La Corée du Nord, ou République démocratique populaire de Corée, compte huit ports de commerce internationaux et une trentaine de ports secondaires, répartis entre les deux façades maritimes du pays. D’un côté, la primauté accordée au transport terrestre, la volonté d’autosuffisance du régime, la longue crise économique et l’embargo commercial imposé depuis 1996 par les États-Unis ont été autant de freins à une activité maritime soutenue et à la modernisation portuaire. De l’autre côté, les ports ont l’avantage de desservir un réseau urbain majoritairement côtier, tout en palliant la détérioration des infrastructures de circulation interne, et bénéficient d’un renouveau des relations diplomatiques et commerciales. Ceci est d’autant plus visible depuis le sommet intercoréen de 2000 et les réformes économiques de 2002 qui favorisent les investissements extérieurs, le développement de zones franches, et se traduisent par une présence chinoise et européenne en plein essor.
DES VRACS AUX BIENS DE CONSOMMATION
Le modèle de développement de la Corée du Nord tend à privilégier l’industrie lourde et le chemin de fer, laissant aux ports un rôle relativement secondaire, soit environ 10 à 15 % de la part modale. Le cabotage ne représenterait que 1 à 2 % du trafic maritime total sur une base moyenne annuelle. La plupart des trafics terrestres reposent sur les mines et l’agriculture (71 %), dont les charbons (32 %), les minéraux (12 %), matériaux de construction (8 %), métaux (6 %), bois (6 %), céréales (4 %) et engrais chimiques (3 %). Le trafic maritime sert davantage aux marchandises générales, comme les biens de consommation, qui font défaut dans le pays en raison de la carence en industries légères. Si les trafics de vracs solides restent relativement constants au cours des deux dernières décennies, ceux des vracs liquides sont particulièrement instables, ce qui illustre bien la dépendance énergétique du pays couplée au manque de devises étrangères. Le troc avec la Chine et la Russie est interrompu dès 1988, annonçant la chute du bloc soviétique et provoquant une crise économique profonde dans tous les secteurs, jusqu’en 1998 où ce trafic retrouve son niveau initial, sur fond d’isolement diplomatique et d’aide humanitaire internationale. Ce n’est que depuis 2002 que l’on peut parler de véritable relance, notamment avec les flux de conteneurs, ce qui illustre la dynamique d’ouverture et la modernisation récente du pays, même si les volumes restent modestes.
DES INFRASTRUCTURES À RENOUVELER
La plupart des infrastructures portuaires furent créées durant l’occupation japonaise (1910-1945) et, jusqu’aux années 2000, les investissements ont stagné hormis quelques quais pétroliers et équipements de stockage. À l’ouest, Nampo est le port de Pyongyang. Relié à la capitale par une autoroute à dix voies sur 40 kilomètres, il assure plus de la moitié du trafic maritime du pays et reste le port le plus moderne. Pourtant, l’écluse ouvrant sur la mer Jaune restreint l’accès aux navires de 50 000 tpl maximum, et le fleuve Daedong n’est navigable que par barge. Un quai pour marchandises générales et un terminal à conteneurs ont été construits en 2001 et 2006 respectivement pour faire face à la croissance des trafics et moderniser le port. Un second terminal à conteneurs est à l’étude sur la rive gauche, sous financement chinois. La Chine mise aussi sur le port de Rajin au nord-est pour le trafic de transit vers le Pacifique, et prévoit la concession pour 50 ans d’un nouveau terminal à conteneurs, l’amélioration du lien routier avec la province voisine de Jilin ainsi que la création d’une zone franche logistique à Namyang pour l’accueil d’entreprises sud-coréennes, japonaises et chinoises. Ce projet devrait permettre de donner un nouvel élan à la zone franche de Rajin-Seonbong, bien connectée à la Russie par voie ferrée et déjà intégrée à la zone de coopération transfrontalière du fleuve Tumen sous l’égide des Nations Unies.
Une nouvelle zone franche est également projetée sur les îles de Bidan et Wihwa, près de Sinuiju. L’autre avantage des ports est de faciliter l’exportation des nombreuses ressources naturelles (lignite, anthracite, fer, zinc, magnésite…), essentiellement localisées sur la cote Est, comme à Danchon, la troisième plus grande mine de magnésite au monde. Depuis l’effondrement économique du pays et la très nette détérioration des infrastructures terrestres, ces ressources sont particulièrement enclavées.
