C’est un traité international – la convention de la Moselle adoptée en 1956 par la France, l’Allemagne et le Luxembourg – qui a ouvert la voie à la canalisation de la Moselle, la troisième rivière navigable de France derrière le Rhin et la Seine. Cinquante et un ans après son adoption, la pression européenne pourrait favoriser le développement du conteneur sur cette rivière: Le Livre blanc, "La politique européenne des transports à l’horizon 2010: l’heure des choix" paru en 2001, avait déjà affiché la volonté de Bruxelles de rééquilibrer les modes de transports en favorisant le non routier.
Canalisée à grand gabarit de Neuves-Maisons (10 km au sud de Nancy) jusqu’à Coblence (Allemagne) où elle rejoint le Rhin, la Moselle traverse la Lorraine puis le Luxembourg avant d’arriver en Allemagne.
LA PRÉPONDÉRANCE DES CÉRÉALES
Conçue à l’origine pour l’exportation notamment du charbon et des minerais de fer, la Moselle à grand gabarit est aujourd’hui exploitée principalement pour l’exportation de céréales, l’importation de charbon pour les centrales thermiques et l’importation de minerai de fer pour la sidérurgie. L’année dernière, 9,9 Mt (+ 2 %) ont transité à la frontière franco-allemande au passage d’Apach. Actuellement, le premier port céréalier de France se situe à Metz-Thionville. Les deux sites (1,89 Mt de céréales en 2006) accueillent Soufflet, numéro 1 du stockage céréalier en France, Union InVivo, premier groupe coopératif européen d’achat, EMC2, groupe agroalimentaire de Champagne et de Lorraine et Lorraine céréales approvisionnement. De son côté, le port de Nancy-Frouard (1,72 Mt en 2006) dispose du plus important silo céréalier de France (183 000 t). Le marché de la Moselle étant très dépendant de ses filières historiques, le conteneur pourrait encourager une diversification, estiment ses promoteurs.
D’ailleurs, il y a déjà eu un précédent. En 1999, la Compagnie française de navigation rhénane (CFNR) avait initié une ligne de conteneurs sur la Moselle. Enthousiaste, la CCI de la Moselle avait investi dans une plate-forme conteneurisée sur le port de Metz, sans portique fixe, mais avec des outils de manutention mobiles. Le chargeur Ikea, qui dispose à Metz d’un entrepôt central intermodal pour la livraison de tous ses magasins d’Europe du sud (Portugal, Espagne, France), avait fait part de son intérêt. Mais après avoir atteint les 4 000-5 000 EVP en 1999-2000, l’expérience a tourné court, faute de rentabilité. Guy Erat, responsable de la gestion des conteneurs à la CFNR, analyse cet échec: "La Moselle est surtout un bastion importateur, donc un bastion de 40’, un secteur où le fluvial a des difficultés à concurrencer le transport routier." De plus, la CCI de Moselle ayant cessé de soutenir financièrement la ligne, cette dernière devenait difficilement viable.
Au final, on a comptabilisé un petit 897 EVP en 2005 sur la partie internationale de la Moselle, entre Metz et Coblence. Et le port de Trèves peinerait à rentabiliser le portique à conteneurs financé par le Land de Rhénanie-Palatinat.
LE TIRANT D’AIR, UN OBSTACLE
Pourtant, chez VNF, on veut croire à la viabilité du conteneur sur la Moselle. La réalisation de cet objectif passe tout d’abord par le rehaussement d’un certain nombre de ponts. Dans ce domaine, c’est le pont ferroviaire de Coblence-Lützel qui donne le la. Inamovible – il est situé à l’entrée d’une gare – l’ouvrage affiche une hauteur libre disponible autorisant deux couches toute l’année avec un maximum de trois couches 300 jours par an sous certaines conditions de chargement.
Pour entrer dans cette gamme, côté français, trois ponts ont été supprimés et sept rehaussés de 15 à 20 cm en moyenne avec un maximum de 55 cm à Uckange (20 km au nord de Metz) au printemps 2007. Toutefois, les bateaux ne pourront atteindre le port de Nancy-Frouard qu’avec une ou deux couches, en raison d’un ouvrage situé une trentaine de kilomètres en aval permettant l’accès au centre-ville de Pont-à-Mousson.
"Notre objectif est de permettre un service à deux couches tout au long de l’année et à trois couches le plus longtemps possible. On a coutume de dire qu’une ligne commence à être rentable à trois couches: C’est faux! Elle peut être rentable à deux couches voire une. L’intérêt du transport fluvial, c’est le juste à temps. Si la filière est assise sur un trafic constant avec un nombre de clients réguliers, c’est possible", souligne Jean-Philippe Morétau, directeur de VNF dans le Nord-Est.
