Au cours des années quatre-vingt-dix, les pays d’Amérique du Sud ont parié sur le renforcement de l’intégration énergétique. Le gaz naturel a été au cœur de cette stratégie grâce à la mise en place d’un réseau de gazoducs. L’Argentine est devenue le fournisseur quasi exclusif du Chili et sept gazoducs ont été construits pour approvisionner le pays voisin. La Bolivie, qui dispose des deuxièmes réserves de gaz d’Amérique du Sud, a approvisionné le Brésil, puis l’Argentine. L’arrivée au pouvoir d’Hugo Chavez a signifié une nouvelle étape avec la proposition de construire le "Gazoduc du Sud", une grande conduite nord-sud (8 000 km) destinée à livrer du gaz vénézuélien à plusieurs pays: Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay.
Cette stratégie a été profondément remise en cause au cours de la période récente. Faute d’investissements suffisants, l’offre de gaz argentin n’a pas permis de faire face à la fois à une demande intérieure en expansion en raison de la reprise de l’économie et aux engagements en matière d’exportation. En 2004, le gouvernement a commencé à réduire les livraisons au Chili. Depuis, celles-ci n’ont jamais dépassé 50 % des montants contractuels et ont même été complètement arrêtées à plusieurs reprises. En octobre 2007, leur montant était de 500 000 m3/jour seulement.
La nationalisation des hydrocarbures en Bolivie (1er mai 2006) a stoppé net les investissements des compagnies pétrolières étrangères ainsi que le projet de doublement de la capacité du gazoduc vers le Brésil (Gasbol). Le "Gazoduc du Sud" s’est avéré irréalisable en raison de problèmes techniques et d’un coût démesuré (20 milliards de dollars). Le Venezuela ne couvre même pas ses besoins en gaz et doit en importer de Colombie!
Peru LNG pour la liquéfaction
Ces problèmes d’approvisionnement ont conduit plusieurs pays à engager un changement de cap fondamental. Pour la première fois dans l’histoire de l’Amérique du sud, un choix a été fait en faveur de l’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) afin de faire face aux défaillances des pays voisins. Jusqu’ici l’Amérique du sud était restée à l’écart des grands flux d’export-import de GNL. Dans la zone qui va de la frontière sud des États-Unis à la Patagonie, seule Trinidad et Tobago a réussi à devenir un important producteur et exportateur de GNL avec 16,25 milliards de mètres cubes commercialisés en 2006, principalement aux États-Unis (10,85 milliards, soit 67 % du total).
En Amérique du sud, un seul pays, le Pérou, s’est lancé, pour l’instant, dans la construction d’un complexe de liquéfaction de gaz. Il s’agit du projet Peru LNG qui devrait être opérationnel en 2010. La capacité de production prévue est de 4,45 Mt par an, entièrement exportées. Le projet prévoit la création de deux unités de stockage et d’un terminal portuaire afin de permettre le chargement du GNL sur les méthaniers.
Le Venezuela envisage depuis plusieurs années de construire un complexe de liquéfaction, mais la concrétisation du projet demeure incertaine. Dans une première étape, la participation de sociétés étrangères avait été envisagée, mais celles-ci se sont retirées. L’entreprise pétrolière publique vénézuélienne PDVSA s’est alors tournée vers le brésilien Petrobras qui a étudié le projet avant de déclarer forfait. Les Vénézuéliens semblent vouloir maintenant se débrouiller tout seuls.
Le président Hugo Chavez, connu pour ses déclarations imprévisibles et fracassantes, a annoncé récemment qu’il renonçait à son projet de grand gazoduc. Mais il a proposé de livrer du GNL aux pays d’Amérique du Sud, notamment à l’Argentine et à l’Uruguay. Reste à savoir comment. Les experts pétroliers font remarquer que le Venezuela n’a pas d’expérience en matière de liquéfaction du gaz: PDVSA peut difficilement se lancer dans la construction d’un complexe sans l’appui d’une entreprise étrangère.
Sans attendre le Venezuela, plusieurs pays ont décidé de mettre en place des infrastructures de traitement du GNL importé. Les gouvernements d’Argentine et d’Uruguay viennent de signer un accord afin d’installer une unité de regazéification destinée à couvrir une partie des besoins des deux pays. La capacité du futur complexe, qui sera construit en Uruguay, devrait être de 10 Mm3m3/jour dans une première étape puis de 25 millions dans une deuxième étape. Le projet sera pris en charge par les entreprises pétrolières publiques des deux pays: Enarsa (Argentine) et Ancap (Uruguay). D’autres opérateurs étrangers, notamment privés, pourraient être associés à l’opération.
Le Brésil a décidé également d’importer du GNL pour faire face à la forte croissance de la demande intérieure et à l’impossibilité, du moins à court terme, d’augmenter les importations en provenance de Bolivie. Le recours aux importations s’accompagne d’une politique volontariste de développement de l’offre locale de gaz naturel, grâce à d’importants investissements offshore.
Premier complexe de regazéification au Chili
Afin de raccourcir les délais, la Petrobras a opté pour l’installation de deux terminaux flottants. Le premier, qui sera installé dans la baie de Guanabara, à Rio de Janeiro, devrait être opérationnel à la mi-2008 avec une capacité de 14 Mm3/jour. Le deuxième, prévu dans l’état de Ceara, devrait apporter 6 Mm3/jour en 2009. En septembre 2007, Petrobras a signé un accord de fourniture de GNL avec Suez Global LNG. D’autres terminaux pourraient être installés ultérieurement sur les côtes brésiliennes.
Mais c’est au Chili que sera inauguré le premier complexe de regazéification d’Amérique du Sud, dans la baie de Quintero située dans la partie centrale du pays. Il s’agit d’un projet privé puisque la société GNL Quintero, chargée de la construction et de l’exploitation du complexe, a comme principaux actionnaires BG Group (40 %), Endesa (20 %) et Metrogas (20 %).
L’entreprise pétrolière publique chilienne ENAP détient les 20 % restants. Les travaux ont commencé en 2006 et l’objectif est de démarrer la production en 2009.
Le projet prévoit la construction d’un terminal portuaire spécifique de 1 600 m de long et de deux réservoirs de stockage d’une capacité de 160 000 m3 chacun. La capacité de production sera de 10 Mm3/jour et l’investissement total est évalué à 940 M$.
Au début du mois d’octobre 2007, Suez Energy International a annoncé le lancement d’un deuxième complexe à Mejillones dans le nord du Chili. Il s’agit d’une coentreprise à 50-50 avec l’entreprise minière d’État Codelco, premier producteur mondial de cuivre. Dans une première étape, un terminal portuaire sera construit avec une usine de regazéification, mais le stockage sera réalisé à bord d’un navire accosté à quai en permanence (capacité: 135 000 m3). La capacité de production sera de 5,5 Mm3/jour. Dans une deuxième étape, la construction d’une unité de stockage à terre d’une capacité de 160 000 m3 est prévue.
D’ici 2010, l’Amérique du Sud deviendra donc un importateur significatif de GNL et d’autres projets additionnels pourraient voir le jour. Le GNL présente en effet une série d’avantages non négligeables par rapport au système traditionnel d’approvisionnement par gazoduc: possibilité de stockage, meilleur contrôle des flux, réduction de la dépendance par rapport à des fournisseurs instables (Bolivie, Venezuela) et moindre risque d’attaque terroriste ou de sabotage. La contrepartie est un coût plus élevé du GNL importé par rapport au gaz livré par gazoduc, de l’ordre de 50 % selon les premières indications disponibles. Mais les pays d’Amérique du Sud sont prêts à payer le prix d’une sécurité accrue.