Journal de la Marine Marchande (JMM): La Rochelle a accédé au statut de port autonome depuis le 1er janvier 2006. Dix-huit mois plus tard, comment analysez-vous le passage à ce nouveau statut tant vis-à-vis de vos clients qu’en interne?
Laurent Martens (L.M.): "Le passage du statut de port d’intérêt national à celui de port autonome s’est déroulé sans encombre. Au cours du premier exercice, les trafics ont gagné 7 % et nos clients nous ont fait confiance. Sur l’aspect fonctionnel, nous avons aussi réussi le défi de faire vivre le port dans une grande continuité par rapport au passé. Le conseil d’administration s’est réuni une douzaine de fois depuis son installation et les grandes décisions du port ont presque toujours été prises à l’unanimité. Notre nouveau statut doit cependant nous amener à changer notre façon de voir les choses. Ainsi, nos grilles tarifaires ont vingt ans et il est temps de revoir leur contenu. De plus, nos tarifs sont généralement plus bas que ceux de nos concurrents. Or nous devons atteindre, suite à la création du Port autonome de La Rochelle (PALR), l’équilibre des comptes. Nous avons donc proposé une hausse des tarifs portuaires dans le cadre d’une politique de développement. Les clients n’étaient pas habitués à ces décisions et nous avons dû, ensemble, réfléchir à des modèles économiques nouveaux pour permettre la croissance du port.
Aujourd’hui, après dix-huit mois d’autonomie, nous sommes complètement en ordre de marche. Seul point encore manquant, ilnous faut mener de véritables débats avec les acteurs portuaires. Mais là aussi les choses évoluent et commencent à se mettre en place. En interne, nous ne déplorons qu’une seule journée de grève des agents du port au cours de cette période. Elle a eu lieu au mois de février. Le mouvement a été suivi dans des proportions normales. Depuis, nous avons travaillé, à réparer collectivement les erreurs que nous avions pu faire en allant parfois un peu trop vite dans l’action, créant ainsi de l’inquiétude et de l’incompréhension au niveau des personnels.
Cet arrêt de travail a permis d’alerter la direction sur les inquiétudes des agents. Et j’ai clairement indiqué, qu’au cours des premiers mois de notre accession au statut de port autonome, nous avions prioritairement orienté nos efforts vers les clients, en ne nous préoccupant peut-être pas suffisamment des agents du port. Mais ce choix était vraiment nécessaire pour relancer l’activité et donc donner un peu de marge de manœuvre financière à la direction du port. Ce mouvement s’est donc cristallisé sur beaucoup de petits problèmes non réglés à la suite du changement de statut."
JMM: Quels enseignements tirez-vous de ce mouvement?
L.M.: "À la suite de ce mouvement, nous avons procédé à un audit social. Nous avons inscrit, dans les " chantiers " du port, un volet consacré à la communication interne. De plus, je me suis engagé, vis-à-vis des salariés, à tenir deux ou trois fois par an une assemblée générale pour expliquer notre stratégie et nous avons des rendez-vous fréquents avec les représentants du personnel pour écouter leurs remarques et rechercher ensemble des solutions positives."
JMM: En 2006, vos trafics ont progressé de 6,4 %, vous plaçant parmi les premiers ports français en terme de croissance. Cette tendance se retrouve-t-elle sur le premier semestre 2007?
L.M.: "La Rochelle est en pleine croissance. Sur les six premiers mois de l’année, les trafics ont crû 4 %, à 3,76 Mt. Certes, ce résultat est en retrait par rapport à la croissance enregistrée sur l’ensemble de l’année passée, mais il demeure encourageant. De nombreux courants affichent des hausses à deux chiffres. Ainsi, les produits forestiers s’établissent à 435 000 t, en hausse de 10 %, les sables progressent de 8 % à 430 000 t. Ces derniers sont essentiellement tirés par l’essor du secteur de l’immobilier. Pour accompagner cette progression, nous avons proposé de nouveaux contrats aux industriels en leur offrant plus de place sur le port et des contrats de 10 ans. La liste des trafics en hausse est significative (vracs agricoles, vracs industriels et les divers) et démontre que les trafics non conjoncturels, + 16 % sur le premier semestre, portent la croissance du port.
L’embellie de 2006 s’inscrit donc dans un schéma durable. Au chapitre des baisses, les céréales perdent 4 % suite à une campagne plutôt morose et au déstockage massif au cours des derniers mois. Les raffinés sont aussi en faible baisse de 2 %; une tendance qui s’explique par un hiver doux."
