Philippe Deiss (P.D.): "Nous avons réalisé une année 2006 dans la moyenne avec une perte de 5,4 % de notre trafic. Dès le mois de décembre 2005, nous avions annoncé ce score en raison de la bonne performance des trafics pétroliers en 2004. En 2006, nous avons perdu 8 % d’hydrocarbures par rapport à l’année précédente. Si maintenant on considère ce courant sur les dernières années, nous sommes plutôt sur une tendance de consommation d’hydrocarbures bonne.
S’agissant des graines, nous accusons un retrait lié à la baisse des trafics de tourteaux de soja en raison de la grippe aviaire. Nous avons réalisé un record sur les trafics conteneurisés avec une progression de 8,4 % à 54 661 EVP.
Aujourd’hui, le port de Bordeaux calibre son trafic moyen à 8,5 Mt. Deux courants nous alertent: le maïs avec un effritement en raison du départ de ces produits par camion et non plus par navire vers la péninsule ibérique, et le pétrole brut. À l’inverse, nous avons réalisé une bonne campagne sur les céréales à paille comme les blés et nous avons signé des accords pour les biocarburants. Sur le pétrole brut, un bruit de fond nous indique des changements, mais la société Vermillon lance cet été une campagne de forage pour détecter de nouvelles sources de pétrole dans la région d’Arcachon, ce qui viendrait compenser nos pertes par ailleurs."
JMM: Sur les premiers mois de 2007, cette tendance se confirme-t-elle?
P.D.: "Sur les deux premiers mois de l’année, nous avons enregistré une hausse des trafics. Depuis le mois de mars, avec la hausse des températures, nous voyons nos trafics d’hydrocarbures se ralentir. De plus, l’accident sur une cuve de stockage à Ambès devrait impacter nos exportations de pétrole brut. À l’inverse, nous estimons que les trafics de granulats avec l’implantation de Lafarge devraient compenser cette baisse. Au final, nous conservons nos prévisions de trafic pour l’année 2007 à environ 8,4 Mt.
Une analyse par courants démontre que notre port consolide ses positions pour l’avenir. Sur les vracs liquides, à moyen et court terme nous estimons que le brut, qui devait décroître, pourrait se reprendre si la campagne de forage de Vermillon confirme ses explorations. Sur les produits raffinés, les trafics du port sont supérieurs à la hausse de la consommation française parce que nous avons agrandi notre hinterland et nous visons maintenant un peu plus au sud, vers Brive et Toulouse. Sur les produits chimiques, l’arrivée du biocarburant pourrait doper ce courant. Sur les vracs solides, outre les difficultés rencontrées sur les tourteaux de soja, nous enregistrons une bonne progression avec notamment nos trafics de charbon, engrais et ciment. Enfin, sur les diverses, le port a connu, l’an passé une bonne progression des trafics de conteneurs. Le bois retrouve sa place et la pâte à papier maintient le cap."
JMM: Le port a plusieurs projets dans ses tiroirs: importation de granulats marins depuis le nord de l’Europe, les implantations de Lafarge et de la Screg qui doivent permettre de diversifier les trafics. Ces projets sont-ils mûrs pour 2007?
P.D.: "Nous avons plusieurs projets qui démarreront dans les prochains mois pour les matériaux de construction. D’abord, il faut considérer la situation de la Gironde dans ce secteur. Nous consommons 12 Mt par an et nous en produisons 9 Mt. Le solde arrive par camion de Dordogne et Charente-Maritime. Nous avons donc mené un projet d’importations de granulats marins depuis l’Écosse et la Norvège avec des navires auto-déchargeants. Au total, entre 300 000 t et 500 000 t de granulats devraient arriver dans notre port tous les ans. Ces produits accosteront sur le terminal de Grattequina, où sont déjà traités des trafics de granulats provenant de l’estuaire. Seule ombre à ce tableau, la desserte routière qui doit être améliorée.
Nous allons moderniser l’accès routier à ce terminal. Nous parlons d’un projet qui pourrait se concrétiser, au mieux, à la fin de 2008 ou au début de 2009."
JMM: Ce projet nous éloigne. Quels sont ceux qui peuvent voir une issue plus proche de nous?
P.D.: "Plus proche de nous, notre grande réussite est l’arrivée de Lafarge sur le port qui importe des laitiers depuis Dunkerque. Les premiers essais ont été réalisés en fin d’année dernière. L’inauguration en mars de cette usine augure d’un trafic de 200 000 t pour 2007. Rapidement, selon les responsables locaux de Lafarge, le trafic atteindra la barre des 300 000 t. Outre ce gain de trafic, ce projet s’est construit sur une nouvelle formule. Nous avons créé une société commune comprenant Lafarge, la société de manutention Sea-Invest et le port. Le port a modernisé l’outillage pour faciliter ce trafic. Ce projet est important pour la place portuaire. Les 300 000 t de trafics de Lafarge représentent 10 % de manutention en plus sur les outils portuaires publics.
Autre projet lié aux matériaux de construction, le développement de la société Screg sur notre port. Après des déboires, ce projet se finalise sur un trafic de 60 000 t par an de bitume. La Screg s’est installée sur le terminal de Blaye et les premiers navires sont attendus dans le courant du premier semestre 2007.
Enfin, nous avons un projet sur les ferrailles. Ce courant, en dent de scie ces dernières années, doit pouvoir se stabiliser et se développer. La société CFF prévoit de regrouper ses sites régionaux sur le terminal de Bassens. Ils souhaitent un terminal qui soit embranché fer pour acheminer depuis l’intérieur leurs produits et les exporter. Nous travaillons avec la mairie concernée sur les conditions d’installation pour boucler le projet. Ce trafic pourrait nous apporter jusqu’à 60 000 t par an."
