Les limites du système

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Selon les chiffres publiés par le mensuel britannique Containerisation International, les taux de fret sur la route reliant l’Europe et l’Asie continuent de progresser. Dans le sens Asie/Europe, ils n’ont cessé d’augmenter passant d’environ 1 400 $ par EVP en juillet 2006 à environ 1 700 $ un an plus tard. Mais cette courbe ascendante prend le pas sur une période de plus de 18 mois de baisse. En effet, au dernier trimestre 2004, le conteneur 20’ se négociait sur cette route aux environs de 1 850 $.

En sortie d’Asie, les volumes existent et la demande tire donc les taux vers le haut. En sens inverse, d’Europe vers l’Asie, la situation est diamétralement opposée. Les volumes sont réduits et les taux souffrent. Selon Containerisation International, sur les cinq dernières années, les taux de fret se stabilisent aux alentours de 800 $ par EVP. Les variations sont faibles. Une tendance qui s’explique par le peu de réactivité des marchés européens à s’imposer en Asie.

Toujours plus de produits manufacturés à l’import

Ces taux sont le reflet d’une économie entre les deux continents qui semble maintenant se figer. Depuis l’entrée de la Chine dans l’OMC (Organisation mondiale du commerce), celle-ci s’impose comme un partenaire privilégié des grandes économies de l’Occident. En 2006, les importations des 25 pays de l’Union européenne avec ceux de l’Asem (voir encadré) se sont élevées à 384,7 Md€, en hausse de 14,2 %. Les importations de l’UE proviennent pour 28,5 % des 13 États asiatiques adhérants à l’Asem. Sur les trois premiers mois de 2007, cette tendance se confirme puisque ce chiffre s’établit à 30,33 %. En sortie d’Europe, les marchandises destinées à l’Asie atteignent à peine la moitié du volume précédent avec 179,2 Md€, soit 15,3 % des exportations européennes.

À l’export, l’Union européenne expédie principalement des engins et machines outils. Ce poste représente 64 Md€, soit 35,8 % des exportations européennes vers ces pays. La position forte de l’Allemagne dans ce secteur y joue un rôle important. À côté de ces produits manufacturés, on retrouve également des produits chimiques et des produits pour l’industrie automobile. Mais dans le même temps, la part des produits agricoles dans les relations commerciales avec l’Asie semble se tasser. Au cours des trois dernières années, leur valeur est passée de 6,7 % à 5,6 %.

À l’inverse, les pays d’Asie expédient principalement des produits manufacturés vers l’Union européenne. Ils entrent, en valeur, pour 93 % des importations européennes en provenance des pays d’Asie. Un trafic qui se structure donc principalement autour de la conteneurisation.

Les armements soutiennent la route Europe/Asie

À regarder les derniers rapports intérimaires des armements, les relations commerciales de l’Asie tendent à se consolider sur le segment avec l’Europe contrairement à ce qui se passe avec les États-Unis. La preuve tient principalement aux dernières annonces faites sur les services. La New World Alliance, regroupant APL, Hyundai Merchant Marine (HMM) et Mitsui O.S.K. Lines (MOL), a annoncé un renforcement de la capacité des navires sur le lien Europe/Asie. À l’inverse, les services transpacifiques de cette alliance ont décidé de réduire le nombre de navire. Les rapports intérimaires d’armement confirment cette tendance. Pour Mitsui OSK Lines, la hausse des demandes de transport a permis de voir les taux de fret augmenter. Cette situation est étayée par les résultats des neufs premiers mois de l’année fiscale pour l’armement Hyundai. La progression des volumes transportés s’établit à 26,5 %, à 411 400 EVP. APL, armement appartenant au groupe NOL, corrobore ce nouvel élan. Les volumes gagnent 3 % à 622 000 EVP, sur les neufs premiers mois de l’année. Et les taux de fret sur l’Asie confirment cette orientation. Ils affichent une hausse de 10 % à 2 730 $ par conteneur de 40’.

Saturation des ports en Europe du Nord

La situation économique des relations avec l’Asie ne va pas sans problème. La croissance exponentielle des trafics de l’Asie se reporte sur les trafics portuaires. À voir d’un côté positif, l’augmentation des trafics conteneurisés de l’Asie profite largement aux ports qui voient leur trafic augmenter et donc leurs volumes d’affaire. Le côté obscur de cette relation tient à la congestion. En juin, les grands ports d’Europe du Nord se sont inquiétés de cette situation. Hambourg, Rotterdam, Felixstowe et Southampton ont dû refuser des navires, selon une dépêche de l’agence de presse Reuters, en raison d’un manque d’espace. Cette problématique de la congestion portuaire se reporte sur les dessertes terrestres et notamment les opérateurs fluviaux qui peuvent difficilement sortir les conteneurs des ports. Ainsi, au début du mois de juin, les temps d’attente des armements fluviaux dans les ports pouvaient atteindre deux jours. La solution serait alors à trouver dans l’augmentation des capacités portuaires en Europe.

