Nous ne souhaitons nullement engager la moindre polémique avec M. Grosdidier de Matons, mais nous avons le devoir de signaler les inexactitudes de certains éléments sur lesquels il fonde ses critiques – inexactitudes certainement dues à un défaut de mise à jour de son information ou une incompréhension des réformes que nous jugeons devoir être apportées au système portuaire actuel.
Concernant les inexactitudes, le prélèvement de 50 % de l’excédent d’exploitation a été abrogé par le législateur en 2005. Il est tout aussi inexact d’affirmer que nous considérons "comme services publics toutes les activités des opérateurs portuaires": à plusieurs reprises nos articles le démontrent clairement.
L’auteur de la tribune se contredit en saluant le changement de statut d’Aéroports de Paris, en oubliant que la loi qui l’a déterminé a, en même temps, prononcé le déclassement du domaine public. Comment dès lors les ports qui auraient un statut comparable à celui d’ADP pourraient-ils assurer "le seul service public portuaire incontestable… dû par l’établissement public à ses usagers… de prestations irréprochables et au meilleur prix sur un domaine public, propriété collective sur laquelle tous ont, de par la loi un droit d’exploiter". Contrairement à ce qu’affirme la tribune, n’est-ce pas la finalité d’un des moyens que nous avons explicitement affirmés dans tous nos articles?
S’agissant de la notion d’autorité portuaire dont M. Grosdidier de Matons présente l’expression comme relevant de notre seule imagination, il devrait se reporter à l’article L 302-5 du Code des ports maritimes dans sa rédaction issue de l’Ordonnance du 2 août 2005.
En outre, contrairement à ce que l’intéressé affirme, la très large majorité des autorités portuaires en Europe et dans le monde sont des personnes de droit public.
UNE RÉFORME POUR L’ENSEMBLE DU SYSTÈME PORTUAIRE
En fait, il apparaît que l’auteur de la tribune n’a certainement pas fait une lecture attentive de notre article lorsqu’il nous attribue l’idée qu’il faudrait donner plus de pouvoir aux ports autonomes "dans un cadre institutionnel immuable". Nous avons, au contraire, clairement affirmé, et réaffirmé, la nécessité d’une réforme concernant l’ensemble du système portuaire français (y compris ce qui concerne l’autorité portuaire), en la justifiant pour éviter les inconvénients de l’actuel régime, mais aussi en soulignant les risques que comporterait l’adoption d’un régime fondamentalement différent pour l’autorité portuaire, en fait conçu pour des entreprises qui exercent des activités à caractère industriel et commercial – et non des actes de puissance publique.
Comment ferait-on comprendre aux personnels des ports gérés par une entité de droit privé que la vocation essentielle des ports est d’accomplir des missions de service public pour l’essentiel d’ordre administratif? Il est maintenant unanimement reconnu que les activités économiques doivent relever de "professionnels" du secteur privé, lesquels sont mieux adaptés, au regard des situations planétaires, à les exercer.
Un nouveau régime juridique de l’autorité portuaire suffirait-il à changer certains comportements? Pourrait-on balayer d’un revers de main l’actuelle convention collective, à supposer qu’elle soit anormalement avantageuse? Celle-ci n’est pas plus "douillette" que celle de nombreuses entreprises privées! et n’a pas impliqué les comportements malheureusement constatés dans le port phocéen en 2006.
Pourrait-on durablement éviter le risque que la propriété du capital d’un port doté d’un statut d’entreprise de droit commun (même aménagé) puisse tôt ou tard passer à des personnes dont la pré-occupation ne serait pas – par nature ou intérêt – l’accomplissement de la mission de service public? L’auteur de la tribune ignore-t-il la tentative de rachat des concessions portuaires américaines par une entreprise implantée dans le golfe Persique?
Nous rappelons donc – pour éviter toute mauvaise interprétation de notre position – nos convictions exprimées antérieurement dans tous nos écrits.
Les autorités portuaires doivent conserver leur caractère de personnes de droit public et recentrer leurs activités sur l’accomplissement des actes de puissance publique.
Les activités économiques doivent être confiées à des professionnels dont elles sont les métiers: l’autorité portuaire ne doit en exercer qu’en cas de défaillance ou d’insuffisance du secteur privé.
Ce principe doit être clairement affiché comme constituant une ligne directrice impérative, mais sa mise en œuvre doit intervenir avec la double pré-occupation de la continuité du service public dû aux usagers et celle des légitimes intérêts des personnels de l’autorité portuaire, donc, dans des conditions prenant en compte la situation de chaque port et les opportunités à saisir au bon moment. Il faut, en effet, trouver les candidats à la reprise des activités économiques, être assuré de leur compétence, et éviter la création de monopoles privés qui ne seraient pas forcément favorables à la compétitivité du port.
Il faut également prendre en compte le fait que les prestations de l’autorité portuaire ne représentent qu’une part limitée du coût de passage de la marchandise par le port (moins de 10 % pour les marchandises diverses, moins de 20 % pour les pondéreux solides en vrac): l’essentiel du coût de passage – élément principal du choix d’un port par le chargeur – est constitué par les prestations des opérateurs pour le navire et la marchandise.