L’AXE PYONGYANG/SINUIJU PRIVILÉGIÉ
La gestion des ports est assurée par la Korea Ocean Shipping Agency (KOSA), une agence gouvernementale en charge de toutes les procédures liées aux escales des navires en Corée du Nord. En vertu de la loi sur les navires étrangers, ceux-ci sont dans l’obligation de contacter la KOSA avant d’accoster.
L’agence est responsable de la plupart des services aux navires en termes de délivrance de permis, réservation des quais, gestion de la manutention, surveillance, réparation et inspection des navires, avitaillement et rapatriement d’équipage. En plus, la KOSA assure la gestion des documents administratifs tels que les connaissements, les déclarations de douane et les plaintes en cas de dommage aux biens transportés durant le chargement ou le déchargement. L’activité portuaire reste sous contrôle de l’armée dans tout le pays, mais celle-ci est depuis un certain nombre d’années le principal entrepreneur du développement national.
En raison du contrôle systématique des flux par l’armée, couplé à l’état général du réseau de transport intérieur et aux nombreuses carences des ports en termes de manutention, les compagnies maritimes courent le risque de voir leurs conteneurs immobilisés trop longtemps dans le pays. Seulement 7 % des routes sont revêtues, principalement à l’ouest dans la région de Pyongyang, et l’énergie électrique n’est pas suffisante pour permettre aux trains de fonctionner de façon régulière: quasiment 70 % du réseau ferré, principalement à une voie, est électrifié. Pour ces raisons, l’axe Pyongyang-Sinuiju est privilégié puisque 80 % des exportations nord-coréennes transitent à terre par la Chine. En interne, 40 % du trafic est réalisé entre les pôles de Nampo, Pyongyang et Sinuiju. Le reste des flux se partage entre les villes du Nord-Est (34 %), Cheongjin et Rajin, et autour des principaux centres urbains tels Wonsan et Hamheung à l’Est, Kanggyae et Hyesan dans les montagnes au Nord, l’ensemble restant peu accessible – voire hors d’atteinte dans certains cas – depuis Pyongyang par camion. Si d’un côté les entreprises en Corée du Nord dépensent 40 % de leurs coûts de production dans la logistique, il est relativement aisé de trouver suffisamment de conteneurs dans la région de Nampo pour l’exportation.
UN ACCORD MARITIME INTERCORÉEN
D’ailleurs, la plupart des entreprises étrangères récentes en Corée du Nord ont privilégié le corridor Pyongyang/Nampo, grâce aux connexions maritimes régulières avec Dalian en Chine et Incheon en Corée du Sud, qui jouent le rôle de hubs de transbordement. Parmi les entreprises étrangères récemment implantées en Corée du Nord, dont 120 Chinoises, mais aussi des Européennes, nombreuses ont élu le corridor industrialo-portuaire de Nampo/Pyongyang en raison d’un accès maritime et routier favorable.
De plus, Nampo se retrouve privilégié par l’accord maritime intercoréen signé en 2004, stipulant la libre circulation des navires coréens dans les eaux territoriales respectives, l’ouverture de nouvelles lignes régulières entre les ports des deux pays, ainsi qu’une assistance réciproque en cas d’accident. La compagnie maritime sud-coréenne Kook Yang est ainsi agréée par le Ministère de l’Unification sud-coréen pour assurer le lien entre Incheon au sud et Nampo au nord. Cette ligne concentrerait 90 % des trafics intercoréens, alors même que le commerce intercoréen est à 90 % maritime, en raison du blocage terrestre (DMZ). La Corée du Sud est devenue le partenaire principal par voie maritime de la Corée du Nord, avec plus de 50 % de la capacité totale et 90 % des flux conteneurisés nord-coréens, contre moins de 10 % respectivement il y a à peine 10 ans. Par contre, face à l’emprise chinoise croissante, et sans une paix durable, la plupart des projets sud-coréens de développement portuaire sont rejetés par le Nord (Wonsan, Heungnam et Nampo), ainsi que ceux portant sur la reconnexion des voies ferrées intercoréennes. Seulement quelques camions par jour peuvent passer la DMZ afin de relier Séoul au Parc Industriel de Gaeseong ouvert en 2004, où 15 entreprises sud-coréennes accueillent 10 000 ouvriers nord-coréens depuis fin 2006. Face aux contraintes terrestres, le coût du transport maritime est passé de 1 000 à 250 € par EVP pour un trajet aller-retour entre Incheon et Nampo (24 h, 100 km). Ceci est permis en partie par la signature d’un accord entre les deux ports en 2005 pour la mise en place d’un service régulier de ferry. Cependant, le coût fixe par EVP reste une barrière (70 € contre 10 pour la Corée du Sud), la faible rentabilité venant aussi du fait qu’environ 45 % des conteneurs envoyés au Nord reviennent vides, le pays étant surtout importateur. Des discussions sont en cours sur l’ouverture d’une zone de pêche commune et une coopération a déjà lieu au niveau de l’extraction de sable par des barges sud-coréennes à l’embouchure du fleuve Han.
