Le centre opérationnel de transit maritime des armées françaises se trouve à La Rochelle pour des raisons historiques. En effet, plus important port sur la côte Atlantique du XIIe au XVe siècle, la ville devient une place forte protestante pendant les guerres de religion jusqu’à son siège par Richelieu en 1628. Sa protection est ensuite assurée par l’île de Ré dont le port, Saint-Martin, est fortifié par Vauban à la fin du XVIIe siècle. Pendant la seconde guerre mondiale, la Marine allemande installe une base sous-marine dans son port de commerce de La Pallice.
Cotim: BTI + 519e RT
Aujourd’hui, la Base de transit interarmées (BTI), installée à la caserne Renaudin de La Rochelle, dispose d’infrastructures à La Pallice. Pour s’y rendre, tout chauffeur de véhicule doit présenter son permis de conduire et les cartes d’identité de ses passagers qui seront photocopiés, pour obtenir un badge magnétique leur permettant de franchir la barrière d’accès au port de commerce, code ISPS oblige. Sur la zone de Chef de baie, l’entrepôt 16 abrite quelques conteneurs des armées. À l’autre bout du port, une enceinte militaire protège les matériels de manutention spécifiques du 519e régiment du Train (RT), exécuteur des missions de la BTI.
L’ensemble constitue le Centre opérationnel de transit maritime (Cotim), qui totalise 1 000 personnes. Chaque jeudi, l’état-major de la BTI tient un point de situation de tous les mouvements maritimes en cours. Une douzaine de responsables assistent à la réunion, dont ceux des opérations, de la logistique et des systèmes d’information (communication) et de commandement. D’abord, les rouliers civils Éclipse, Eider et Pélican: où sont-ils? Quelles sont leurs prochaines escales et à quelles dates? Quelle équipe de convoyage doit être relevée? Faut-il prévoir des renforts du personnel de manutention sur rade ou dans un port du théâtre d’opérations extérieures? Ensuite, les conteneurs: combien de pleins en mer et de vides à terre et dans quels ports? Combien par voie maritime commerciale ordinaire? Quantités de marchandises dangereuses (graisses polluantes et munitions)? Un "debriefing" du dernier mouvement, en métropole (Le Havre, La Pallice, Toulon ou Marseille), dans les DOM-TOM ou ailleurs, clôt la séance. Le personnel du 519e RT est formé au code ISPS et à la manutention dans des écoles civiles. En mer, six convoyeurs assurent la sûreté et la sécurité des chargements. Dans chaque port concerné, de 30 à 150 personnels, présents avant le navire pour assurer les conditionnements et manutentions des matériels, peuvent rester sur place d’un jour à trois semaines, selon les circonstances.
Une meilleure coordination des moyens
Par contrat avec une entreprise civile, précise le colonel Antonelli, la BTI peut disposer à tout moment de 6 500 conteneurs, mais n’en a loué que 3 580 en 2006 (2,08 M€). Elle représente aussi l’état-major des Armées auprès des Douanes. Enfin, elle est en mesure de conduire en continu deux opérations simultanées, dont une déjà engagée. Dans un cadre Otan, elle peut, comme ses homologues britannique et américaine, organiser un SPOD (Sea Port of Debarcation) sur zone de guerre avec 200 personnes, préacheminées par avion, pour le déchargement de navires français ou alliés partout dans le monde.
Le Cotim de La Rochelle dépend du Centre multimodal de transport (CMT) installé à l’état-major des Armées à Paris. Il en est de même pour son homologue du transit air, installé à l’aéroport de Villacoublay (région parisienne), et pour celui du transit de surface (voies routières et ferroviaires) de Montlhéry. Le CMT déménagera à Villacoublay vers la fin de l’année. Seuls deux officiers, chargés des transports maritime et aérien, resteront à Paris pour assurer la liaison avec le Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), qui élabore les options technicomilitaires présentées par le chef d’état-major des Armées au président de la République.
