Le 16 novembre 1907, l’Oklahoma entre dans l’Union des États-Unis. Il devient le 46e état des États-Unis d’Amérique. À cette même date, à Liverpool, le Mauretania quitte le port pour son voyage inaugural. Premier navire à être propulsé par des turbines à vapeur à commande directe, il détiendra le record de la traversée transatlantique pendant une vingtaine d’années. Ces deux éléments pris dans un lot de nouvelles montrent que ce jour devait être marqué d’une croix blanche. À Paris, au 16 rue Chauveau-Lagarde, se tient la première assemblée générale ordinaire de l’Association des employeurs de main d’œuvre dans les ports de France (AEP). Elle marque le démarrage effectif des travaux d’une association qui va évoluer au cours des années pour devenir l’Unim, Union nationale des industries de la manutention en 1947.
L’anecdote est posée. L’esprit dans lequel a été créé cette association démontre du climat ambiant dans les ports à cette époque. Sa création est une initiative du Comité central des armateurs de France. Lors d’une de leur séance, Eugène Perline expose ses points de vue: "Les armateurs n’étant pas les seuls employeurs dans les ports, il ne leur était pas possible de résoudre par eux seuls le problème envisagé", note l’ouvrage. Déjà dans les ports se constituent des associations qui ont vocation à rassembler bien au-delà des simples armateurs toutes les professions qui travaillent sur les quais, transitaires, consignataires, négociants et industriels. Les fédérations créées veulent ainsi s’unir pour défendre les intérêts de la profession. Le propre de l’AEP est de regrouper des fédérations d’employeurs et, parallèlement, des grandes maisons d’armement qui emploient bon nombre de salariés dans les ports. Des grands noms s’y retrouvent à l’image des Messageries Maritimes, Worms et la Compagnie Générale Transatlantique.
Le poids du social
Dès sa création, l’AEP est confrontée aux questions sociales. L’assemblée du 16 novembre pose sur la table deux questions qui, avec le recul, prennent une ampleur toute nouvelle: l’application de la loi du 16 juillet 1906 sur le contrat de travail et celle sur les accidents du travail. Ainsi, dès son origine, observe Xavier Galbrun, les fondements de l’organisation vont se bâtir sur la question des arrêts de travail et de l’irrégularité des besoins de main-d’œuvre.
Dans la première moitié du XXe siècle, l’organisation du travail portuaire se met en place. "Ce ne sont pas ces systèmes qui sont à blâmer en tant que soit puisqu’ils ont constitué une réponse adaptée à un moment donné de l’histoire, mais plutôt leur persistance", relève Xavier Galbrun dans l’ouvrage. Les conditions et la réalité du travail sur les quais vont porter les particularismes de la profession. Le contrat de travail collectif fait donc son apparition sur les quais.
Inspiré par des pratiques qui se tiennent à Marseille, il énonce les conditions d’embauche et les tarifs, "sorte de convention collective avant l’heure", explique le délégué général de l’Unim. À cette époque, l’embauche se tient le plus souvent dans les bistrots du port. Face à l’intermittence et la précarité de l’emploi, les ouvriers dockers vont s’unir autour de notions comme l’égalitarisme et le partage du travail. Alors, la carte syndicale va jouer un rôle de carte professionnelle. Ces rapports de force entre syndicat et patronat vont parfois être poussés jusqu’à la grève. Les premiers voulant préserver leurs acquis. Arrêter un port, à cette époque comme aujourd’hui, peut porter un coup dur à la santé économique d’un pays. Les syndicats veulent en profiter et déjà, les gouvernements de l’époque s’en mêlent.
L’anecdote de novembre 1928 est en ce point caractéristique. Un conflit entre ouvriers dockers et employeurs de Bordeaux bloque le port girondin.
Raymond Poincaré, président du Conseil, intervient pour faire plier les employeurs.
