Avec 9 500 bateaux et une cale de 11 Mt, la navigation fluviale européenne est florissante. Entre 1999 et 2004, plus de 250 nouveaux automoteurs et barges sont sortis des chantiers navals et près de 1 Mde a été investi pour ces nouvelles constructions. Certaines années, les sommes consacrées au fluvial ont même été légèrement supérieures à celles engagées pour la navigation maritime. Cependant, le secteur est confronté à un paradoxe. D’importants investissements ont été consacrés à l’augmentation de la capacité des bateaux sur le réseau à grand gabarit, alors que les voies d’eau régionales demeurent sous-exploitées.
À la fin des années quatre-vingt-dix, en Europe, la capacité maximum disponible sur un même bateau était de 3 500 t (200 EVP) avec un maximum de 110 m de long, 11,40 m de large et 3,5 m de tirant d’eau. Depuis, plusieurs douzaines de bateaux en mesure de charger 4 000 à 5 000 t (500 EVP) ont vu le jour, avec 135 m de long, 14 à 17 m de large et 4 m de tirant d’eau. Lancé en 2003, le Vlissingen a même atteint une capacité de 9 500 t.
Le retour du petit gabarit
Dans ce contexte, la contribution des petits bateaux a diminué de moitié. Mais les automoteurs de moins de 1 000 t – plutôt bien entretenus – forment encore un quart de la flotte fluviale européenne. Or, très peu d’unités adaptées aux canaux de plus petit gabarit ont été récemment mises sur le marché.
"On construit énormément dans la navigation intérieure. Deux bateaux sont inaugurés tous les quinze jours en Europe et les plus petits avoisinent les 110 m de long. Il faut faire attention à l’avenir, car si l’on ne construit pas des bateaux de petit gabarit, il risque d’y avoir un problème pour alimenter les petites industries. Certes, les cales inférieures à 1 300 t ne disparaissent pas, mais elles ne sont pas remplacées. Et comme on ne trouve plus de 38 m, il devient difficile de chercher des céréales en France pour alimenter les brasseries de Belgique, des Pays-Bas, ainsi que les autres industries qui consomment des céréales. Résultat: les prix doublent, voire triplent", analyse Pascal Roland, expert en navigation intérieure et rhénane à Verlaine (Belgique). Des initiatives ont été lancées notamment aux Pays-Bas avec le CompocaNord, un projet de bateau en matériau composite, mais aussi en France avec le développement de nouveau Freycinet.
Spécialisation accrue
Une troisième tendance émerge dans l’évolution de la navigation intérieure: l’augmentation progressive du degré de spécialisation des barges. C’est notamment ce que nous avons cherché à montrer dans ce dossier à travers les exemples d’expérimentation comme les bateaux dédiés au fret palettisé ou au transport de farines aux Pays-Bas. Sur le Danube, la société Touax SCA adapte ses barges à la demande en trafics de pellets de bois, un produit à faible densité. La France n’est pas en reste: deux barges ont été affrétées au transport des ailes et du fuselage de l’Airbus A 380. Un trafic de papiers neufs/papiers recyclés avec des 45′ gerbables à rideaux coulissant pourrait également voir le jour entre Rouen et Paris.
"En adaptant les unités aux marchandises, nous contribuons à élargir par la technique notre offre commerciale", souligne Jean-François Dalaise, président du Comité français des armateurs fluviaux.
Conjuguer productivité et sécurité
Selon lui, les innovations technologiques doivent également permettre "d’améliorer la productivité des unités, en terme de consommation d’énergie et de relation entre les interfaces: clients, armements et autorités en charge des conditions de navigation. Elles doivent également contribuer à augmenter la sécurité à l’image des doubles coques et des aides à la navigation". Ainsi, chez CFT (Compagnie fluviale de transport), l’un des leaders nationaux du transport fluvial avec 10 Mt transportées en 2006, quasiment la totalité des constructions pour les transports en citerne sont des bateaux à double coque.
En terme de sécurité et d’amélioration de la productivité, un pas important a été franchi avec le déploiement d’un système d’information fluvial européen qui permettra d’optimiser les solutions de transport. Son expérimentation démarrera en 2008 sur la Seine, l’Oise et sur la liaison Dunkerque-Escaut et la Deûle. Ce système permettra des gains de productivité puisqu’il améliorera la comodalité (gestion du trafic en lien avec les autres modes de transports), mais également des gains en terme de sécurité, puisqu’il répondra aux exigences de la réglementation ISPS pour la sûreté maritime et permettra d’éviter que des bateaux fluviaux côtoient des pétroliers dans les ports.