Le proverbe rappelle qu’il faut se méfier de l’eau qui dort. Un dicton qui pourrait s’appliquer au monde du roulier. Si ce marché du roulier n’alimente pas les conversations, il est pourtant le théâtre d’évolutions importantes. Si le roulier n’a pas l’impact des autres marchés maritimes, une des raisons tient vraisemblablement à sa position essentiellement européenne. "L’activité de ce marché principalement concentré sur le continent européen explique en partie ce tempérament atypique au sein d’une tendance haussière généralisée, souvent étroitement liée au boom économique chinois", explique le rapport annuel du courtier parisien BRS de 2006.
Au cours des dernières années, le volume d’activité sur le marché de l’affrètement est en baisse. En 2006, ce sont 13 navires qui ont été commandés. L’année précédente, le nombre de commandes s’est élevé à 58. Pour revenir encore plus en arrière, en 2004, le nombre de commandes n’a pas dépassé 24 unités, dont 6 pour des purs rouliers et 18 pour des navires de type ro-pax. Ainsi, à comparer avec le monde de la conteneurisation, ce marché du roulier est peu actif. Le courtier parisien explique ce peu d’engouement pour la construction navale par trois raisons. En premier lieu, les chantiers navals capables d’entreprendre la construction de ce type de navire sont peu nombreux dans le monde. Ensuite, la liste des chantiers établie, ils sont peu de candidats à vouloir se lancer dans une telle aventure. Construire un navire roulier est souvent coûteux et peu lucratif par rapport aux autres types de navires (vraquiers, porte-conteneurs ou citerniers). Enfin, et c’est le nerf de la guerre, le prix de la construction de ces navires demeure élevé.
Peu de nouveaux navires
Parallèlement au nombre de commandes peu importantes, les livraisons se font au compte-gouttes. Neuf navires ont été livrés l’an passé. Ces navires sont venus grossir les flottes des opérateurs existants comme Spliethoff, Transfennica, DFDS, Cobelfret ou encore le turc UN Ro Ro. Dans le même temps, dix navires – d’une capacité moyenne de 1 000 m linéaires (ml) – ont été démolis, un chiffre supérieur aux livraisons. Mais en terme de capacité, les démolitions ont été compensées par les livraisons. Et il s’agit plus d’un renouvellement de la flotte que d’une progression. Et BRS de conclure, sur ce sujet, par une note alarmante: "les premières conséquences d’un déficit de tonnage, qui menaçait depuis longtemps, se sont fait sentir en 2006".
Une flotte atone provoque nécessairement une remontée des taux de fret. Depuis 2003, année qui a connu des extrêmes en raison des affrètements liés aux opérations militaires, les taux sont revenus à une croissance raisonnable et continue. Les prévisions sur la remontée des taux de fret, établies par BRS pour 2006, se sont confirmées. Cette tendance a surtout marqué une catégorie de navires, ceux de plus de 1 200 ml. À titre d’exemple, les navires de 1 700 ml, filant 16 nœuds, ont vu leur taux grimper jusqu’à 9 200 € par jour.
Pour les catégories de moins de 1 200 ml, les taux ont stagné. Ces navires sont d’ailleurs considérés comme obsolètes par le courtier parisien en raison de leur forte consommation et de leur inadaptation aux exigences actuelles, trouvent des emplois dans des niches comme le transport de voitures. Cependant, au cours des derniers mois, ces opérateurs sont devenus plus exigeants. Ils cherchent des navires rapides à faible consommation et offrant une souplesse de configuration avec des ponts garages. Dans ce contexte, le marché de l’occasion est plutôt actif. En 2001, une dizaine de navires d’occasion ont été cédés. En 2006, 34 unités ont changé de propriétaire, "avec des prix restés fermes tout au long de l’année", ajoute BRS.
Concentration des opérateurs
Dans cette ambiance économique morose, le marché du roulier n’en demeure pas moins en proie à une forte évolution. Les opérateurs se consolident. Grimaldi continue de tenir le haut du pavé. Après la reprise de Sea Malta en 2005, l’armement napolitain a démarré une "autoroute de la mer" entre Malte et l’Italie pour réactiver un service. Après s’être intéressé au marché méditerranéen, Grimaldi a continué de regarder les extensions possibles en Europe du Nord. Ses attaques répétées au cours de l’année pour disposer d’une part importante de Finnlines n’ont pas laissé les milieux maritimes insensibles. L’armement a pris une position d’actionnaire principal dans le capital de l’armement finlandais. Dans ce marché de la Baltique, Superfast Ferries a jeté l’éponge. L’armement se recentre sur la desserte des îles grecques et de l’Écosse via Zeebrugge. Au chapitre des départs, Dart Line a quitté la scène. L’opérateur britannique a été racheté par Cobelfret. Le Belge digère ce rachat. Le volet des croissances est tout aussi nombreux. L’an passé a vu des opérateurs grossir. Ainsi, LD Lines continue aussi son expansion avec la reprise de Transmanche Ferries. Acciona Trasmediterranea inaugure des lignes nouvelles à l’instar de celle entre Bilbao et Portsmouth. Celtic Links fait montre aussi de nouvelles ambitions. Il a pris en affrètement trois unités pour se développer.
Des contrats avec les Marines nationales
En marge de son théâtre d’opérations traditionnel, le marché du roulier vit toujours une relation étroite avec le monde militaire. Les armées utilisent la flotte existante pour le transport de ces matériels vers les sites "chauds" du globe. Ce marché qui se fait au coup par coup. Certains pays, comme la France ou le Danemark, ont eux opté pour le long terme en affrétant un navire adapté à leurs demandes comme respectivement les MN-Pelican et Stena-Forwarder.
L’atonie du marché du roulier n’est malgré tout qu’apparente. Le besoin important en capacité se fait sentir. Les prochains mois devraient confirmer cette tendance. Et le rapport annuel de BRS de finir sur une mise en garde: "L’attractivité et la rentabilité du secteur de l’affrètement semblent donc encore insuffisante au regard des prix de construction de navires neufs, pour assurer un retour sur investissement de nature à relancer les commandes à caractère spéculatif." Le courtier pense que le volume d’affrètement devrait diminuer et l’écart de revenus entre navires modernes et anciens se renforcer. Il paraît aussi clair que la consolidation pourrait encore venir jouer les trouble-fête.