Dès l’entre-deux-guerres, tous les intervenants portuaires se soucient de professionnaliser le métier et réfléchissent à créer une carte professionnelle. Les prémices de la carte professionnelle interviennent le 13 mai 1939 avec un arrêté qui stipule, dans son article 2, que tout ouvrier portuaire intermittent doit être "muni d’une carte d’identité délivrée par le directeur du port". Un moyen de contrôler les effectifs puisque le texte prévoit la possibilité pour le directeur du port de la délivrer dans la limite des besoins et, élément important, il peut aussi la retirer en cas de faute du salarié. Il faudra ensuite attendre le conflit de 1939 pour voir une loi, promulguée par le gouvernement de Vichy pour créer les BCMO (Bureau central de la main d’œuvre). Ce texte institue aussi la carte professionnelle.
S’adapter pour survivre
À la fin de la guerre, la reconstruction économique et sociale des ports se met en marche. En août 1946, les comités institués pendant la guerre sont dissous et leurs pouvoirs reviennent à l’AEP. L’année suivante, le gouvernement Ramadier va promulguer une loi sur l’organisation du travail dans les ports. Ce texte sera surtout une compilation des différentes mesures prises auparavant. Le poids de cette loi vient de ce qu’elle constitue "un écrin du statut de l’ouvrier docker", note Xavier Galbrun dans l’ouvrage. Au travers de cette loi, les employeurs voient un moyen d’équilibrer les relations sociales dans les ports. Cette même année, les statuts de l’AEP changent pour donner naissance à l’Union nationale des industries de la manutention (Unim).
Les années qui suivent sont cruciales. L’innovation technologique s’impose dans les ports avec pour corollaire une crainte pour l’emploi par les syndicats. Mais les gains de productivité auront peu d’effet sur l’emploi. Et dès 1966, un premier rapport, le rapport Choussat, pointe du doigt la question des sureffectifs. Employeurs et dockers sont renvoyés dos à dos. L’Unim veut alors une modification de l’organisation du travail. Elle propose de passer du statut d’intermittent à employé permanent pour les dockers. Elle justifie cette transition par l’arrivée des lignes régulières dans la conteneurisation qui offrent une plus grande régularité dans les dessertes des ports. Les représentants des ouvriers dockers s’y opposent et le projet capote. Dans le même temps, apparaissent sur les ports, notamment à Dunkerque, les premiers complexes industrialo-portuaires pour Arcelor. Avec ces "postes privés", les dockers craignent pour leurs emplois et le monopole qu’ils exercent. Une circulaire du ministre de l’Équipement, Albin Chalandon, reconnaît la possibilité pour les dockers d’occuper ces emplois de permanents. Ce premier pas vers une sorte de mensualisation prend un coup de canif avec les conflits sociaux de Marseille en 1974 et un coup de poignard par l’arrêté de 1981 pris par Louis Le Pensec qui met un point final à cette aventure.
Crise d’effectifs
Les années quatre-vingt vont mettre en lumière la question des sureffectifs. La situation est perçue comme une crise d’effectifs et non comme un mal plus profond de l’organisation inadaptée du travail. Dès 1987, des plans sociaux sont mis en place. Insuffisant, le taux de chômage demeure à un niveau élevé de 30 %. La crise se déclenche par Dunkerque. La revendication paraît aujourd’hui anachronique: voir revenir du trafic. Nous sommes en 1990, Michel Delebarre, maire de la ville et ministre des Transports de l’époque, se penche sur la question. Les consultations se tiennent avec Jacques Mellick, puis Jean-Yves Le Drian qui le remplacera au poste de secrétaire d’État à la mer. Un des éléments déclencheurs viendra de Dunkerque lorsqu’un navire, le Venète, sera déchargé sans dockers. Manifestation de la FNPD (Fédération nationale des ports et docks), grève à répétition dans les ports vont conduire dès le mois de novembre 1991 aux premières réunions pour la réforme. Un plan en trois volets est présenté sans que la loi de 1947 soit abolie, "mais à court terme le résultat sera le même", déclare Jean-Yves Le Drian aux responsables de l’Unim. Le texte sera voté avec une écrasante majorité et promulgué le 9 juin 1992. Ce texte appelle à des négociations port par port. Le premier à signer sera Dunkerque le 10 juillet 1992, le dernier sera Saint-Malo le 22 novembre 1993. À l’issue de cette réforme de nouveaux chantiers s’ouvre avec, notamment la mise en place d’une convention collective nationale qui cimente la profession.Si la profession se modifie, la structure financière des entreprises s’internationalise. Des groupes de manutention étrangers entrent sur le marché français. Ce sont d’abord les "nations" belges qui prennent pied dans les ports à l’image de Katoen Natie ou encore de Nova Natie dans le secteur des diverses. Puis Sea Invest, en reprenant Saga, arrive petit à petit; il est aujourd’hui un acteur majeur dans la manutention de vracs en France. Dans la conteneurisation, les terminaux comme Port 2000, Dunkerque et bientôt Fos 2XL à Marseille consacrent cette tendance avec l’arrivée d’opérateurs internationaux comme DP World associé à la GMP, MSC et APM Terminals. Les ports français entrent dans l’ère moderne de la manutention.
