Plus répressive, la loi pénale française prévaut

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Si les principaux prévenus étaient en premier lieu accusé de mise en danger d’autrui, puis d’avoir été par imprudence et négligence caractérisées, à l’origine d’une pollution des eaux territoriales […] résultant d’un accident de mer provoqué par le capitaine, le TGI s’est tout d’abord intéressé au délit de pollution. Il note que plusieurs prévenus soutenaient que la loi no 83-583 était contraire aux conventions internationales ratifiées par la France, en particulier à la convention internationale Marpol.

Le TGI rappelle donc que Marpol interdit les rejets d’hydrocarbures en mer; les rejets étant définis comme tout déversement provenant d’un navire qu’elle qu’en soit la cause et comprenant tout écoulement, évacuation, épanchement, fuite, déchargement par pompage, émanation ou vidange. Elle traite peu des pollutions générées par des accidents de navires.

La loi française établit une distinction entre l’infraction de rejet illicite et celle de pollution consécutive a un accident, lui-même provoqué par une faute d’imprudence ou de négligence, souligne le TGI. Il conclut ainsi « dès lors, l’article 8 de la loi du 5 juillet 1983 prévoyant une incrimination différente de celles édictées en application de la convention Marpol, il ne peut être fait grief à la loi nationale d’être contraire à cette convention internationale, celle-ci et celle-là délimitant des champs distincts par la détermination qui leur est propre des comportements répréhensibles, des personnes punissables ou d’éventuels faits justificatifs ».

En outre, selon le TGI, la loi 83-583 est plus répressive que la convention Marpol car elle réprime une simple faute d’imprudence ayant eu pour conséquence un accident de mer au sens de la convention de Bruxelles du 29 novembre 1969, lequel accident est à l’origine d’une pollution. Toute personne physique exerçant un pouvoir de contrôle ou de direction dans la gestion ou la marche du navire est susceptible d’être visée par cette loi qui réprime l’imprudence, la négligence ou l’inobservation des lois et règlements. Il n’est pas nécessaire, ajoute le TGI, que cette faute soit la cause directe et immédiate de l’accident.

Application pratique

« […] Il est en conséquence établi de manière certaine que MM. Savarese (dont la société était le propriétaire de l’Erika) et Pollara (cadre supérieur du gestionnaire de navire exploitant le pétrolier) ont, de façon délibérée et concertée, pour des raisons de coût, décidé une diminution des travaux effectués à Bijela dans des proportions telles qu’ils ne pouvaient ignorer que cela mettait en jeu la sécurité du navire. Dès lors, ils ont, chacun, commis une faute caractérisée qui a exposé autrui à un risque d’une particulière gravité qu’ils n’ont pas pu ignorer et qui s’est réalisé les 11 et 12 décembre 1999. À l’origine de la persistance de la corrosion généralisée du navire, qui se situait là où s’étaient produits les dommages et avait contribué à sa ruine, leur faute a été l’une des causes du naufrage, et, comme telle, a provoqué l’accident de mer. »

En outre, « M. Savarese a commis une faute caractérisée qui a exposé autrui à un risque d’une particulière gravité en décidant de fréter de nouveau à temps l’Erika, le 14 septembre 1999, alors qu’il savait que les travaux de réparation de Bijela avaient été réduits dans des proportions telles qu’il ne pouvait ignorer que cela mettait en jeu la sécurité du navire ». […]

« En renouvelant le certificat de classe dans la précipitation, et comme M. Alga (inspecteur du Rina) l’avait lui-même précisé, sous la pression de contraintes commerciales, […] l’inspecteur de la société Rina a commis une faute d’imprudence. » Celle-ci s’est révélée être l’une des causes du naufrage, et comme telle, a provoqué l’accident de mer. « Imputable à un inspecteur qui avait le pouvoir de décider, seul, du renouvellement du certificat de classe […] sa faute est de nature à engager la responsabilité pénale de cette personne morale à raison de son activité de classification », conclut le TGI.

Concernant Total, le TGI estime que « si le navire avait été définitivement écarté, le 24 novembre 1998 » (à l’occasion de la visite de vetting dont le rapport concluait à l’impossibilité de prendre le navire en time chart), « il n’aurait pu être affrété un an et deux jours plus tard » par une filiale de Total « pour son dernier voyage. Cette imprudence a donc eu un rôle causal dans le naufrage, et comme telle, a provoqué l’accident de mer ».

