Son port d’attache, c’est Nancy. Mais Claude Delmeiz, 44 ans, est avant tout citoyen de la voie d’eau. Ce marinier attachant parcourt inlassablement l’est et le nord de la France sur le Kiev, son 38 m Freycinet, en compagnie de sa maman, Micheline, 74 ans: « Quand on a passé toute sa vie sur une péniche, c’est dur de s’en séparer », remarque Claude avec tendresse.
Le marinier a profité d’un arrêt temporaire de la navigation sur le canal de la Marne au Rhin pour « faire tout ce qu’on n’a pas le temps de faire quand on se déplace ». Par exemple, reconstruire un toit de timonerie. Tous deux iront ensuite charger 257 t de carbonate de soude dans une usine de Meurthe-et-Moselle, « l’équivalent de dix camions », annonce Claude fièrement. Puis, le Kiev partira pour douze jours de voyage. Sa destination: les verreries d’Arc international à Arques (Pas-de-Calais).
Comme souvent dans la profession, chez les Delmeiz, on est batelier de père en fils. « C’est la cinquième génération », souligne Claude qui a démarré dans le métier à 14 ans. « Mon grand-père a toujours dit que son grand-père était batelier. » Claude n’avait que 17 ans quand il a pris la succession de son père, prématurément décédé. Il fait ainsi partie de la troisième génération à naviguer sur le Kiev: « C’est l’un des premiers 38 m reconstruits au titre des dommages de guerre. En effet, l’armée française avait fait sauter le bateau de mon grand-père pour qu’il ne tombe pas aux mains des Allemands! »
Claude invite à entrer dans la timonerie qui fait également office de cuisine et de salle à manger. Il se déchausse à l’extérieur pour ne pas salir les tapis qui couvrent le sol. Le marinier n’a pas quitté son bleu de travail: « Certains travaillent en costume, moi je mets encore la côte. » Cependant, Micheline Delmeiz remarque que « le métier s’est bien amélioré avec la technique. Moi j’ai connu la traction au tracteur. Il fallait enlever les câbles à chaque écluse ».
On est pressé d’interroger Claude sur sa vision de l’avenir: A-t-il déjà côtoyé de jeunes mariniers qui n’avaient pas de parents dans le métier? « Personnellement je n’en connais pas ». La crise des années quatre-vingt est passée par là: « Le nombre de mariniers a été divisé par dix, si bien qu’aujourd’hui nous ne sommes plus que 600 à 700. Nous avons eu un ministre SNCF, Monsieur Fiterman! Il était très pro fer et route. À partir de 1986, on a découpé énormément de bateaux. Nous nous sommes accrochés, mais certains bateliers avaient investi et ils avaient des enfants à nourrir… Aujourd’hui, c’est très difficile de faire revenir les gens dans la profession, car on ne forme pas un marinier du jour au lendemain. » Le batelier voit cependant poindre une lueur. « Je connais cinq jeunes qui ont eu l’instinct de reprendre le métier sur du Freycinet alors que leurs parents avaient arrêté. »
De Seine-Nord à Saône-Moselle
Sur terre ou sur l’eau, Claude Delmeiz ne se départit jamais de son bon sens de marinier. Il montre la couverture d’une revue consacrée au canal Seine-Nord Europe: « Ça fait une quarantaine d’années qu’on en parle et je n’y croirais pas tant que les travaux n’auront pas démarré. Ils parlent d’une ouverture en 2012-2013. Il ne faudrait pas oublier qu’on est déjà en 2008! »
Bien sûr, le transporteur a conscience de l’intérêt de relier les bassins du Rhône, de la Seine, du Nord et du Rhin entre eux. Il étale une carte des voies navigables françaises sur la table et présente les différentes hypothèses, dont le fameux projet Saône-Moselle: « On en parle pour 2025, mais ce sera une autre affaire que Seine-Nord, car le terrain est très vallonné. »
Selon Claude Delmeiz, pour développer le transport par voie d’eau, il faudra aussi construire du matériel neuf, restaurer les Freycinet ou passer aux grands gabarits: « Voies navigables de France doit aussi restaurer davantage de barges. On a pris beaucoup de retard face aux Belges, Hollandais et Allemands qui ont élargi des canaux. C’est vrai, ils ont aussi détruit du matériel, mais pour reconstruire du neuf. »
Claude poursuivrait bien la discussion, mais il n’a pas beaucoup de temps. Avant de charger, il doit encore s’arrêter à proximité d’un centre commercial, faire les courses pour le voyage. Une fois arrivé dans le Pas-de-Calais, le batelier appellera les deux sociétés d’affrètement avec lesquelles il travaille: « Je peux recharger de l’acier à Dunkerque, du gravier à Calais. S’il n’y a rien, je pourrai toujours charger des céréales en Champagne-Ardenne. » Quant à savoir s’il aime observer les paysages: « Quand on est transporteur, on n’a pas le temps de faire du tourisme! »
Parcours
– 44 ans
Âgé de 44 ans, Claude Delmeiz travaille aux côtés de Micheline (74 ans), sa mère.
– 14 ans
C’est l’âge auquel Claude Delmeiz a démarré dans le métier.
– Kiev
Claude Delmeiz représente la 3e génération à naviguer sur cette péniche de type « Freycinet ».