Cependant, l’argument du juste à temps n’efface pas l’une des particularités de la Moselle… Elle compte 12 barrages et 17 écluses, alors que le Rhin voisin qui autorise trois, voire quatre couches, est une autoroute fluviale sans écluse jusqu’à Iffetzheim."Certes, cela rallonge les temps de parcours, mais l’important c’est d’être au port le jour programmé", insiste Jean-Philippe Morétau qui cite les exemples du Rhône et de la Seine qui transportent des conteneurs malgré leurs écluses.
Pour appuyer ses dires, VNF a lancé des études comparatives – des études "théoriques", nuance-t-on cependant – entre un acheminement fluvial des ports de la Moselle vers Anvers et un acheminement routier vers la plate-forme ferroviaire d’Athus à la frontière franco-belge (voir encadré) avec transbordement sur train vers la mer du Nord "À deux couches, les coûts sont équivalents, à trois couches, les prix sont 20 % plus intéressants par voie d’eau", poursuit le directeur interrégional de VNF.
UN NOUVEAU TERMINAL À CONTENEURS?
Une fois l’obstacle des ponts franchi reste à mettre en place les infrastructures susceptibles d’attirer les compagnies maritimes. "Généralement, une collectivité appuie la mise en route d’une ligne conteneur, par exemple en construisant un terminal. Le secteur public doit jouer les facilitateurs", estime Guy Erat à la CFNR. D’ici la fin de l’année, les conclusions d’une étude sous maîtrise d’ouvrage de l’Établissement public foncier de Lorraine (EPFL) devraient permettre d’y voir plus clair dans le choix d’un site pour la future plate-forme multimodale de la Lorraine."Une importante plate-forme nationale est préférable sur le Rhin. Mais, en Lorraine, une plate-forme régionale bord à voie d’eau semble possible", pointe Jean-Philippe Morétau. D’une surface de 10 à 50 ha, pourvue d’un quai de 200 m, d’une grue, d’un embranchement fer, elle pourrait accueillir 40 000 à 50 000 EVP par an. Dix millions d’euros ont été réservés pour sa construction dans le contrat de projet Etat-région 2007-2013.
Le Land de Rhénanie-Palatinat, qui a récemment investi dans un portique à conteneur sur le port de Trèves, pourrait être intéressé par une relance du conteneur sur la Moselle. "Le problème, c’est l’infrastructure. Il faut vraiment une chaîne coordonnée transfrontalière entre la France et l’Allemagne pour organiser un trafic rentable", pointe Gerhard Nies, secrétaire de la commission de la Moselle à Trèves.
Côté luxembourgeois, le projet ne soulève pas l’enthousiasme: "Le pont ferroviaire de Coblence est un frein, d’autant plus que du Luxembourg vous êtes à Anvers en quelques heures par la route. Une étude d’option stratégique pour le développement du port de Mertert achevée en novembre 2006 a conclu au peu d’intérêt d’acheminer des conteneurs via la Moselle pour nous", pointe Robert Holzem, le directeur du port de Mertert.
QUELS CHARGEURS?
Un facteur essentiel demeure: convaincre des chargeurs… À Metz, Ikea qui est prescripteur auprès de CMA CGM, serait 100 % partant. En 2006, 2 000 EVP ont transité par cet entrepôt, acheminés depuis Anvers par la ligne fret Athus-Meuse. "Nous avons justement choisi de nous implanter à Metz pour l’intermodalité. Ikea souhaite transporter par barge, car cela va dans le sens de notre démarche environnementale. La problématique de cette ligne, c’est qu’il faut une compagnie maritime pour la relancer. Nous avons rencontré les responsables portuaires d’Anvers et de Rotterdam à ce propos à l’automne 2006 et nous faisons partie du groupe de travail monté par les CCI de Lorraine", expose Patrice Turpin, directeur du site de Metz.
En effet, les CCI de Moselle et de Meurthe-et-Moselle se mobilisent actuellement pour relancer une ligne. Pour Dominique Maas, directeur de l’agence de l’affréteur TMF Operating à Nancy, le pari est possible dans la mesure où "il y a un flux majeur sur lequel viennent s’en greffer d’autres. En effet, nous avons toujours des demandes pour du conteneur, mais il ne s’agirait que de quelques lots spots". Même son de cloche du côté de Transest où l’on affirme "travailler à cette ligne, avec des études commerciales".