JMM: D’autres projets concernent les vracs liquides, notamment avec l’implantation d’un terminal méthanier au Verdon et d’une installation de trituration pour la fabrication de biocarburant. À quel stade en sont ces deux projets et pour quel gain de trafic?
P.D.: "Ils avancent bien. S’agissant du biocarburant, les autorisations sont délivrées au compte-gouttes. La société Diester Industrie, qui pilote ce projet, doit déposer un permis de construire pour son unité de fabrication pour un démarrage de production en 2008. À l’heure actuelle, nous ne préférons pas donner d’estimation de trafics supplémentaires. Ce dont nous sommes sûrs c’est que 200 000 t de ce produit vont venir se mélanger à des hydrocarbures. En entrant sur ce marché, nous étendrons notre hinterland. L’autre projet, de taille, vise l’implantation d’un terminal méthanier sur le port du Verdon. Il convient de rappeler que nous travaillons depuis 1999 sur ce projet avec Elf. L’idée a été reprise par le groupe néerlandais 4Gas et nous avons conclu un accord le 10 août dernier. Cette société intervient comme stockeur pour des clients, il n’est pas négociant. Nous leur avons réservé 20 ha sur ce site. 4Gas a déposé son dossier auprès de la Drire et de la commission nationale du débat public. Au mieux, 4Gas pourrait commencer en 2012.
Un autre client, Snet/Endesa, devrait aussi s’implanter sur ce site pour d’autres trafics de gaz. Ce dossier avance différemment en raison de problèmes de rachat et de stratégie au niveau européen. Le dossier existe toujours.
Au final, le terminal méthanier devrait nous apporter quelque 2 Mt à 3 Mt."
JMM: Dernier volet des grands courants de trafic, les marchandises diverses. En 2006 vous avez réalisé une bonne performance sur les conteneurs. Quels sont les potentiels de développement dans ce secteur?
P.D.: "Aujourd’hui, nous avons deux terminaux réalisant à parité le trafic conteneurisé: Le Verdon et Bassens. L’an passé, nous avons progressé de 8,4 % à 54 661 EVP, un record historique. Trois armements font escale dans nos terminaux: CMA CGM et Delmas d’une part, et MSC. Nous avons un potentiel de développement. Nous travaillons sur la mise en place d’un feeder non dédié. Aujourd’hui, nous avons un service sur l’Europe du Nord par CMA CGM. Nous sommes en négociations avec Delphis pour mettre sur pied un service ouvert.
De plus, on estime à environ 150 000 le nombre de boîtes qui partent directement par route vers Le Havre ou Marseille. Dans ces conteneurs se retrouve du vin ou du cognac, acheté par des Asiatiques qui les centralisent sur les grands ports. Nous menons une démarche commerciale pour tenter de rapatrier ces conteneurs sur nos terminaux. Nous ne pouvons offrir, pour le moment, qu’un seul départ hebdomadaire sans que le gain financier pour l’acheteur soit suffisant. Il faut convaincre et continuer à œuvrer dans ce sens."
JMM: Un port se mesure aussi sur ses accès terrestres. Vous avez initié une navette ferroviaire sur Le Verdon. Pensez-vous que demain le trafic puisse être réalisé par des opérateurs privés?
P.D.: "Nous avons créé cette navette hebdomadaire pour la desserte du terminal. Nous sommes propriétaires des wagons, la traction est achetée à la SNCF. Avec cet outil, nous disposons d’une bonne desserte ferroviaire de nos différents terminaux tant au Verdon qu’à Bassens. Avec les projets que nous avons exposés plus haut, nous pensons que ce trafic va croître dans les prochaines années. Quant à voir le privé s’investir dans les dessertes ferroviaires, la question est ouverte. Déjà, dans le cadre de l’implantation de Lafarge à Bassens, Véolia va réaliser un trafic de plus de 200 000 t par an. Nous avons été approchés par des opérateurs pour l’exploitation de la navette, mais sans que cela ait encore débouché sur un contrat."
JMM: Pour le routier, la desserte des terminaux pose des soucis en raison de l’encombrement de la rocade de Bordeaux. Prévoyez-vous des améliorations dans un proche avenir?
P.D.: "Sur le routier, nous avons deux soucis majeurs: l’accès au terminal du Verdon qui n’est pas calibré pour les poids lourds et la saturation de la rocade. Nous avons fait connaître notre position sur la desserte de la Pointe du Médoc à l’occasion du débat sur le grand contournement de la région. Ce projet doit permettre d’améliorer la desserte du terminal du Verdon. Ce grand contournement prend malheureusement du retard. Quant à Bassens, nous rencontrons actuellement des soucis en raison des travaux pour le tram. Sur le plus long terme, nous avons travaillé avec la CUB (communauté urbaine de Bordeaux) qui s’est clairement prononcée pour le développement de l’industrie autour du port, sur la presqu’île d’Ambes, et qui de ce fait va y mettre en œuvre une amélioration de la desserte poids lourds."
JMM: Compte tenu de ces projets, comment imaginez-vous la configuration du port en 2010?
P.D.: "Socialement, nous aurons atteint la rentabilité maximale et serons arrivés, globalement, à un effectif stable. Je pense aussi que nous aurons poursuivi l’amélioration de notre performance en liaison étroite avec les investisseurs privés – on peut rappeler que notre productivité s’est accrue de 60 % ces cinq dernières années. En 2010, le Port de Bordeaux jouera encore mieux son rôle au service de l’économie régionale, tant pour favoriser ses exportations que pour assurer son indépendance énergétique (avec 800 personnes sur les chantiers du Verdon pour le terminal méthanier et pour les exportations de pétrole brut de Vermillon)."