Cette réforme fait partie de celles « qui prendront des années à livrer leur plein effet sur la croissance ». Mais avant d’aborder les « décisions » simples, le rapport de la Commission pour la libération de la croissance française présente les 20 « décisions fondamentales » (DF) qui « illustrent la volonté d’ensemble du rapport »; décisions « organisées autour de huit ambitions ». Pour atteindre la deuxième ambition, « participer pleinement à la croissance mondiale et devenir champion de la nouvelle croissance », il faut « mettre en place des infrastructures nécessaires (ports, aéroports et place financière) et accroître l’offre et la qualité du logement social » (DF 6).
La cohérence entre la nécessité d’avoir des ports et les « secteurs d’avenir » pour lesquels il convient de « redonner à la France tous les moyens pour prendre une place de premier rang » n’est pas évidente. En effet, les secteurs d’avenir sont: « le numérique, la santé, les énergies renouvelables, le tourisme, la biotechnologie, la nanotechnologie et les neurosciences ». Autant de secteurs d’activités qui sont a priori peu consommateurs d’infrastructures portuaires, sauf peut-être le tourisme. Mais depuis le transfert des ports d’intérêt national aux collectivités territoriales, il y a tout lieu de penser que les ports de commerce de centre-ville pourraient rapidement se transformer en garage à bateaux de plaisance.
Toujours est-il que la décision 106 prévoit que « se doter de trois ports de taille européenne: Le Havre, Marseille et Nantes ». Cette décision est ainsi détaillée ci-après.
« Pas de forte croissance sans port puissant »
« Pas de forte croissance sans port puissant. Au cours de la dernière décennie, les modes de transport maritime ont connu une mutation majeure. Les vracs solides (minerais, charbon, céréales) et les vracs liquides (pétrole brut, produits raffinés, hydrocarbures gazeux, produits chimiques) sont toujours acheminés par des navires spécialisés. Les marchandises diverses sont en revanche de plus en plus transportées par conteneurs et les armateurs mettent en concurrence les grands ports européens au regard de différents critères.
La part de marché des ports maritimes français en Europe est passée de 20,5 % en 1989 à 17,5 % en 2004. Alors que le trafic de conteneurs a été multiplié par 3,2 depuis 1991 dans les autres ports européens, il n’a fait que doubler (2,2) en France. En 2005, Marseille et Le Havre sont classés respectivement aux 24e et 39e rangs des ports mondiaux en termes de volume du trafic. En 2005, pour la première fois depuis dix ans, le trafic de conteneurs au Havre a diminué de 3 %. La compétitivité du port du Havre est limitée par rapport à Rotterdam par un coût d’immobilisation du navire supérieur lié à la congestion du terminal, à la mauvaise organisation du travail, et à l’insuffisante productivité des opérations de déchargement et de manutention. Le port de Marseille affiche une croissance de 2 % alors qu’elle atteint 49 % pour l’ensemble des ports de l’Europe du Sud depuis le début des années 1990. Il a perdu plus du tiers de sa part de marché entre 1990 et 2005.
Le coût de la manutention à Marseille, supérieur d’un tiers à celui des deux ports méditerranéens de Gênes et Valence, et son poids dans le coût global (61 %) expliquent la totalité de la charge supplémentaire pesant sur l’armateur par rapport aux escales dans les ports concurrents.
En 2005, Le Havre et Marseille sont aux 36e et 70e rangs des ports à conteneurs dans le monde. Le projet “Port 2000” a pour ambition de renforcer la position du port du Havre dans le club restreint des très grands ports européens pour les marchandises conteneurisées.
Marseille-Fos dispose pourtant d’une situation nautique privilégiée: pas de marée, houle rarement forte, accessibilité rapide au port, météorologie favorable.Le Havre bénéficie aussi de conditions nautiques remarquables aux contraintes de dragage près: port maritime en eau profonde, l’entrée des plus grands porte-conteneurs de 14 m de tirant d’eau y est assurée 24 heures sur 24 en toute sécurité, et sans contrainte de franchissement d’écluse.
« Plusieurs priorités s’imposent »:
– Construire autour du Havre, de Marseille et de Nantes un réseau cohérent de transport multimodal permettant un traitement rapide des marchandises (zones de traitement massifiées, ferroutage, transport fluvial, pré et post-acheminement par des ports tiers). Se doter d’un schéma crédible et de long terme de mise à niveau des canaux en France.
– Regrouper les trois ports autonomes du Havre, de Rouen et de Paris autour d’un commandement unique, dont on aura compris qu’il devra être courageux: ces investissements dans les infrastructures n’auront d’effet que si, au préalable, la réforme des ports autonomes et l’unification du commandement de l’exploitation des terminaux ont été accomplies.
– Aider les ports autonomes à se concentrer sur leurs missions de capitainerie et d’aménagement de l’espace portuaire en les déchargeant d’activités commerciales qui pourront être transférées vers le privé.
– Distinguer mieux le conseil d’administration de chaque port autonome (dans lequel l’État doit pleinement assurer ses responsabilités) et un conseil portuaire consultatif où s’expriment les intérêts locaux.
– Unifier le commandement de l’exploitation en transférant au secteur privé la gestion des grues et des portiques, d’une façon adaptée aux besoins et à l’activité de chaque port, et avec des mesures d’accompagnement ».
Ne jamais prendre en compte les diverses demandes de transport, voilà la solution pour entamer de grandes réformes.