"L’Erika s’est cassé à la fatigue, à force de tensions et de contre-torsions du fait de la houle et de la contrainte exercée au centre de la coque par les soulèvements alternatifs de l’avant puis de l’arrière", telle était la conclusion donnée, lundi 16 avril, par Dominique Paulet, architecte naval, nommé comme expert par le premier juge d’instruction, Mme de Talancé. Il a été appelé à donner son avis sur les causes du naufrage de l’Erika aux côtés du commandant Clouet, ingénieur de l’École navale, d’Hervé Chéneau et de Lucien Bekourian, ancien officier au long cours, possédant une spécialité dans le nettoyage des cuves.
L’architecte naval a signalé un certain nombre d’éléments qui, de son point de vue, ont pu affaiblir la résistance du navire. Le "flambage" sur le pont constaté par des membres de l’équipage aurait ainsi pu être provoqué par la compression exercée sur des lisses de pont qui n’étaient plus soudées au bordé de pont du fait de joints de soudures corrodés à 45 %, comme il a été observé lors de la visite préalable à Bijela, en février 1998.
Le navire aurait par ailleurs été affaibli par le remplacement, dans les parties hautes de la cloison longitudinale de la citerne centrale, de tôles de 13 mm d’épaisseur, par des tôles de 10 mm, sur 22 m2et le remplacement de tôles 16 mm par des tôles de 12 mm sur 19 m2 du pont, tandis qu’une lisse sur deux seulement était remplacée. Ces zones perdant 25 % d’épaisseur avaient une résistance à la compression diminuée de 58 % et le module de flexion était diminué de 17 %.
Ces corrosions aggravées, cette faiblesse du pont en font un navire très en dessous de sa classe après Bijela. Il s’agissait d’un navire en fin de cycle d’exploitation avec de forts risques de défaillance structurelle et de corrosion. Le refus de la compagnie BP lors de son contrôle effectué à Augusta le 23 novembre 1999 d’accorder son feu vert à l’Erika met en évidence en tranche 2 un mauvais état des tôles de carreau et des défauts d’étanchéité des tapes de nettoyage, estime le commandant Clouet.
L’insuffisance de remplissage des soutes au départ de Dunkerque aurait par ailleurs obligé le navire à garder 3 000 t de ballast pour rester droit, ce qui aurait eu une incidence sur la gestion de la sécurité. L’insuffisance des soutes moteur aurait poussé le navire à faire route au mieux.
Pour les quatre experts, la cassure du navire s’amorce sur le pont par flexion dans la zone de plus grande faiblesse. Elle progresse ultérieurement aux bordés hauts et à leurs structures adjacentes. Au-delà, la destruction s’opère par torsion et la cassure se termine aux fonds.
Au président du tribunal qui lui demande quelle est la cause du naufrage du navire, le commandant Clouet répond que "l’Erika a cédé par le fond. Ce n’est pas par l’eau qu’il aurait absorbée par les fissures du pont qu’il a pu casser, puisque ses citernes étaient pleines".