Experts: leurs désaccords profitent au cdt Mathur

« Compte tenu du caractère très contradictoire des avis recueillis auprès d’experts ou de professionnels avertis, formulés à partir de diverses hypothèses que ne confirment pas suffisamment des éléments concrets susceptibles d’être vérifiés par la juridiction de jugement chargée d’en apprécier la valeur, il n’est pas possible de déterminer avec certitude le comportement qu’aurait dû adopter le commandant Mathur ou la personne, à terre, appelée à le conseiller, pour les manœuvres à bord et le choix de la meilleure route à suivre, d’en déduire que ces manœuvres ou décisions nautiques dont ils ont eu l’initiative ont été fautives, et, à les supposer fautives, de constater qu’elles ont joué un rôle causal lors du naufrage de l’Erika ».

Après avoir recherché s’il n’y avait pas eu d’autres fautes commises ailleurs ou par d’autres, le TGI en arrive à la conclusion que « seules les fautes qualifiées de M. Savarese et Pollara relatives aux travaux de Bijela, celle commise par M. Savarese lors de l’affrètement à temps de l’Erika, le 14 septembre 1999 ainsi que les imprudences imputables aux sociétés Rina et Total SA, concernant, respectivement, la visite annuelle de la société de classification à Augusta et l’acceptation de l’Erika par la compagnie pétrolière pour son affrètement au voyage, peuvent être retenues comme ayant provoqué l’accident de mer ».

Après avoir vérifié que les personnes ainsi mises en cause étaient bien punissables selon les termes de la loi, du fait de leur pouvoir de contrôle sur la gestion du navire, elles furent déclarées « coupables ».

Les dangers inattendus du vetting

Ce n’est pas la qualité d’affréteur d’une filiale de Total qui a entraîné la condamnation de la maison mère, c’est le système volontaire de vetting de cette dernière: « […] La société devenue Total SA a fait procéder à l’inspection du pétrolier sur la base d’un document comportant 14 rubriques et plusieurs centaines de questions […]. Ayant vérifié de façon aussi détaillée que l’Erika remplissait les conditions de sécurité qu’elle avait définies, puis obtenu l’assurance de la part du gérant technique que les remarques formulées lors de cette inspection seraient prises en compte, […] Total SA ne peut affirmer que, pour la gestion d’un navire accepté à l’affrètement au voyage dans ces circonstances, elle n’a pas disposé d’aucun pouvoir de contrôle, alors qu’elle l’a, de fait exercé. »

Compte tenu de l’importance de la pollution, il convient donc d’appliquer les peines maximales: 75 000 € pour les personnes physiques et 375 000 € pour les personnes morales.

Pas de mise en danger de la vie d’autrui, faute d’obligation précise

MM. Savarese, Pollara, Ponasso (un salarié du Rina), Mathur entre autres et le Rina étaient accusés de mise en danger d’autrui (risque immédiat de mort ou d’infirmité). Total et ses filiales ainsi que le directeur des transports maritimes, Bertrand Thouilin, de complicité. Après avoir démontré une nouvelle fois que la loi française était bien celle applicable, le TGI rappelait que le délit de mise en danger d’autrui suppose une condition préalable, à savoir l’existence d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement. Or les obligations de sécurité de la SOLAS et du code ISM sont rédigées en termes tellement généraux qu’« aucune des règles conventionnelles précitées n’édicte, à la charge des prévenus, une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement au sens de l’article 223-1 […] » écrit le TGI. La condition préalable n’existant pas, il n’y a ni délit, ni complicité.

Pas de délit d’abstention volontaire de combattre le sinistre

En une page, le sort des quatre fonctionnaires spécialisés dans l’Action de l’État en mer est heureusement réglé. Ces derniers se voyaient reprochés une abstention volontaire de mesures destinées à combattre un sinistre dangereux pour les personnes. « Le texte d’incrimination exige que les informations permettant d’avoir conscience de l’existence d’un sinistre aient été préalablement données, et réprime l’abstention volontaire de prendre des mesures en conséquence et non l’omission de rechercher ou de compléter ces informations. Celles, parfois contradictoires et toujours parcellaires, que les prévenus ont reçu avant le dernier message de détresse adressé au CROSS Etel et signalant le naufrage, ne leur ont pas permis d’avoir la connaissance de l’existence d’un sinistre au sens de l’article 223-7 du code pénal, quelle qu’aient été la nature de leur mission, de leurs compétences ou de leur légitimité respectives à intervenir les 11 et 12 décembre. »

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