Regarder le passé permet souvent de jauger les potentiels de l’avenir. Et l’Unim se tourne désormais vers les années à venir. Alors que l’organisation fête son centenaire, un projet de réforme du statut des ports autonomes serait sur la table du ministère. Il y serait question de réfléchir aux rapports publics/privés, mais aussi aux conditions d’embauche des personnels des ports autonomes sur les terminaux conteneurs futurs. Et comme un chantier n’arrive jamais seul, celui de l’Europe portuaire pourrait aussi déboucher.
Le 16 novembre 1907, l’AEP naissait. Le 16 novembre 2007, l’Unim n’a pas clos les dossiers et a sur son bureau des grands chantiers pour redonner aux ports français leur lustre d’antan. Cent autres années au service des ports, sont les vœux pour l’avenir.
La Seconde Guerre mondiale, une période entre parenthèses
Entre 1939 et 1945, l’AEP continue son action. Les responsables de l’association s’attacheront à maintenir l’activité de l’association et défendre les intérêts de la profession avec les interlocuteurs du moment. Parmi les nouveautés, le temps de travail passe de 41 heures à 45 heures. Après l’armistice, la situation se complique avec l’obligation de disposer d’un agrément pour travailler dans les ports. Une loi du 16 août 1940 créé des comités par branche économique, dont l’un pour la l’organisation de la manutention dans les ports. Le 4 octobre 1941, une loi propose “d’organiser chaque famille professionnelle en corporation”.
La loi de 1947: un écrin du statut des dockers
La loi de 1947 institue l’indemnité de garantie de rémunération pour les journées non travaillées qui est versée avec un maximum de 100 jours par an par la Cainagod (Caisse nationale de garantie des ouvriers dockers). Le rôle de cette dernière est essentiellement de reconnaître, décompter les ayant droits et de collecter les fonds pour les indemniser. Le texte met en place la carte professionnelle, la carte G.
Outre ces dispositions, cette loi s’appuie sur quatre grands principes: le monopole d’emploi des ouvriers dockers professionnels dans les ports; l’intermittence généralisée avec priorité d’embauche des professionnels face aux occasionnels; le tripartisme État, docker, employeur est en charge de la gestion des ressources humaines par l’intermédiaire du BCMO dans les ports avec le représentant du gouvernement à la tête de ce bureau; enfin, la solidarité portuaire pour l’indemnisation de l’inemploi.
La loi de 1992, une réforme du sureffectif
Il apparaît dès les premières consultations que le sureffectif est devenu endémique. À l’aube des années quatre-vingt-dix, ce souci allié aux conséquences du tripartisme entre dockers, employeurs et État dans le recrutement annonce les premiers vents d’un renouveau. L’Unim va se propulser dans une nouvelle ère dès 1989, lors de son assemblée générale. Elle vote deux chartes: l’une pour l’entreprise, l’autre véritable charte sociale. Ces textes évoquent l’intégration des dockers dans les entreprises, la formation professionnelle, la sécurité dans le travail et l’adaptation aux changements technologiques.
Dans le texte de 1992, le docker professionnel mensualisé sous CDI devient la règle. Les intermittents deviennent une force de complément. Tous les deux conservent leur carte. Les occasionnels forment l’appoint, mais sous contrat de travail de droit commun équivalent à un CDD. Le docker mensualisé s’il est licencié retrouve son ancien statut d’intermittent. La péréquation des places portuaires pour le financement de l’inactivité n’est plus de mise. Chaque port gère seul le financement de cette garantie