Pour une place portuaire, devenir un port de transbordement – un hub – est synonyme d’accession à un nouveau statut. Devant la multiplicité des marchés à desservir, les hubs se développent à travers le Monde. Certains devenus célèbres, à l’image de Singapour ou de Hong Kong pour les pays du Sud-Est asiatique, ont exporté leur savoir-faire à travers la planète.
Dans les Caraïbes, aucun port n’assure à ce jour le rôle de hub comme en Asie du Sud-Est. Pourtant, dans une étude menée par le consultant MLTC (Maritime Logistics & Trade Consulting, filiale du courtier parisien BRS), parue en décembre 2006, deux ports pourraient se détacher du lot: Freeport, aux Bahamas, dont 98 % des trafics se font sur le transbordement et Kingston, en Jamaïque, qui affiche une proportion de 83 %. Selon MLTC, globalement, dans les Caraïbes la part du transbordement dans les ports de la région se fait à hauteur de 46 %, soit 3,1 MEVP.
Aux côtés de ces deux ports, San Juan, sur l’île de Porto Rico, s’affiche en tête des ports de la région. Avec un trafic de 1,7 MEVP en 2006, il pourrait d’office jouer le rôle de hub régional. Il n’en est rien. L’an passé, le port n’a manutentionné qu’environ 200 000 EVP en transbordement. Son principal défaut réside dans son appartenance aux États-Unis. Les marchandises en transit entre San Juan et les États-Unis doivent être transportées dans le cadre du Jones Act, c’est-à-dire par un navire construit dans un chantier américain, sous pavillon américain et armé avec un équipage de nationalité américaine. "À l’horizon 2010, c’est entre 1,5 MEVP et 1,8 MEVP supplémentaires qui chercheront un port de transbordement dans les îles de la Caraïbe", indique le rapport de MLTC. Forts de ce résultat, les ports investissent dans de nouveaux quais. Les principaux projets concernent les terminaux de Punta Caucedo (République dominicaine), Ponce (Porto Rico), Freeport (Bahamas) et Kingston (Jamaïque). Mais cette course à la capacité ne doit pas cacher le risque de congestion; un risque déjà aux grilles des ports du nord de l’Amérique du Sud ou à Panama.
Dans les Caraïbes, les prévisions tablent sur une croissance du trafic, pour les îles, de 6,8 MEVP à 10,6 MEVP en 2015. Parmi ces chiffres, le transbordement passerait, en dix ans, de 3,1 M EVP à 6,1 M EVP, "une véritable locomotive pour les ports insulaires", indique le rapport final du MLTC.
Martinique et Guadeloupe se positionnent
Dans la bataille pour accéder au statut de hub, les ports de Martinique et Guadeloupe tentent de tirer leur épingle du jeu.
Si en Guadeloupe, quelques trafics de transbordement commencent à se faire jour, avec notamment des boîtes en provenance du Suriname et de Guyana, le terminal de Baie Mahaut – Pointe Jarry a du mal à s’imposer. Les coûts d’escales annoncés par le port ne sont pas prohibitifs à environ 100$ par boîte. Le principal point noir du port guadeloupéen est lié à son tirant d’eau. Avec 11 m, le port peut difficilement prétendre accueillir les navires-mères des lignes assurant les liaisons est/ouest et nord/sud. Le risque de voir la Guadeloupe feederisés sur certains trafics est grand. Yves Simon, directeur général du port, a commandité une étude pour trouver une solution. "Peu importe la voie, nous devons trouver une solution qui passe par un partenariat avec l’ensemble de la communauté portuaire", a-t-il déclaré, en avril.
En Martinique, la situation est différente. Le port de Fort-de-France perd depuis deux ans des trafics sur les bananes. L’autorité portuaire a donc décidé d’agrandir son terminal pour jouer la carte de hub portuaire. Frantz Thodiard, directeur des concessions de la CCI Martinique, explique que l’amélioration de la productivité sur le port, conjuguée avec un prix de passage compétitif, lui permet de rester dans la course.
Ces deux ports peuvent, en outre, tirer parti de leur situation de porte d’entrée de l’Europe dans les Caraïbes. Et le passage du cyclone Dean en septembre a peut-être modifié la donne. Le trafic bananier au départ des îles françaises des Caraïbes va sérieusement s’émousser dans les prochains mois. Si le groupe CMA CGM a décidé de maintenir ses services sur l’île martiniquaise, il cherche à se diversifier. Alain Wills, directeur général du groupe CMA CGM, a des pistes.
D’ores et déjà, il utilise ce port comme plate-forme de transbordement pour les trafics du Surinam. Et entre Guadeloupe et Martinique, il prévoit aussi d’y acheminer des boîtes depuis la République Dominicaine. Ce que CMA CGM fait, d’autres peuvent le copier. L’étude menée par MLTC, en décembre 2006, soit avant le passage du cyclone, met en avant la configuration actuelle des trafics avec les îles françaises des Antilles.
Les marchandises arrivent d’Asie en Europe et sont rechargées sur les navires des services Antilles. Si, d’aventure, ces trafics devaient arriver en direct d’Asie par transbordement dans un port régional, toute l’économie des services Europe/Antilles serait mise à mal. Le port de la Pointe des Grives est, selon l’étude, dimensionné pour jouer ce rôle. Avec un linéaire de quai de 600 m, selon les investissements à venir, le terminal pourrait traiter 400 000 EVP par an avec son matériel existant. Les consultants pointent du doigt le problème des coûts de manutention. Lorsqu’un armement contrôle ses coûts de manutention, il put mener une stratégie adéquate. Ainsi, s’il souhaite appliquer au trafic de transbordement que le coût marginal, il affectera au trafic domestique le coût réel. En Martinique, deux armements, Mærsk et Marfret, ont voulu, en 2006, s’impliquer dans la manutention. Le départ des services antillais par le premier a changé la donne. Il ressort donc de cette étude qu’une implication directe d’un armement dans le terminal est une condition de réussite dans la bataille de place de hub portuaire dans les Caraïbes.
Les conséquences du cyclone Dean ont sans doute mis en sommeil cette bataille, ou tout du moins, au second plan pour le moment.
Transbordement : les DOM partent de loin
Dans les deux DOM français, Martinique et Guadeloupe, la part du transbordement est bien moindre que dans de nombreux autres ports caribéens. Au Port autonome de Guadeloupe, sur le terminal de Baie Mahaut Pointe Jarry, 29 990 EVP ont été transbordés (+ 30) sur un total de 105 848 EVP manutentionnés. Selon le consultant, “le trafic de transbordement enregistre une croissance de 14,25 % en moyenne annuelle sur les six dernières années”.
En Martinique, à la Pointe des Grives, le transbordement lui n’atteint que 4 000 EVP.
Cependant, l’ensemble de la communauté portuaire mène des actions pour attirer ce trafic par une réduction des coûts.