À Marseille en juin dernier, M. Sarkozy a critiqué les performances des ports autonomes et invité à une refonte de leurs statuts. Dans un article intitulé "Une reforme pour moderniser les ports autonomes" (JMM 13-07-2007, p. 22), MM. Jean Chapon et Robert Rézenthel exposent leurs vues sur le sujet. Devoir de réserve, souci de ne heurter personne, ni en haut ni en bas de la hiérarchie, corporatisme professionnel et d’école, attachement à un système confraternel indulgent aux erreurs, imposaient la discrétion. Le message est passé: le problème est juridique. Modifions les textes à la marge et tout ira bien. Suivent des propositions. Certaines sur les tarifs ou la gestion domaniale sont bien venues. D’autres, plus essentielles, sont moins heureuses. On les détaille ci-après.
Les auteurs refusent la transformation des établissements publics portuaires en sociétés. L’entité de droit public s’impose. Cependant, tous les personnels des ports servent à l’abri d’une douillette convention collective. On peut donc s’accommoder du droit privé quand on y trouve son compte. Or de plus en plus de ports étrangers sont désormais transformés en sociétés. L ’Aéroport de Paris l’a été par la loi du 20 avril 2005. Seul un tel changement de statut modifiera la gestion, le financement, le mode de désignation des dirigeants et surtout les habitudes acquises et les mentalités. L’ouverture du capital fera sortir le port et ses agents du ronronnement dans le monde administratif. Elle fera connaître le port à l’épargne, qui devra prendre la relève du contribuable, et elle obligera le port à lui rendre compte de ses efforts et de leurs résultats.
Les auteurs invoquent le risque fiscal: l’impôt sur la société portuaire augmentera le coût de passage des marchandises. Or non seulement l’imposition d’un organisme qui a des recettes d’exploitation n’est pas choquante, mais la loi de 1965 dispose que les ports autonomes reversent 50 % de leur excédent annuel à l’État, dividende et impôt tout à la fois. Certes, comme le déclarait un grand gestionnaire portuaire à une audience de cadres étrangers "C’est là une disposition idiote. Vous pensez bien que les ports s’arrangent pour ne dégager aucun excédent". À quoi un collègue d’ajouter qu’il suffisait de manipuler les amortissements pour parvenir au résultat désiré. Après quoi les auditeurs ont pu retourner chez eux, bien nourris de principes de gestion financière et de cynisme fiscal à l’usage des établissements publics. Comparer par le calcul l’impact possible de l’impôt sur les coûts de passage à l’impact certain des errements actuels de gestion serait d’un vif intérêt.
Les auteurs arguent aussi que des actionnaires pourraient ne pas rechercher l’accroissement du trafic. Mais la minorité ou la majorité de contrôles, le pacte d’actionnaires et autres techniques de contrôle du capital doivent protéger de ce risque, s’il n’est pas imaginaire.
Le plat de résistance de ce menu de propositions est l’introduction du concept d’autorité portuaire. Il titille la pensée portuaire française depuis quelques années déjà, sédiment tardif de l’économie dirigée. Cette institution, d’après nos auteurs "autorité de régulation", doit préserver "les intérêts publics essentiels". Car c’est là "le rôle des ports autonomes". Ceux-ci ont donc pour fonction essentielle, pour "vocation" "d’organiser, de gérer, de coordonner les missions de service public… dans [leur] circonscription". Or la doctrine administrative française, contestée, considère comme services publics toutes les activités des opérateurs portuaires sur le domaine. Sauf la mention d’une possible coordination tout cela, qui n’a aucun rapport avec les carences qui ont provoqué l’ire du président de la République, est faux. Le seul service public portuaire incontestable que ne mentionnent pas nos auteurs, est celui dû par l’établissement public aux usagers. Il leur doit des prestations irréprochables et au meilleur prix, sur un domaine public, propriété collective sur laquelle tous ont, de par la loi, un droit d’exploiter. Là est la vocation première du port autonome, pas d’être le Big Brother surveillant la communauté portuaire.
Le terme "Autorité portuaire" est la traduction tendancieusement inexacte de l’anglais "port authority" qui signifie "administration portuaire" sans la tonalité gendarmesque qu’on lui donne ici. La loi n’a nullement attribué au port autonome les compétences énumérées par les auteurs. Seul, aux termes de celle de 1965, le directeur du port, et comme agent de l’État, a qualité pour exercer une "action générale" sur les services publics de sa circonscription. Et il s’agit des services de l’État et des collectivités territoriales. Les relations avec les opérateurs sont réglées par les conventions et cahiers des charges. La loi de 2005 sur les aérodromes, après avoir disposé que la société Aéroport de Paris "fournit… des services adaptés aux besoins des transporteurs, des autres exploitants, des passagers et du public" lui attribue compétence pour "coordonner l’action des différents intervenants". Si on ajoute que la société doit se fixer "des objectifs de qualité de service", on mesure la différence entre les deux approches. L’une de contrainte et l’autre de service. Enfin, il est évident que, prestataire de services aux usagers, le port autonome ne peut être autorité de régulation. Il serait juge et partie dans les affaires le concernant et techniquement incompétent pour juger des litiges entre opérateurs. Une Autorité de régulation est par nature indépendante, soumise au seul pouvoir du juge. Le port autonome, organe de l’exécutif, sous tutelle administrative ne l’est pas. Cela clôt le débat sur ce point.
En résumé, d’après nos auteurs, le port autonome veut davantage d’autonomie, davantage de pouvoirs et de compétences, dans un cadre institutionnel immuable. Les réformes, les obligations de service, les efforts et les impôts seront pour les autres. Au vu de propositions de ce calibre, les gestionnaires des ports d’Anvers, de Rotterdam et de Barcelone peuvent dormir tranquilles.
Les propos tenus dans ces pages n’engagent que son auteur.