JMM: Vous faites montre de grands développements pour l’avenir avec plusieurs projets ambitieux pour le port. Quel calendrier avez-vous établi pour les travaux à réaliser?
L.M.: "Nous devons avancer rapidement sur nos projets. Pour ce faire, nous avons proposé à nos partenaires un contrat de projets État Région (CPER) avec une enveloppe de 50,5 M€ jusqu’en 2013. Notre but: atteindre les 10 Mt. Pendant la préparation de ce contrat, les collectivités locales, en particulier le Conseil régional du Poitou-Charentes, le Conseil général de Charente-Maritime et la Communauté d’agglomération de La Rochelle, ont montré un fort soutien aux projets du port. Ce CPER est intéressant pour nous parce qu’il marque une accélération importante du projet de l’anse Saint-Marc, le démarrage des travaux sur La Repentie et la mise à niveau de nos accès nautiques à − 14 m. Au final, notre calendrier des travaux s’établit selon un programme bien défini: la première phase de l’anse Saint-Marc sera achevée en 2009 et le premier quai livré mi-2010. La seconde phase avec un second quai se fera alors en 2012-2013. Quant aux travaux sur La Repentie, ils démarreront en 2009. Nous nous emploierons à respecter scrupuleusement l’environnement du site."
JMM: Un appel à projets pour l’anse Saint-Marc a déjà été visé par le conseil d’administration du port. Qui sera présent sur ce nouveau terminal et pour y faire quoi?
L.M.: "Nous avons en effet lancé, au premier trimestre 2007, un appel à projets sur l’anse Saint-Marc. Plusieurs opérateurs ont retiré un dossier de candidature. Mais seules trois entreprises ont effectivement postulé: un dossier comprenait un consortium entre la Sica Atlantique et Maritime Kuhn,un autre a été proposé par la SGMT et un dernier par Sea Invest. Au final, et selon la décision du conseil d’administration, le consortium entre la Sica Atlantique et Maritime Kuhn a été retenu. Il présente la meilleure offre pour le port dans la perspective de l’aménagement d’une dizaine d’hectares, dès la fin de la phase 1 de l’anse Saint-Marc, pour y traiter des vracs.
L’offre de la SGMT a, elle aussi, été jugée positive par le conseil d’administration et je dois rechercher une solution, sur le port, pour traiter ces nouveaux volumes de vracs agricoles principalement."
JMM: Et qu’en est-il de la conteneurisation? Avec l’anse Saint-Marc, vous disposez d’un bel espace.
L.M.: "Nous ne voulons pas rester en retard sur ce trafic. Cependant, nous ne destinons pas les quais de l’anse Saint-Marc à cette filière. Le développement de la conteneurisation se fera à La Rochelle sur le terminal de Chef de Baie, où nous avons un site d’une dizaine d’hectares potentiellement disponible, avec une desserte ferroviaire et un quai disposant de 14 m de tirant d’eau. L’arrivée des boîtes sur cette partie du terminal impliquera que nous réorganisions le terminal de Chef de Baie en conséquence. Par exemple, les grumes, entreposées habituellement sur ces quais, seront déplacées et resserrées pour améliorer la gestion de l’espace par rapport à son utilisation actuelle. Seule cette optimisation de l’espace nous permettra de créer un petit terminal à conteneurs et d’intéresser rapidement des clients. En termes de marketing ou de service, il ne s’agit pas encore de faire à La Rochelle ce qui se pratique dans les grands ports français à conteneurs, mais plutôt de viser un opérateur de seconde catégorie qui pourrait vouloir faire de notre port sa base d’entrée en Europe. Nous avons en effet une offre maritime, terrestre et technique, nous permettant d’exister réellement sur ce marché. Nous avons également, dans notre arrière-pays, des exportateurs de renom, comme les grandes maisons de Cognac qui pourraient nous offrir des volumes. Malheureusement, pour l’instant, elles se désintéressent totalement du transport et donc des ports charentais.
Les adaptations techniques sur les quais sont minimes. Nous devons simplement entreprendre, à terme, des travaux pour permettre l’utilisation d’un portique. Pour accompagner ce développement, nous pensons lancer un appel à projets auprès des opérateurs de manutention et des armateurs.
Au final, ce projet a pour ambition de faire passer le trafic annuel de 5 000 EVP actuellement à 50 000 d’ici à cinq ans."
JMM: Les travaux actuels concernent principalement l’anse Saint-Marc. À quels types de trafics destinez-vous le futur secteur de La Repentie?
