Le 26 mars la 11e chambre civile étudie les initiatives prises entre 23 h 12 et 4 h 10. Aux dernières heures du jour, le COM de Brest apprend que l’Erika a mis le cap sur Donges avec probablement des fuites.
Il fait une évaluation à chaud de la situation du pétrolier à partir des éléments dont il dispose. Le président Parlos demande à Monval, chef du COM de Brest, quelle était son analyse de la situation. Pour ce dernier, les fissures sur le pont ne constituent pas un risque immédiat. Le navire est loin des côtes françaises et il ne présente pas de risques de pollution. De plus, le commandant a annulé son message de détresse. "Nous pensions que s’il y avait eu un risque imminent de pollution, Total nous aurait prévenus!" Le commissaire Jean-Loup Velut enfonce le clou: "Ce navire n’aurait jamais dû obtenir l’autorisation de quitter Dunkerque, par ailleurs Total aurait dû nous contacter. J’estime que la cellule ISM n’a pas fonctionné. Total avait deux types d’informations que nous n’avions pas et qui nous auraient été utiles: la nature exacte de la cargaison et les éléments sur le navire." Il met également en cause la clause de confidentialité entre le Cèdre et Total qui aurait empêché le centre de recherche sur les pollutions d’informer précisément le COM. Les avocats de la défense répondent. "Nous aurions eu les informations que possédaient Total sur la nature de la cargaison et les fissures nous aurions pu commander un survol du pétrolier dans l’après-midi", répond Éric Geay, alors chef du bureau surface au COM.
Le président Parlos lit alors la déclaration faite au juge par Bertrand Thouilin, directeur des affaires juridiques de Total, sur son analyse de la situation. Il lui demande si le commandant Matur aurait dû abroger son message d’alerte. Bertrand Thouilin répond qu’après coup, on ne peut que désapprouver cette décision, mais il ajoute que le commandant de l’Erika aurait surtout eu besoin des conseils et de l’assistance du Rina qui lui ont manqué.
Bertrand Thouilin enfonce le clou en déclarant: "il y a certainement eu défaillance au code ISM de la part du Rina". Et il va encore plus loin en qualifiant d’"extrêmement défaillante!" la gestion de la situation par Antonio Pollara.
Les événements se précipitent. À 3 h 47 le cdt Matur prévient M. Pollara, de Panship, que les cassures se sont élargies entraînant des pertes de cargaison en mer. Le président Parlos s’étonne qu’entre cette communication et 6 h du matin le responsable de Panship ne prenne aucune initiative et n’ordonne pas au commandant de joindre les autorités côtières. Au Cross Etel qui réussit à le joindre à 4 h du matin, et lui demande de lui donner sa position, le commandant répond aux questions posées, mais ne l’informe pas des raclements métalliques anormaux ni des pertes de fuel. Pollara aurait-il recommandé à Matur d’en dire le moins possible aux autorités côtières? À chaque question du président sur ce sujet, Antonio Pollara répond invariablement que c’était au commandant du pétrolier d’en prendre l’initiative.
Rapprocher, ou non, un navire “sale” en difficulté?
“Un navire qui fuit, vous le laissez s’approcher des côtes?” “Oui”. Ce bref échange eut lieu le 19 mars lors d’une audience du procès Erika. La question émanait du vice-procureur de la République Laurent Michel. La réponse était celle d’Éric Geay, officier de permanence à la préfecture maritime de l’Atlantique le jour où commencèrent les difficultés de l’Erika.
Sauf à vouloir effectuer une partie de sa carrière judiciaire sur la côte Atlantique de l’Espagne, l’interprétation officielle de cette courte réponse aura sans doute un écho important dans les préfectures maritimes. Si, ne tenant pas compte de la direction des vents et des courants en Atlantique et en Manche, Laurent Michel réprouve officiellement l’idée de ramener à la côte un pétrolier chargé de produits noirs pour tenter de le mettre à l’abri afin de garder intactes les cuves ou de limiter la pollution en prenant le risque de “sacrifier” une fraction du littoral, la “pratique espagnole” en sortira renforcée. Et il n’y aura pas de quoi se réjouir. Dans le cas contraire, il restera encore des raisons d’espérer.
M.N.