Janvier 2007, la direction du Port autonome de Marseille (PAM) est gagnée par une douce euphorie. Pour la première fois depuis 1980
La question du commandement unique
Le scénario de la reconquête est lancé. Il s’écrit en chiffres d’autant plus remarquables que s’ajoute un autre symbole à celui des 100 Mt: "Si le trafic hydrocarbures reste dynamique en 2006 (+ 2,7 %), l’essentiel de la croissance provient des autres segments d’activités mettant en évidence la moindre dépendance de l’activité du PAM au trafic des hydrocarbures." Quelques semaines plus tard, le 14 mars, une déflagration sociale emportait les terminaux pétroliers et gaziers dans un des plus importants conflits de l’histoire de l’établissement public. La lutte des 300 agents de ces installations s’éclairera à la lueur d’un autre symbole, celui de "la privatisation" dénoncée par la CGT. À Marseille où l’on se nourrit volontiers de symboles, l’affrontement ne pouvait être que frontal. Le patronat local pense tenir sa revanche des conflits de 2005 et 2001 qui malmenèrent l’activité. Plus, la présence d’agents du PAM sur le futur terminal méthanier GDF2 qui servira d’amorce au blocus d’une centaine de navires, cache un autre enjeu, qui court lui aussi depuis cinq ans, le commandement unique sur le prochain terminal conteneurs Fos 2XL qui sera exploité par le privé.
"La CGT ne passera pas". L’antienne reprise de la préfecture à l’union patronale durera près de trois semaines. La décision de baisser pavillon devant les exigences syndicales viendra de Paris, du plus haut sommet de l’État. En pleine campagne présidentielle, les affrontements en gare du Nord scellent la possibilité d’une intervention policière sur Fos et Lavera Pétrole. La reprise du travail laisse les patrons amers.
"Le temps est venu de la rupture et de l’action"
Aujourd’hui, la direction du PAM se retrouve face à des forces syndicales "gonflées à bloc". "Ils se croient tout permis. Les jeunes agents ont senti la poudre, ils se croient invulnérables", confie un haut cadre du PAM en évoquant l’anarcho-syndicalisme qui se répand dans les rangs. De l’autre côté, les forces patronales ont refait bloc. Placées sous la bannière de la refondation portuaire, elles se sont remises à croire en l’avenir avec l’élection et les promesses du président Nicolas Sarkozy. Rien d’étonnant si le vent de la réforme portuaire et d’une nouvelle politique maritime française est parti de Marseille. Sous la conduite du Medef régional et de la CCI, un "new deal" portuaire était exigé au lendemain du résultat des élections. Président de l’UMF Marseille-Fos depuis six ans et reconduit par ses pairs pour la quatrième fois consécutive, Marc Reverchon – partisan de longue date d’une refondation portuaire à la lumière des nouveaux rapports privé/public – voyait ses idées s’imposer. "Le temps est venu de la rupture et de l’action." Enfin, un rapport remis à Jean-Claude Gaudin, sénateur-maire de Marseille, par Jacques Pfister, président de la CCIMP posait les bases du changement.
Depuis, Marseille a connu plusieurs fois la visite de Dominique Bussereau secrétaire d’État aux transports et chargé du dossier de la réforme portuaire par le Président de la République. Ce dossier devrait comporter trois axes: une redéfinition de la politique nationale portuaire, un recadrage sur la gouvernance portuaire et enfin un verdict sur le double commandement des opérations portuaires. Le document est en train d’être élaboré sans aucune discussion avec les partenaires sociaux. Comment demain, c’est-à-dire avant la fin de l’année, les agents du port vont-ils réagir? À Marseille, le temps semble avoir suspendu son vol autour de cette question.
1) Le cap des 100 Mt avait été également franchi en 1979 et 1976, il y a plus de 30 ans!