Chaque année, de 1,1 à 1,2 million de passagers empruntent l’axe Guadeloupe/Marie-Galante/ Les Saintes/Martinique/Sainte-Lucie. Mais ce secteur est confronté à de nombreuses difficultés. S’il faut compter sur la concurrence de l’aérien sur l’axe Fort-de-France/Pointe-à-Pitre, l’arrivée massive de nouveaux opérateurs pour la desserte maritime interîles fragilise le marché. Ainsi, pas moins de 10 compagnies maritimes nouvelles ont débarqué en 20 ans au départ du port de Pointe-à-Pitre par lequel transite 70 % du trafic. La durée de vie de ces nouveaux entrants va de 15 jours! à 2 ans et demi. Même s’ils finissent par quitter "le navire", ils affaiblissent à chaque fois les opérateurs établis.
Les navires sont eux aussi de plus en plus chers. Alors que le prix du mètre linéaire pour une unité neuve était de 150 000 € au milieu des années quatre-vingt-dix, il s’élève aujourd’hui à 250 000 €, d’où une hausse de 66 %. Le prix de l’aluminium a lui aussi fortement augmenté. Les équipements embarqués deviennent de plus en plus onéreux au vu des nouvelles normes de sécurité et de sûreté. Des coûts en augmentation auxquels il faut ajouter une flambée des prix du carburant. Or, les soutes comptent pour 20 à 25 % des charges de compagnies devant celles du personnel, 20 à 25 % et l’entretien.
De même, les procédures d’exploitation sont de plus en plus coûteuses pour les compagnies maritimes. Les coûts supplémentaires se concrétisent par l’enregistrement nominatif des passagers. Il est obligatoire au-delà de 20 000 nautiques, soit de Pointe-à-Pitre vers les Saintes ou Marie-Galante. De même, les brevets et diplômes obligatoires pour le personnel sont à la charge de l’armement.
Les difficultés du marché proviennent aussi des erreurs des armateurs. Bien des navires déployés ont été achetés trop cher, ou encore sont mal adaptés à la desserte. Un non-sens qui aboutit à des échecs à répétition et fait fuir la clientèle du maritime.
Le maritime incontournable sur les lignes courtes
Le transport maritime de passagers aux Antilles françaises a néanmoins un avenir. Ainsi, sur les axes courts, le maritime est incontournable. Le rapport NGV/aérien est le même pour un trajet de moins d’une heure comme sur Marie-Galante et les Saintes au départ de Pointe-à-Pitre. Pour des trajets de 1 h et 2 h, le NVG cumule 80 %, l’aérien 20 % entre Pointe-à-Pitre et la Dominique (1 h 45) ou entre Fort-de-France et la Dominique (1 h 30) ou entre Fort-de-France et Sainte Lucie (1 h 20). À l’inverse, au-dessus de 3 h 45 – comme entre Pointe-à-Pitre et Fort-de-France –, l’aérien l’emporte sur le maritime
Par ailleurs, les besoins en transport augmentent, parallèlement à la croissance de la population. Et parce que le niveau de vie augmente, notamment dans les îles les plus pauvres comme la Dominique et Sainte-Lucie, les populations accèdent plus facilement au voyage. D’autre part, un développement touristique est encore possible. Sur ce plan, Marie-Galante et la Dominique demeurent encore largement inexploitées.
L’aide à la continuité territoriale est aussi un atout pour le transport maritime paraît immuable
Désormais vécue comme un droit par la population, cette aide dope le marché. Alors qu’entre la Corse et l’Hexagone, elle atteint jusqu’à 75 % du prix du billet, contre 25 % au maximum entre la Guadeloupe et les dépendances. L’espoir est là. Ce dispositif pourrait même être étendu sur les liaisons Pointe-à-Pitre/Fort-de-France pour certains types de passagers (étudiants notamment) à l’image de ce qui se pratique entre Pointe-à-Pitre et Paris en aérien.
“L’Express des îles”, leader sur le marché du transport interîles
Être plus près de ceux qui nous sont proche, telle est la devise de la compagnie maritime L’Express des îles, basée en Guadeloupe. Son président, Rolland Bellemare, s’explique sur sa stratégie et ses spécificités.
Journal de la Marine Marchande: Comment expliquez-vous ce succès alors que la concurrence semble de plus en plus présente?
Rolland Bellemare (R.B.): “Principalement à deux choses. La première tient dans le choix des navires, autant dans la taille que dans la vitesse. Il s’agit de ne pas se tromper et de ne pas voir trop grand. On voit trop souvent la concurrence débarquer, ne connaissant pas suffisamment le marché et proposer des embarcations surdimensionnées. Quant à la vitesse, là également, le bât blesse. Ce qui arrive au Smyrill, le car-ferry de Trans-Islands bloqué à quai dans le port autonome et qui attend une décision judiciaire pour connaître son sort est une autre illustration de la méconnaissance et de la précipitation de certains à vouloir bousculer un marché spécifique à nos îles.
Notre deuxième force, ce sont les hommes. Pour la petite histoire, en 2000, ATE a fusionné avec Caribean Express et donne naissance à L’Express des îles. En 2001 le groupe Bourbon, basé à la Réunion, vend toute la compagnie L’Express des îles à ses salariés et grâce à eux, elle renaît de ses cendres. Ils ont aujourd’hui 55, dont 7 basés à la Martinique. Depuis, L’Express des îles peut s’enorgueillir d’être la seule à gagner de l’argent dans un secteur où tous les armements locaux sont d’origine familiale, une pratique couramment employée en Guadeloupe. Aux prix de certains sacrifices consentis, quand les deux compagnies Brudey et Deher arrivent sur le même marché, très vite, il a fallu passer d’une desserte par jour à 2 par semaine. Et c’est ainsi, qu’au lieu d’enregistrer une perte de 1 M€, on dégage aujourd’hui 30 000 € sur la desserte Pointe-à-Pitre/Marie-Galante/les Saintes.”
JMM: En somme, vous entendez que vous avez su adapter l’offre à la demande et aux moments opportuns. Que représentez-vous en termes de flotte, de lignes, de nombre de passagers transportés?
R.B.: “Notre compagnie transporte entre 620 000 et 650 000 passagers par an sur ses deux navires: le Gold-Express avec 446 passagers sur le trajet Pointe-à-Pitre/Marie-Galante et le Silver-Express avec 360 passagers et 10 véhicules au départ de Pointe-à-Pitre sur les Saintes, la Dominique, la Martinique et Sainte-Lucie. J’aimerais rajouter que la SAS Express des îles est le transporteur officiel de La Poste sur Marie-Galante et pour les plis non urgents sur Fort-de-France au départ de Pointe-à-Pitre, et ce, depuis plus de 15 ans. En 2006, on a totalisé 618 154 passagers transportés, avec une activité saisonnière en forte pointe en période de vacances scolaires en juillet et août, durant les petites vacances et les week-ends.”
Propos recueillis par Marie-Ange Terrasse