Reste le contexte général, qui n’est pas trop favorable selon Guy Erat de la CFNR. "Les temps de traitement des bateaux fluviaux à Anvers et Rotterdam sont très longs, notamment en raison de la croissance du trafic: les ports de mer affichent des taux de croissance équivalent à plusieurs centaines de milliers de conteneurs. Même au niveau d’un service qui a été rodé à Strasbourg et Mulhouse-Ottmarsheim, nous rencontrons des difficultés."
Un plaidoyer pour le fluvial
Après Marseille l’an dernier, l’association Seine Moselle Rhône a tenu son assemblée générale au Havre. Créée en 1999 et présidée par André Rossinot, ancien ministre et maire de Nancy, cette structure veut contribuer au développement du transport fluvial par des liaisons à grand gabarit. L’objectif est de permettre la connexion de la Seine, du Rhin, de la Moselle, du Rhône et de la Saône au réseau fluvial européen. “Notre présence est symbolique au Havre. Nous avons voulu montrer le lien étroit qui existe entre le maritime et le fluvial. Et les chiffres sont encourageants”, indique André Rossinot. Jean-Pierre Lecomte, le président du Port autonome du Havre (PAH), qui a reçu la délégation rappelle qu’ au cours des cinq derniers mois, le fluvial a progressé de 37,4 % au Havre. “En 1996, nous étions à 5 000 conteneurs sur la Seine. Aujourd’hui, nous ens somme à 140 000”, prècise-t-il. Après avoir porté le projet du canal Seine Nord Europe, l’association défend désormais l’idée d’une liaison Moselle-Saône. Au cours de l’assemblée, les participants ont également évoqué le projet d’écluse fluvial de Port 2000 pour lequel des études sont mises en oeuvre. Jean-François Dalaise, le président du Port autonome de Paris, a également évoqué les investissements qui ont et seront engagés sur l’Ile-de-France comme la création de trois nouveaux terminaux, deux sur l’Oise (Bruyères-sur-Oise et Limay) en 2008-2009 et un en Seine-et-Marne (Montreau).
François Hauguel
Athus, le concurrent ferroviaire
Implantée en Wallonie, au point de rencontre des frontières belge, française et luxembourgeoise, la plate-forme multimodale d’Athus (route et ferroviaire) relie les ports d’Amsterdam, Rotterdam et Zeebrugge à leur hinterland industriel sur la base de 150 000 EVP par an. Créée en 1979 sur le site d’une ancienne usine, la plate-forme de 11 ha a été créée dans un bassin industriel transfrontalier fortement touché par la crise dans la sidérurgie des années soixante-70. En 2002, la Société nationale des chemins de fer belges (SNCB) a inauguré un nouveau couloir fret européen Anvers/Bâle via Athus baptisé Athus-Meuse, considéré comme l’axe majeur pour la circulation du fret entre le bassin maritime de Rotterdam-Anvers et le sud de l’Europe. “Démarrer un nouveau projet, alors qu’un concurrent existe avec une régularité de service importante, demande un gros investissement”, remarque Guy Erat, responsable de l’activité conteneur à la CFNR. Un nouveau concurrent a également pointé le bout de son nez : l’autoroute ferroviaire entre Luxembourg et Perpignan a été inaugurée le 29 mars dernier. Exploitée par la société Lorry-Rail (1), elle permet d’acheminer des poids lourds par voie ferrée. Elle devrait atteindre le rythme de deux trains par jour en octobre, avant de passer à 10-15 navettes à l’horizon 2015.
P.B.
1) Lorry-Rail rassemble autour de l’initiateur Modalohr la Caisse des dépôts, le groupe Vinci, la SNCF, les Chemins de fer luxembourgeois et l’organisation professionnelle Transport et logistique de France.
Saône-Moselle ou Saône-Rhin
Après l’abandon en 1997 du projet de canal Rhin-Rhône qui devait emprunter la vallée du Doubs, de nouvelles études en vue de la réalisation d’une liaison à grand gabarit entre la mer du Nord et la Méditerranée ont été relancées. Deux tracés sont actuellement à l’étude: une liaison Saône-Moselle et une liaison Saône-Rhin. La première a été commandée en 2003 par le ministère des transports au préfet de la région Lorraine. Elle est entrée dans sa deuxième phase en mars dernier, avec une étude technique et environnementale réalisée à partir d’une analyse des couloirs de passage potentiels. La première phase socio-économique avait évalué à 15 Mt le trafic potentiel sur une liaison Saône-Moselle à l’horizon 2025.
En Alsace, une étude d’intérêt socio-économique concernant un projet de canal Saône-Rhin a été confiée par les collectivités locales au cabinet Eurotrans, auteur de l’étude du canal Seine Nord Europe. Le cabinet devrait rendre ses conclusions début 2008.