"Le futur n’est pas réjouissant pour les terminaux conteneurisés d’Europe du nord", explique Johan Blinde, directeur des opérations de Hanjin Shipping à Rotterdam. Selon une étude du Clecat, association regroupant les sociétés de transport et de logistique en Europe, les trafics conteneurisés avec l’Asie ont progressé de 7,8 % alors que la capacité portuaire, dans le même temps, n’a augmenté que de 4,2 %. Si la hausse des volumes joue un rôle particulièrement important dans le flux des marchandises, les retards fréquents des navires ne sont pas étranger au problème. 73 % des navires arrivent en retard dans les ports tant européens qu’asiatiques, selon une étude de Drewry Shipping Consultant contre 45 % l’an passé. Du côté des opérateurs de terminaux, l’attitude est tout aussi fataliste."Les trafics avec l’Extrême-Orient sont en pleine croissance. Nous avons tellement de volumes à traiter que parfois nous enregistrons des retards significatifs", explique Jan Westerhoud, président d’ECT, manutentionnaire de Rotterdam. La solution serait de développer les capacités portuaires mais sur la rangée Le Havre/Hambourg, les projets bourgeonnent mais prennent du temps à fleurir.

Des terminaux qui sortent plus vite de terre… en Asie

Après l’ouverture d’un nouveau terminal à Anvers en 2005, le Deurganckdok, puis de Port 2000 pour les premiers postes à quai au Havre, la Maasvlakte 2 et les projets de Hambourg sont confrontés à des délais, précaution écologique oblige. À l’autre bout de la chaîne, en Chine notamment, les ports grossissent plus rapidement. Les nouveaux terminaux de Shanghai, de Ningbo et de Hong Kong permettent d’alimenter encore plus rapidement les routes maritimes. Les armateurs sont dépités. "C’est trop tard", s’inquiétait Johan Blinde en juin."Depuis le temps que les ports parlent d’expansion et que nous ne voyons rien arriver", continuait un responsable des agences de China Shipping en Europe. Cette congestion des ports européens a donc obligé les armements à revoir une partie de leur stratégie. Certes les grands établissements demeurent un lieu incontournable de transbordement mais les ports de taille plus modestes prennent une part du gâteau. Pour faire face à la congestion des ports britanniques, Mærsk Line a pris pied à Dunkerque et expédie les marchandises pour le marché britannique par camions via les services rouliers de Norfolk Line. D’autres misent sur Zeebrugge, voir dans des ports polonais comme Gdansk qui vont voir leur trafic exploser dans les prochaines années, selon certains analystes. Quant à imaginer que la congestion portuaire liée au boom des produits asiatiques puisse se reporter sur les ports de Méditerranée, la solution serait envisagée par certains. Du côté des armements, les nouveaux services sont très largement concentrés depuis l’Europe méridionale.

La fin des délocalisations?

La situation paraît donc inéluctablement se diriger vers une implosion. Deux éléments tempèrent ces pronostics alarmistes. D’une part, la mise en place régulière de trains complets entre le centre de la Chine vers l’Europe va permettre d’absorber une partie, certes infime, des trafics entre les deux continents. Ensuite, il semblerait qu’une nouvelle ère s’ouvre. Cet été, la société Mattel a retourné une partie des jouets reçus pour les fêtes de Noël. Leur non-conformité par rapport aux exigences techniques a démontré les limites des productions pouvant être délocalisés en Asie. En France, la société qui commercialise "Aquaperles" a aussi dû renvoyer à l’expéditeur tous les produits pour des raisons de sécurité. Ces retours sont peut-être, selon certains analystes, les prémices d’un renversement de situation. Une partie des productions qui ont été délocalisées en Chine ou d’une manière générale en Asie pourrait revenir en Europe pour mieux contrôler les processus de fabrication. De plus, avec l’augmentation des taux de fret en sortie d’Asie, les bénéfices de ces délocalisations tendent à s’effacer. Avec la congestion portuaire s’ajoutant en inconvénient, et un retour probable d’une partie des industries parties s’exiler en Extrême-Orient redeviendrait économiquement rentable à revenir en Europe, coût de main d’œuvre compris.

Mais ces éléments n’en sont qu’à leur début et ne doivent en aucune manière être perçues comme l’inversion d’une tendance. En attendant, la rentabilité des services Europe/Asie conserve encore de beaux jours devant elle.

L’Asem en bref

Le Dialogue Asie-Europe ou Asem (Asia-Europe Meeting) a été créé en 1996 au sommet de Bangkok pour favoriser le dialogue entre les deux continents. Ce forum interrégional regroupe:

– les 27 États membres de l’Union européenne;

– la commission européenne;

– les 10 États membres de l’Association des pays du Sud-est asiatique (le Brunei, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande, le Vietnam, le Cambodge, La Birmanie et le Laos);

– la République populaire de Chine;

– la République de Corée;

– le Japon.

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