Le CPCO, très protégé, se trouve dans les sous-sols du ministère de la Défense. C’est là que, pour une opération donnée, le CMT définit le mode le plus approprié, en fonction des besoins en fret et personnel, et fixe le calendrier des transports que les trois centres de transit mettent en œuvre. Outre la projection des forces armées, le CMT doit assurer leurs relèves (actuelles opérations "Licorne" en Côte d’Ivoire et "Trident" au Kosovo) et les flux réguliers d’entretien logistique des forces prépositionnées dans les DOM-TOM et ailleurs dans le monde. La quinzaine de personnes du CMT travaillent à une meilleure coordination des moyens au moindre coût. "Il s’agit de renforcer le maritime par rapport à l’aérien et de développer une culture multimodale", explique le capitaine de corvette Bernier. La planification des transports réguliers de forces armées se fait sur l’année avec un "rafraîchissement" trois fois par an. Pour le maritime, le CMT anticipe trois mois à l’avance en fonction des demandes et d’éventuelles suppressions d’escales. Pour l’aérien, le préavis se réduit à un mois, dont 15 jours fixes. L’arrivée à temps du chargement est en effet impérative. Le transport maritime comprend 3 voyages dans l’océan Indien, 3 vers la côte occidentale d’Afrique et ailleurs en Afrique et 3 dans les Antilles/Guyane, dont 1 prolongé jusqu’à Nouméa et Papeete. Les rouliers Eider, Éclipse et Pélican restent à la disposition du CMT toute l’année. Mais en cas d’urgence comme le déploiement d’une compagnie dans les 15 jours au Liban en août 2006, deux solutions sont possibles:
• passer par des commissionnaires français de transport pour trouver des navires;
• recourir à l’organisme multinational Sealift Coordination Center, situé à Eindhoven (Pays-Bas) et dont font notamment partie la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Danemark et la Belgique.
Chaque État membre indique les créneaux de disponibilité de ses navires. Ainsi en juin dernier, l’Éclipse, de retour de l’océan Indien, a été sous-affrété par l’Espagne pour rapatrier du fret militaire de Beyrouth et de Plocé (Croatie) à Valence. En outre, chaque État membre met des avions Airbus A 310 et A 340 à la disposition de l’organisme Strategic Airlift Coordination Center, installé aussi à Eindhoven. Depuis la guerre du Golfe de 1991, les armées ont mis sur pied le CMT qui recourt aussi aux lignes commerciales régulières, dont Geodis, pour les petites quantités de fret à destination de pays étrangers outre-mer. Pour les affrètements urgents, il fait appel à CMA CGM. Mais cela implique des tarifs élevés et le risque de ne pas obtenir de navire.
Rouliers dédiés en 2014
C’est pourquoi, vers 2013-2014, les 3 rouliers affrétés devraient être remplacés par 4 à 6 navires… dont la construction prendra en compte les spécificités militaires. "Nous recherchons de la capacité, indique le général de brigade Huguet de l’état-major des Armées, il nous faut des navires civils adaptés aux besoins militaires et qui puissent être utilisés en chartes-parties dans le civil le reste du temps". L’armateur prendrait toute la flotte à sa charge, mais les Armées garantiraient l’emploi permanent d’une partie de sa capacité. En cas de crise internationale, une capacité supplémentaire serait mise à leur disposition selon des conditions définies à l’avance. Tout cela nécessitera l’accord préalable du ministère des Finances, dans le cadre d’un contrat de partenariat avec l’État, puis des négociations avec des armements français… ou européens!
Les moyens du CMT
Pour le transport maritime, un véhicule correspond à 6 mètres linéaires (ml). Le CMT affrète les rouliers Éclipse (1 392 ml et 130 EVP), Eider (2 430 ml avec grue et 146 EVP) et Pélican (1 700 ml et 140 EVP) de la Compagnie maritime nantaise avec des équipages civils. Les moyens aériens établissent un compromis entre le fret et le personnel transporté. Les 50 avions militaires Transall C 160 peuvent acheminer 6 t de fret ou 90 passagers (p) sur 3 500 km, soit de Paris à N’Djaména (Tchad). Un ou deux Transall se trouvent en permanence à Djibouti, Dakar et La Réunion pour les troupes qui y sont prépositionnées. S’y ajoutent 14 Hercules C 130 (15 t ou 90 p, 3 500 km) et, prépositionnés dans les DOM-TOM, 18 Casa (40 p). Pour les opérations plus lointaines en Afrique, le CMT affrète deux avions russes Antonov 124 de capacité unitaire de 100 t ou 10 EVP ou deux chars Leclerc ou six véhicules de l’avant blindés. Pour des distances plus longues, le CMT recourt à trois Airbus A 310 (180 p et 6 t de fret) ou deux Airbus A 340 (270 p et 8 t).