* César Ducruet est professeur assistant à l’Université Erasmus de Rotterdam.
Stanislas Roussin est directeur général de SERIC Corée, société de consulting française implantée en Corée du Sud et en Corée du Nord, où elle y représente notamment le Port autonome du Havre.
Les relations commerciales
Dès les années soixante-dix, la part des pays capitalistes dans le commerce international nord-coréen n’a cessé de progresser. Derrière l’apparente “fermeture”, le pays a été forcé de négocier avec ses voisins proches: plus de 75 % du trafic est réalisé avec ses voisins immédiats (Asie du Nord-Est) en 2005, contre 63 % environ en 2001, et ceci, malgré la détérioration des relations avec le Japon. La croissance de la Thaïlande et de la Russie s’explique par le besoin énergétique et alimentaire, tandis que l’on estime la part de l’aide humanitaire dans le commerce avec la Corée du Sud entre 25 % et 60 % selon les années. En définitive, les flux commerciaux les plus importants sont générés par la Chine, souvent taxée de jouer un double jeu entre développement fraternel et mise sous dépendance accrue. L’habitude – et désormais la quasi nécessité – pour les dirigeants nord-coréens de privilégier le profit rapide par rapport aux projets de développement à long terme est sans doute la faiblesse majeure du régime de Pyongyang, que le voisin chinois n’a de cesse d’exploiter.
Ces tendances lourdes n’éliminent pas l’importance de l’Europe et de la France dans les choix nord-coréens. Celui de l’Euro, par Kim Jeong-Il, en 2002, comme monnaie d’échange international en est l’un des signes certains. Pour les ports européens, la collaboration durable avec les nœuds-clés du monde asiatique tels Shanghai, Busan et Hong Kong devient un critère de taille pour le captage d’avant-pays en plein essor économique. Situés à l’intersection des plus grandes puissances économiques asiatiques, les ports nord-coréens n’ont pas d’autre choix que de devenir les pionniers d’une relation accrue entre l’Europe et l’Asie, à terre et sur mer.
Le corridor industrialo-portuaire de Nampo-Pyongyang
Le glissement progressif des populations et des activités vers l’ouest du pays depuis les années 1980 a favorisé l’émergence d’un corridor industriel reliant Pyongyang à Nampo, le port principal. Cette zone concentre l’essentiel des 20 % d’usines en état de fonctionner, et subit moins qu’ailleurs les coupures d’électricité et les difficultés d’approvisionnement en carburant. Avec environ 4,5 millions d’habitants en 2005, ce corridor est la plus grande concentration humaine du pays (20 % de la population). Le coût d’un ouvrier (50 €) ou d’un cadre (180 €) pour une entreprise étrangère y est attractif et on y trouve les employés les mieux formés (toutes les grandes universités nationales sont à Pyongyang). Deux autoroutes de 6 et 10 voies, ainsi qu’un réseau ferré dense, permettent une connexion rapide entre les deux villes principales, les cinq complexes industriels et les sites miniers. En réponse à cet environnement local relativement favorable, les investissements étrangers s’y sont développés. On peut notamment citer la Daean Friendship Glass Factory ouverte en 2006 et financée par la Chine en échange de l’achat de matières premières et d’énergie, ainsi que l’usine automobile Pyongwha récemment reprise en main par le groupe chinois Brillance. Du côté européen, la coentreprise Daean-Meccamidi emploie depuis 2004 une centaine d’ouvriers produisant des générateurs (de 1 à 50 MW) pour le vaste programme d’équipement hydro-électrique nord-coréen. Ainsi, la Corée du Nord et plus encore Nampo-Pyongyang apparaît comme une alternative possible à la Chine comme zone d’investissement pour l’exportation.