas de pirates chez eux, car ils les considèrent comme des criminels. Toutefois, il y a eu des groupes de terroristes qui ont recouru à la piraterie pour obtenir des fonds, comme le groupe Abou Sayef dans le sud des Philippines et un autre dans le delta du Niger. Mais ces actes restent criminels et non pas terroristes. En revanche, les « Tigres tamouls » (Sri Lanka) sont des terroristes qui veulent interrompre le trafic maritime. Le cas du Limbourg est tout à fait inhabituel. Je pense que les cibles maritimes ne sont pas les options prioritaires des terroristes pour des raisons pratiques. Les organismes chargés faire respecter la loi sont très au fait du terrorisme ».

Parcours

– 1976

Arrivée en Grande-Bretagne

– 1979

Licence d’études maritimes, option marine de commerce

– 1980

Brevet de capitaine de 1re classe

– 1981

Rejoint l’IMB en tant qu’enquêteur

– 1996

Devient directeur de l’IMB

L’International Maritime Bureau

L’International Maritime Bureau (IMB), créé en 1981 au sein de la Chambre de commerce international, est une organisation sans but lucratif destinée à lutter contre la criminalité et les malversations dans le domaine maritime. Il a le statut d’observateur à l’OMI.

« L’IMB fait partie du Commercial Crimes Services, pour qui nous faisons des recherches sur les fraudes à l’égard des banques et des compagnies d’assurances, moyennant rétribution, explique son directeur Pottengal Mukundan, une partie des fonds récoltés finance notre action contre la piraterie. Nous avons un bureau des contrefaçons et de la propriété intellectuelle. Le transport joue en effet un rôle important dans la contrefaçon. Les produits de contrefaçons sont fabriqués dans des pays à bas coût et transportés dans ceux à coûts élevés. » Son centre d’informations sur la piraterie, qui emploie 22 personnes à Londres et 6 à Kuala Lumpur, fonctionne 24 heures sur 24 et reçoit des contributions financières d’une vingtaine d’entreprises, de P & I Clubs et d’organismes dans le monde.

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