La manutention entre deux eaux

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Ces dernières années, la manutention marseillaise a connu un séisme tranquille. En même temps que les rapports sociaux avec les dockers se pacifiaient, les sociétés locales passaient sous le giron de groupes internationaux (voir schéma p. 26). Pourtant, cette sérénité sociale et cette assise capitalistique n’ont pas apporté la prospérité. Pire, "aucune société de manutention ne présente aujourd’hui un bilan positif sur les bassins marseillais", se plaint Christian Almodovar, directeur du Semfos, le syndicat des manutentionnaires.

Que se passe-t-il? La conjonction de plusieurs phénomènes mine le terrain. Une stagnation des échanges avec le Maghreb, la poursuite du transfert des marchandises conventionnelles sur le conteneur et le mouvement de bascule de certains trafics sur Fos affaiblissent les bassins Est. Rapportée sur un quart de siècle, la tendance est nette: les bassins marseillais ont connu une hausse du trafic des diverses de 25 % pendant, qu’à l’ouest, ce volume triplait. Résultat, à Marseille, les sociétés de manutention sont devenues d’une extrême fragilité.

Un déséquilibre tangentiel

La faillite a déjà emporté Somotrans, la plus importante d’entre elles, en 1996 et UPA en 2000. Celles qui subsistent ne tiennent que grâce à une logique de groupe, les pertes étant compensées par les bénéfices réalisés sur Fos (comme pour Intramar), d’une tactique d’attente ou en dégraissant leurs effectifs fixes (Marseille Manutention et Socoma). Rien d’étonnant si le moindre dysfonctionnement fait tanguer leur équilibre comme avec les trois grands mouvements de grèves du PAM en 2001, 2005 et 2007.

"Plus que toute autre chose, Marseille-Fos souffre d’un manque de fiabilité et il ne vient pas de la manutention", se défend Christian Almodovar lorsqu’on l’interroge sur les tarifs. Selon la Cour des comptes, le coût de la manutention à Marseille serait pourtant supérieur d’environ un tiers à celui de Gênes ou Barcelone et renchérirait le coût global de passage portuaire. "Il y a tellement de variables d’un port à l’autre que le prix du passage portuaire est une bouteille à encre", soutient le responsable avant de reconnaître que l’établissement de ces tarifs relève de la politique commerciale de chaque entreprise. Cette "bouteille à encre" apparaît en tout cas transparente pour les chargeurs et les armateurs. Ces derniers, après avoir délaissé la "porte d’Afrique et d’Orient", sont en passe d’en faire "une déviation sur les routes du commerce international", comme le craint Jacques Saadé, président de CMA CGM.

Un dispositif entrepreneurial complexe

La complexité de l’organisation de la manutention est l’héritage de l’histoire et des spécificités du trafic de Marseille-Fos. Elle crée des rigidités. Prés de 40 ans après, la frontière entre bassins persiste: aucun docker marseillais ne peut aller travailler temporairement à l’Ouest et vice-versa. Elle engendre des "arrangements" avec la loi. Une vue d’ensemble fait apparaître qu’un tiers seulement des 1 030 dockers recensés (1 080 en fait avec 50 occasionnels) relève d’une entreprise. Des PME, bien qu’elles soient contrôlées par des groupes internationaux. Port Synergy d’une part, où CMA CGM occupe un rôle clé avec Dubaï Ports, et le belge Sea Invest. L’arrivée de ces grands acteurs est relativement récente. Depuis ses origines, l’acconage à Marseille était une affaire locale. Le plus souvent familiale. C’est encore le cas de la coopérative Socoma, "le dernier marseillais", comme se baptise son fondateur, Charles-Emile Loo.

La mue définitive au standard international a un rendez-vous en 2009 avec la mise en opération de Fos 2XL. Port Synergy renforcera considérablement ses positions sur le futur terminal conteneurs public/privé. Et surtout, portiqueurs (PAM) et dockers (entreprise) devraient passer sous le commandement unique des opérateurs privés.

Pour le reste, on notera le poids considérable de deux associations, le Gemest et le Gemfos, organismes-tampons créés par les entreprises de manutention où elles puisent une main d’œuvre supplémentaire suivant leurs besoins. "À ceux qui nous accusent d’avoir recréé un BCMO, nous précisons que se sont au moins les entreprises qui le dirigent", a l’habitude de rétorquer le directeur du Semfos. Cette solution, typiquement marseillaise, permet de s’adapter aux pics d’un trafic irrégulier, encore marqué par les saisons.

Le dispositif "à la marseillaise" peut continuer à fonctionner si l’activité répond. Sur les bassins marseillais, les dockers lorgnent sur le traitement des bagages des passagers croisière jusqu’à présent confié, à la satisfaction de tous, à une société privée. La demande des dockers de devenir des "bagagistes" a été rejetée. Le refus est, paraît-il, devenu un sujet de polémique, voire de conflit.

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