L.M.: “Le secteur de La Repentie doit faire l’objet d’une première phase de poldérisation de 35 ha sur un espace total pouvant, à terme, atteindre 70 ha. Nous destinons ces espaces à des trafics énergétiques ou à la filière conteneurisée, mais à une beaucoup plus grande échelle que le projet imaginé sur Chef de Baie. En 2008, le conseil d’administration doit approuver le schéma d’aménagement de ce secteur. Les filières susceptibles d’y être opérées à un horizon de 10 ou 15 ans, seront aussi choisies."
JMM: Dominique Bussereau, secrétaire d’État aux transports, a déclaré au cours de l’été qu’un terminal méthanier pourrait voir le jour à La Rochelle. Un tel projet pourrait-il voir le jour sur ce secteur?
L.M.: "Dominique Bussereau a en effet fait des déclarations à ce propos. Nous disposons, avec La Repentie, d’espaces supplémentaires pour accueillir des trafics, notamment énergétiques comme je vous l’ai dit plus haut. Cependant, aucune décision précise n’est intervenue à ce sujet et encore moins au sujet d’un terminal méthanier. Celui-ci n’entre pas, pour l’instant, dans nos priorités immédiates, car je le répète nous n’en sommes qu’au stade des études de marché préliminaires. Les collectivités locales et le conseil d’administration du port seront informés en 2008 des potentialités du site, des opportunités du marché et des poursuites à donner, ou non, sur ce dossier d’avenir."
JMM: Cette offre de terminal conteneurisé se combine avec le ferroviaire, tout comme d’autres grands courants majeurs du port. Quelles sont justement les améliorations à apporter aux dessertes ferroviaires à La Rochelle?
L.M.: "Tous les ports autonomes français doivent prendre en gestion les voies ferrées portuaires. Nous attendons les textes définitifs, transférant aux ports la gestion de ces voies. Le PALR compte 44 km de voies depuis le triage de Vauguoin jusqu’au bord à quai. L’objectif est d’offrir un service sécurisé et des prestations de qualité à un coût supportable par nos clients. Nous avons lancé en interne les expertises pour assumer, à court terme, cette charge et envisager dans un second temps des améliorations.
Notre trafic ferroviaire s’articule principalement autour de trois produits. D’abord, les céréales, dont les besoins en transport ferroviaire sont importants, en volume, pour les acheminements portuaires. Ensuite, les produits raffinés, où nous cherchons à développer les trafics depuis les cuves des sociétés Picoty et SDLP, afin de desservir notre hinterland le plus loin possible pour gagner des volumes. Enfin, l’offre doit s’améliorer pour les pâtes à papier et les bois sciés, où les discussions vont débuter pour rechercher de nouveaux équilibres économiques entre l’offre et la demande."
JMM: Vous avez mis le port aux normes ISPS depuis le mois de novembre dernier. Des incidents ont émaillé la sûreté du port au cours des précédents mois. Pensez-vous qu’il faille encore faire des efforts sur les installations de sûreté?
L.M.: "Dans un premier temps, nous avons géré les accès routiers; chaque véhicule qui entre doit passer les contrôles nécessaires et nous avons ainsi délivré plus de 7 000 badges d’accès. Maintenant, il convient de gérer les accès piétons et ferroviaires. Pour les piétons, nous allons fermer l’ensemble des accès à l’exception de la digue de Chef de baie et du secteur du Boulevard Delmas qui, lui, fait partie d’un projet plus ambitieux lié à l’interface ville/port. Quant au ferroviaire, nous attendrons d’être le gestionnaire des voies ferrées avant d’entreprendre des travaux.
Au final, mise à part la partie intégrée dans le projet d’interface ville/port, l’ensemble du port sera sécurisé en 2008. En revanche, concernant le bilan des premiers mois du plan de sûreté, nous n’avons connu que très peu de dysfonctionnements, alors que ce type de projet est très délicat à réaliser, au regard de la quantité et de la diversité des intervenants que nous accueillons chaque jour sur le port."
Les investissements du contrat de projets 2007-2013
En juillet 2006, alors qu’il n’avait que six mois d’existence, le port autonome a présenté un ambitieux projet d’investissements pour le contrat de projet 2007-2013. Les autorités portuaires ont prévu d’investir 50,5 M€ pour atteindre un trafic annuel de 10 Mt avant 2015. Six projets sont ainsi budgétés.