LA MANUTENTION, UNE PRIORITÉ DANS LA RÉFORME
Si l’intervention de l’autorité portuaire pour l’accueil d’un trafic par un port est souvent une condition nécessaire (par exemple pour ce qui est de la réalisation des infrastructures indispensables), elle n’en est jamais la condition suffisante. Ainsi que nous l’avons affirmé à plusieurs reprises, l’intervention des opérateurs est à cet égard déterminante pour la décision des chargeurs et des armateurs de lignes régulières qui, avec les passagers, sont les véritables "usagers" d’un port.
À cet égard, la manutention constitue toujours plus de la moitié du coût de passage portuaire, c’est elle qui doit donc avoir la priorité
• que le professionnel chargé de l’accomplir doit assurer l’entière responsabilité vis-à-vis de son client, et pour cela doit avoir autorité sur la totalité du personnel qui participe à la manutention (dont les conducteurs d’engins);
• que ce professionnel doit disposer du matériel performant et de la plus grande compétence concernant l’exécution de sa prestation pour que son intervention réponde pleinement aux attentes de ses clients, et contribue ainsi à la compétitivité du port.
L’exercice à titre subsidiaire, comme nous l’avons vu plus haut, d’activités économiques par l’autorité portuaire, doit également être performant pour répondre aux attentes légitimes des usagers.
La possibilité pour l’autorité portuaire de créer des filiales d’économie mixte doit apporter une complémentarité à sa mission régalienne, et faciliter ensuite le transfert intégral d’activités économiques à des entreprises du secteur privé. Un tel objectif n’est pas contradictoire avec la reconnaissance d’une véritable autonomie de gestion de l’autorité portuaire, pas plus qu’à son nécessaire recentrage sur ses missions régaliennes, et par conséquent les textes statuaires et leur application effective doivent permettre que ces filialisations s’effectuent dans des délais plus courts qu’aujourd’hui.
LE CONTENEUR N’EST PAS TOUT
La compétitivité des ports français est conditionnée par leur capacité à répondre efficacement aux besoins des trafics non seulement de conteneurs, mais également des trafics d’une autre nature tout aussi indispensables à l’économie. Pour cela les autorités portuaires doivent avoir un régime statutaire et une gouvernance qui leur permettent d’assurer une action de régulation, en matière d’aménagement et de fonctionnement du port – qu’il s’agisse de mesures de police, de fixation de règles générales d’exploitation, ou de l’attribution d’espaces aux divers utilisateurs et opérateurs. Ce pouvoir est d’autant moins discutable que les activités économiques, en particulier la manutention portuaire, sont transférées au secteur privé. Bien évidemment, il doit s’exercer dans le respect d’une totale transparence, et des règles nationales et communautaires se rapportant au droit de la concurrence, avec le seul objectif d’optimiser le service que le port doit rendre à l’économie.
UTILISER AU MIEUX LE DOMAINE PORTUAIRE
Dans le même ordre d’idées, les autorités portuaires doivent disposer de moyens financiers suffisants pour entretenir et réaliser les infrastructures d’intérêt commun – et d’y être aidées par des fonds publics, pour ce qui concerne les infrastructures "lourdes" qui ont une longue durée de vie, telles les ouvrages d’accès et de protection contre la mer, les plans d’eau intérieurs et même certains terminaux publics.
Sachant que l’ouverture de nouveaux sites et même l’extension des sites existants, seront de plus en plus difficiles pour des raisons environnementales, les autorités portuaires devront pouvoir utiliser au mieux leur domaine: à ce propos, il ne faut pas perdre de vue que les terminaux portuaires (publics et privés) doivent être établis directement "au bord de l’eau" – ce qui implique "un aménagement physique et un mode de gestion de l’espace" qui n’ont pas d’équivalent en matière aéro-portuaire: le domaine portuaire doit être public dans les zones qui peuvent nécessiter des changements de vocation pour accueillir de nouveaux trafics.
Enfin, l’État doit aussi jouer son rôle en participant à un niveau justifié au financement des infrastructures "lourdes" et en faisant assurer de bonnes liaisons avec leur hinterland.
La réforme ne doit donc pas se limiter au "problème juridique"; elle implique aussi un changement de comportement de l’autorité portuaire – et en particulier de certains agents de cette dernière qui doivent comprendre que les réformes sont indispensables à la compétitivité de leur port, mais aussi qu’elles sont les plus conformes à leur intérêt personnel; elle exige les mêmes efforts des autres acteurs de la communauté portuaire. L’importance de l’enjeu pour la puissance de la France dans le monde – pour que les ports français continuent à jouer efficacement leur rôle de poumon de son économie – veut que le problème soit traité complètement et au fond par une réforme qui institue un régime applicable pour tous les ports à vocation nationale, mais en ayant la sagesse que sa mise en œuvre s’effectue en prenant en compte la réalité de la situation dans chaque port qui ne saurait être négligée sans risquer des blocages économiquement catastrophiques. Le seul but de nos réflexions et propositions est d’essayer de contribuer positivement – compte tenu de notre expérience – à l’amélioration des performances des ports français.
Les propos tenus dans ces pages n’engagent que leurs auteurs.
Cet article fait suite à la position que les auteurs avaient exprimée dans nos colonnes dans nos éditions du 22 décembre 2006 et du 13 juillet 2007.
Ce qui n’exclut nullement d’élaborer et mettre en œuvre les réformes nécessaires concernant les autres prestations qui contribuent aussi aux coûts de passage portuaires.