Analyser la situation du port de Fort-de-France revient à qualifier un verre de demi plein ou à moitié vide. L’une ou l’autre vision revient au même, le volume est identique. Sur le port de Fort-de-France, la situation est analogue. Tandis qu’une ère se termine, une nouvelle s’annonce sur la place portuaire
En 2006, le port a enregistré un trafic de 3,16 Mt, soit une progression de 2,9 %. Un résultat convenable qui tient principalement à la bonne marche des vracs liquides. Le pétrole brut atteint 816 150 t et se stabilise, bon an mal an, au même niveau. En provenance de Trinidad et du Venezuela dans une moindre part, il est guidé par la consommation locale. À l’export, les vracs liquides se composent surtout de produits raffinés acheminés vers la Guadeloupe et la centrale électrique de Belle Fontaine.
Les vracs solides participent aussi à cette hausse avec un trafic de 290 916 t. Le principal courant revient aux matériaux de construction. Le clincker et le gypse, en provenance des États-Unis, y sont majoritaires avec 223 382 t. Ensuite viennent les céréales, avec du blé pour la minoterie GMA et des produits pour l’alimentation animale. Enfin, les engrais, qui entrent pour 15 417 t, constituent le troisième volet des vracs secs. Ces produits ont aussi été réexportés vers des îles avoisinantes. Un trafic de 450 t d’export d’engrais s’affiche sur les résultats.
Crise de la banane
Troisième poste en terme de trafic, les marchandises diverses connaissent un sort différent. Composées de conteneurs et de voitures, les diverses de la Martinique rencontrent des difficultés dans certains domaines. Pour les voitures, le trafic, estimé à environ de 24 000 véhicules par an, continue de progresser, "lentement mais sûrement", précise Frantz Thodiard, directeur des concessions de la CCI de Martinique et par la même du port. L’autre grande composante des diverses se retrouve dans les conteneurs. Avec 156 142 EVP manutentionnés, Fort-de-France accuse une baisse de 1,5 %, soit une perte de 2 401 EVP. Un repli à imputer à l’exportation des bananes. En 2006, 20 146 EVP chargés de bananes, généralement dans des boîtes de 40’, ont transité par le port, soit 3 732 EVP de moins que l’année passée. "Cette baisse des trafics de banane n’est pas nouvelle. Elle dure depuis au moins deux ans et trouve son origine dans une crise sans précédent avec la concurrence de la banane dollar", explique Frantz Thodiard. "En 2006, nous avons atteint un palier dans cette descente", continue-t-il. Parce que la banane est plus qu’un fruit pour la Martinique, c’est un véritable enjeu économique et social. Le secteur vit "sous perfusion" depuis plusieurs années avec des aides du gouvernement. Le port y a même été de sa poche en offrant des conditions de passage plus favorables. Est-ce encore ajouter du produit à la perfusion? "En faisant ce geste, nous jouons notre rôle d’outil pour accompagner l’économie locale", rappelle le directeur du port.
Un port de transbordement?
Face à la perte du trafic bananier, le port cherche d’autres sources de développement. La solution pourrait venir du transbordement en faisant de l’île un hub pour les Caraïbes. Un projet ambitieux, mais qui répond à une demande. "Le potentiel existe dans la région. Nous l’estimons entre 1,5 MEVP et 1,8 MEVP. Nous voulons prendre une part de ce marché." Un projet que Fort-de-France n’est pas le seul à porter. En Guadeloupe, mais aussi en Jamaïque ou à Porto Rico, les autorités portuaires voudraient aussi jouer ce rôle pour capter les "navires mères". Il est certain que la position géographique des Caraïbes est idéale. À la croisée des routes Est/Ouest, qui arrivent ou partent du canal de Panama, et Nord/Sud entre les Amériques, la kyrielle d’îles caribéennes peut prendre une part dans ce marché. Toute ambition a son lot de concessions et le port de Fort-de-France devra en faire en investissant. Il prévoit ainsi l’agrandissement du terminal de la Pointe des Grives en lui rajoutant une quinzaine d’hectares. Un investissement qui devrait démarrer dans les prochains mois. De plus, une route reliant le terminal à conteneurs et l’Hydrobase, site où sont traités les autres trafics, devrait être construite.
La réalisation de ce projet de hub des Caraïbes passe malgré tout par des étapes à mettre en place. D’abord, le départ précipité – en mars – de Mærsk Line en propre sur les Antilles est un coup dur. "Nous sommes revenus à une situation où un seul opérateur emporte les trafics de banane, CMA CGM. Nous ne devons pas nous retrouver dans une situation monopolistique", s’inquiète Frantz Thodiard. L’arrivée d’un nouvel opérateur est vivement souhaitée. Et le directeur du port avoue avoir eu des contacts avec d’autres armements pour qu’il fasse venir des lignes mères. Donald Monplaisir, gérant de Cama, agence maritime, regarde la situation avec intérêt. "Au cours des trente années d’existence de notre société, nous avons plusieurs fois participé à l’arrivée d’outsiders en Martinique pour prendre une partie des trafics de bananes. Ce fut le cas de la Compagnie de navigation mixte, puis d’un armement britannique, de la Franco France, devenue ensuite La Fruitière, puis de Horn Linie. À chaque fois, la CGM, à l’époque, a mené une politique tarifaire agressive pour conserver son trafic. Lors de l’arrivée de Mærsk, le trafic s’est fermé. Le départ du groupe danois ouvre de nouvelles perspectives, nous regardons avec intérêt les outsiders potentiels", explique Donald Monplaisir. Quant à savoir quel armement pourrait venir s’installer sur les terres de CMA CGM, peu de noms trouvent écho dans la place portuaire. Les négociations restent secrètes. Et Frantz Thodiard refuse d’aborder trop en détail les possibilités, il reconnaît simplement, "si des groupes de manutention ou des armateurs demandent à me voir, je les recevrais". Un dossier qui devrait déboucher prochainement.