– Le premier projet est déjà bien avancé puisqu’il avait commencé au cours du contrat de plan précédent. C’est l’aménagement d’un nouveau terminal dédié aux vracs sur le site de l’anse Saint-Marc. Le 21 septembre, Dominique Bussereau, secrétaire d’État aux transports, est venu se rendre compte de l’avancement des travaux. Une digue en cours de réalisation va permettre de gagner 10 ha sur la mer. Une fois celle-ci terminée, la zone va être remplie avec des déchets inertes du BTP. Le remblaiement et la consolidation du terre-plein doivent être terminés fin 2008. L’étape suivante sera la consolidation du quai Modéré Lombard, une souille à − 14,50 m sera creusée devant le futur quai de 160 m. Ce dernier doit être opérationnel à la mi-2010.
L’ensemble de ces travaux est budgété pour 20,80 M€ qui se répartissent entre le port autonome, l’État, la région, le département, la communauté d’agglomération de La Rochelle et le Feder (dont un peu plus de 2 M€ sur le contrat de plan précédent). Un appel à projet a été lancé par le port pour l’occupation de cette nouvelle zone. Les entreprises lauréates sont la Sica Atlantique et Maritime Kuhn. Pour l’occasion, elles vont créer l’Établissement vraquier de l’Atlantique (EVA). Cette coentreprise “aura pour mission de gérer et d’optimiser le terminal dédié afin de rationaliser les équipements et la massification des flux. EVA sera signataire de l’autorisation d’occupation temporaire et propriétaire des installations de stockage qu’elle réalisera, ainsi que des équipements de manutention acquis par ses soins dans le cadre du projet”, indique le port autonome. Les actionnaires d’EVA annoncent 41 M€ d’investissements privés sur la zone et un trafic traité de l’ordre de 1,5 Mt, dont 1 Mt de trafics nouveaux, d’ici à 2012 ou 2013. Ce volume sera formé de vracs industriels (clinker et combustible), de vracs agricoles (engrais et tourteaux) et de clinker à broyer. La SGMT a répondu aussi à l’appel à projet pour 350 000 t de vracs agricoles et 100 000 t de produits de seconde vie. Les responsables portuaires entendent proposer une solution technique à cette entreprise.
– Le deuxième projet concerne le secteur de la Repentie. Au nord du viaduc du môle d’escale, cet espace forme une large baie qui sera comblée pour gagner de nouveaux terre-pleins portuaires. Un premier casier de 25 ha doit être remblayé avec des déchets inertes du BTP (2,3 Mm3). Le coût de l’opération est chiffré à 7,3 M€.
– Le projet suivant est la sécurisation du réseau ferré portuaire. Trois points noirs de ce réseau doivent être supprimés par la réalisation de deux passages à niveau et la séparation des trafics routiers et ferroviaires sur la partie Ouest de la chaussée de ceinture nord, le tout pour 1 M€.
– Le quatrième projet consiste à dérocter les accès au port autonome pour pouvoir accueillir de très grands navires. Il s’agit d’améliorer les conditions nautiques d’accès vers Chef de Baie et le quai Modéré Lombard. Actuellement le chenal maritime d’accès est à la cote de − 11 m, ce qui permet en fonction de la marée d’accueillir des unités de 14 m de tirant d’eau. À l’entrée du port et sur la zone d’évitage de Chef de Baie, plus sur un ou deux points noirs, les accès seraient déroctés à la cote-10 m. Ceci facilitera l’accueil aux quais Lombard, de Chef de Baie et, dans l’avenir, de l’anse Saint-Marc, tous trois à − 14 m. Ces travaux coûteront 5 M€.
– Le projet numéro cinq prévoit la création d’un deuxième poste à quai à l’anse Saint-Marc. Il sera dans la continuité du premier poste. Ce quai de 200 m, avec sa souille et son accès nautique, permettra de pallier la saturation du premier et de mieux valoriser les espaces adjacents. Son coût prévisible est 16 M€.
– En numéro six, vient l’aménagement du quai Nord du bassin à flot. Le bassin historique du port, construit en 1890, est long de 600 m pour 200 m de large, à la cote − 4 m. Il compte six postes à quai et accueille 500 navires par an. L’aménagement du quai Sud est presque fini. L’aménagement du quai Nord pose problème. Sur 25 ha, 5 ha seulement sont aménagés pour une exploitation portuaire. Les 20 ha restants sont des servitudes (routes et voies ferrées), des friches ou des espaces inexploitables. Le projet consiste à déplacer la route en arrière zone, à démolir trois ou quatre hangars, à aménager 10 ha de terre-pleins, déplacer les réseaux correspondants et réaménager les voies ferrées. Ce nouveau dispositif permettra d’accueillir 300 000 t de plus. Le coût de ces travaux est de 3 M€.
Yves Gaubert