Peut-on évaluer le préjudice écologique?

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La nature s’est fait entendre mercredi 25 avril par la voix de deux universitaires, Jean-Pierre Beurier, directeur du Centre de droit maritime et océanique à l’Université de Nantes, et de Martin N’dende, professeur de droit des transports internationaux dans cette même université. Ils précédaient à la barre François Bonnieux et Patrick Point, tous deux chercheurs, respectivement à l’INRA et au CNRS.

En 1974, précise Jean-Pierre Beurier, pour la première fois, un auteur américain publie une étude entendant démontrer que la nature est "sujet de droit" et pas seulement "objet de droit". Le dommage écologique est depuis lors de plus en plus souvent distingué du dommage économique. L’article 1 de Montego Bay établit ainsi une distinction entre les dommages causés aux ressources halieutiques (ressources commerciales) et au biotope. "Quelle est la définition d’un désastre écologique?" À cette question du président Parlos, Jean-Pierre Beurier apporte cette réponse: "C’est un dommage non marchand portant atteinte à des biens immatériels tels que le biotope ou un écosystème." "Comment évaluer le préjudice et apporter une réparation?", poursuit le président. Réponse: "Toute la question est là!" La tendance actuelle est à la compensation. Le professeur cite plusieurs exemples de sociétés dont les travaux ont détruit des biotopes et qui ont été condamnées à réaménager un biotope équivalent. L’article 1-6 de la convention CLC 92 prévoit que des indemnités peuvent être versées, limitées au coût des mesures raisonnables de remise en état et le Fipol accepte également d’indemniser la restauration de biotopes "à des conditions raisonnables", signale le professeur qui conclue à une évolution lente vers le remboursement du préjudice écologique.

Le professeur N’Dende a été très sollicité par les avocats des parties civiles comme par le ministère public lorsqu’il a abordé la notion de "faute inexcusable" ou de "faute de témérité" citée tant dans la convention CLC que dans les règles de Hambourg. "La faute inexcusable est au cœur de l’enjeu civil de ce procès", a estimé un avocat de la région Pays-de-la-Loire. "Le fait d’approuver un navire « limite acceptable », est-ce un comportement téméraire?", interroge le procureur. "Je dis oui! Le fait pour une personne de laisser un navire prendre la mer avec des « insuffisances graves » constitue une faute inexcusable", répond-il.

Il a ensuite été interrogé sur les conditions de l’affrètement au voyage. À la question: "Qui est titulaire de la gestion nautique?", le professeur a affirmé que: "L’affréteur au voyage peut donner des instructions au navire dans le cas de transport de matières dangereuses."

C’est sur le sujet de "l’évaluation économique du préjudice écologique causé par le naufrage de l’Erika" que François Bonnieux a été entendu et interrogé. Il est l’auteur d’un rapport du même nom commandé par l’Association interrégionale Ouest littoral solidaire qui a pour membres les régions Bretagne, Pays-de-la-Loire, Poitou-Charentes. Considérant les pertes d’agrément pour les populations résidentes qui ont dû renoncer à la pêche à pied, il fixe le coût des dommages subis à 93,8 M€. S’inspirant de l’étude menée à l’occasion de la marée noire de l’Exxon-Valdez, il estime à une vingtaine d’euros par ménage le prix que les habitants sont prêts à payer pour protéger leurs écosystèmes côtiers! Il a ensuite considéré, d’après la courbe de fréquentation touristique que la durée du préjudice écologique a été de deux années. L’agrégation de ces estimations aboutit à un chiffrage du préjudice écologique de 370 M€.

L’audience s’est achevée sur le témoignage de Patrick Point sur l’évaluation économique du patrimoine naturel. Il a répondu au président Parlos que, parmi les institutions capables de procéder à une expertise sur la valeur d’un environnement naturel, il pouvait citer l’Ifremer, le CNRS et l’INRA.

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