Si les passagers séduits par le transport aérien à bas prix désertent le ferry, le fret roulant remplit les garages notamment sur les gros marchés britanniques et nordiques. Là, les effets négatifs de la concurrence des liens fixes – tunnel ou pont – ont été gommés par la très forte demande.
L’industrie du transbordement est tout de même loin de connaître la croissance du conteneur et dans de nombreux cas, les fonds de cales des industries automobiles et papetières sont nécessaires à la bonne marche des services.
Néanmoins en matière de fret, les perspectives du roulier sont bonnes. Comme pour les autres industries maritimes, la croissance du marché s’accompagne d’un mouvement de concentration afin de dégager un groupe étroit de super transporteurs à l’échelle européenne.
La croissance externe coûte cher alors même que l’industrie européenne du roulier doit maintenir des investissements navals conséquents parce qu’il lui faut garantir le renouvellement permanent de la flotte avec des gabarits sans cesse à la hausse. Les plus gros fréteurs dépassent maintenant les 5 000 ml. Les opérateurs mixtes, passagers et fret roulant, sont confrontés pour un bon nombre à un tassement, voire une baisse conséquente, des trafics des passagers alors même que ces dernières années ils avaient investi lourdement dans les navires rapides et confortables. Désormais, la croissance du fret incite à privilégier des navires associant passagers et fret de plus en plus gros.
Une poignée de géants du fret
L’armement Grimaldi (Napoli), après avoir largement étendu son réseau de lignes de cabotage vers l’Europe du Nord, a acquis des participations prépondérantes chez le grec Anek (14 %) et majoritaires chez le finlandais Finnlines (50,7 %). La stratégie n’est pas l’intégration, mais l’organisation de synergies multirégionales entre les différents opérateurs. Transfennica, l’autre armement finlandais, est lui contrôlé par le néerlandais Spliethoff et à partir de septembre dépassera son ère traditionnelle de la Baltique et de la mer du Nord pour ouvrir un service entre Zeebrugge et Bilbao.
Toujours en Europe du Nord, il faut aussi compter avec les Danois. La filiale ro-ro du groupe Mærsk, l’armement néerlandais Norfolkline – outre son renforcement à Dunkerque avec trois unités neuves – s’est étendu l’année dernière en mer d’Irlande avec le rachat de Norse Merchante. Quant à DFDS, il a déjà acquis deux armements baltes et engagé un partenariat avec Sovcomflott. Puis il s’est renforcé sur le segment du cabotage conteneurisé avec le rachat du norvégien Lys Lines et de Norfkline Container Lines. Le suédois Stena plutôt – orienté sur les passagers (héritiers des anciennes compagnies maritimes des chemins de fer suédois et anglais) – s’ouvre de plus en au fret en Baltique, jumboïse ses navires aux Pays-Bas et envisage de s’étendre en Belgique. Sur ce gros marché, il va affronter un opérateur de plus en plus dominant puisque Cobelfret, après avoir repris le britannique Dartline en 2006 et acheté à MSC, a dissous Ferryways en juin dernier.
Le français LDA entrera-t-il dans ce groupe des grands acteurs du cabotage européen? Jusqu’à présent, le groupe français a multiplié les services dans un souci de diversification: industriels pour Airbus ou PSA (Irlande, Italie); pur fret vers l’Afrique du Nord; passagers au Havre et à Dieppe; mixte à Toulon. L’appel à projet d’autoroute de la mer franco-espagnole intéresse LDA dont le volontarisme et le savoirfaire sont reconnus. Parallèlement, la stratégie ro-ro de CMA CGM héritée des achats de Delmas (Sudcargos) et Comanav se limiteront à des compléments d’offre sur l’important marché de l’Afrique du Nord.
Ces grands opérateurs européens appartiennent à deux types de propriétaires. D’une part les grands acteurs du transport danois (le maritime Mærsk pour Norfolkline et le généraliste DSV pour DFDS) et d’autre part des armements construits avec constance et dynamisme par des intérêts familiaux (Grimaldi, Dreyfus- LDA, Olsson-Stena, Cigrang- Cobelfret) totalement indépendants dans leur gestion et leur investissement.
Interrogations sur de nombreux opérateurs
On ne peut être que frappés par la recomposition qui touche l’ensemble des acteurs du secteur roulier. Il y a d’abord pour les opérateurs mixtes un problème de marché avec la baisse des passagers sur un grand nombre de liaisons même si le fret peut compenser ce fait. C’est notamment le cas pour le français Brittany Ferries, et l’allemand TT Lines.
Il y a aussi les interrogations sur l’avenir d’un nombre élevé d’opérateurs. Les sociétés privatisées (SNCM, Scandlines) ou privatisables (Tirrenia, Algerie Ferries) doivent trouver leur voie entre les exigences du privé et des marchés historiques qui tremblent sous les coups de la concurrence. Pour la SNCM, la présence de Veolia était suspendue à la délégation de service public du marché corse. Scandlines devra à terme faire une place au pont du Ferham. Et en Italie les opérateurs privés attendent de pied ferme une Tirrenia dégagée du soutien public.
Les armements privés ne sont pas exempts d’interrogation. Privatisée en 2002, l’Espagnole Trasmediterranea sera-t-elle en 2008 revendue à l’issue du délai légal de détention de son acquéreur, le groupe de BTP Acciona? L’activité de P&O Ferries n’est pas le cœur de l’activité de son propriétaire le manutentionnaire DPW. En Turquie, les transporteurs routiers actionnaires d’UN Roro semblent désireux de vendre l’une des plus belles réussites du cabotage européen. En Irlande, ICG, la maison mère d’Irish Ferries, est au cœur d’une bataille boursière entre plusieurs investisseurs, dont l’un semble plus intéressé par les biens immobiliers du groupe que par le transbordement. En Grèce, la dévalorisation boursière pèse sur l’avenir de plusieurs opérateurs côtés. Les fonds financiers (généralement nationaux) sont déjà présents à divers degrés dans plusieurs groupes, Grandi Navi Veloci et Moby Line en Italie, la SNCM et maintenant Scandlines. Peuvent-ils apporter un nouvel élan? L’un des plus actifs armements européens est l’estonien Tallink acquéreur de Sijla Lines et des services Superfastferries Baltique du grec Attica. Il est contrôlé majoritairement par le fond financier local Inforta.
Le secteur du ferry, à l’exception de la Grèce, est en grande partie issu du secteur public (État ou sociétés ferroviaires). Initiée par les Britanniques, la privatisation du secteur est en voie d’achèvement. Un certain nombre d’opérateurs privés ont apporté sur les divers marchés une concurrence nécessaire alors que la réglementation et les exigences de confort ont obligé à de lourds investissements. Les armements ont donc besoin de rentabilité, pas évidente devant la baisse de la demande de passagers. Est-ce alors un secteur intéressant pour des acteurs non issus du monde maritime? L’évolution de l’économie financière mondiale pourrait avoir quelques influences sur le roulier européen.