Il n’est un mystère pour personne que la loi de décentralisation portuaire du 13 août 2004 (avec effet au 1er janvier 2007) met un point final à une intervention financière plus que centenaire de l’État. Intervention devenue d’autant plus insupportable pour les finances publiques qu’elle avait fini par être totalement déconnectée de l’économie nationale. Il y a longtemps que les observateurs les plus avisés avaient préconisé la limitation de l’intervention de l’État à deux ou trois grands ports parmi lesquels Le Havre et Marseille (rapport Dupuydauby de 1986).
Mais chacun sait que l’économie a ses raisons que la raison politique ignore superbement. Le statu quo a donc prévalu et a survécu (à l’exception notable de l’application de la loi de novembre 1992 sur la manutention portuaire) à tous les projets de réforme destinés à améliorer la compétitivité de notre outil portuaire (projet de réforme Pons de 1995 et Bussereau de 2002). Il faut bien reconnaître d’ailleurs que les gestionnaires de ports, soit pour des raisons de statut (CCI), soit pour des raisons de structure (ports autonomes), ne sont pas étrangers à cette situation.
Car ce n’est pas l’offre portuaire qui est pléthorique, c’est le coût de la gestion portuaire qui, trop onéreux, a conduit les pouvoirs publics à la tentation du malthusianisme avec le secret espoir d’augmenter la productivité des survivants et par là même leur compétitivité. C’est dire que toute réforme de structure des ports autonomes était vouée à l’échec, ces deniers espérant toujours la disparition à leur profit des ports d’intérêt national (PIN). Et toute réforme de statut des PIN se heurtait à la résistance des CCI qui y voyaient une atteinte à leur souveraineté.
Et cela, malgré les avertissements de la Cour des Comptes dans son rapport général de 2003.
AMPUTER FAUTE DE SOIGNER
Puisque la médecine ne trouvait pas de remède à cette situation, il fallait donc user de la chirurgie: amputer au lieu de soigner.
C’est ce qui vient de se faire. Malheureusement dans les pires conditions d’intervention et sans écarter à jamais le risque de malthusianisme économique:
• on ne touche pas aux ports autonomes qui sont pourtant aux yeux de la Cour des Comptes à l’origine des situations les plus préoccupantes;
• on crée un nouveau port autonome à La Rochelle pour faire échapper ce port à l’emprise des collectivités territoriales, sans pour autant harmoniser le trafic atlantique;
• on décentralise les PIN en les faisant majoritairement passer sous l’autorité des Régions désignées comme les exécuteurs testamentaires de l’État.
LES EFFETS PRÉVISIBLES
Car, au fond, de quoi s’agit-il? De transférer la propriété des ports en laissant à ces dernières le soin d’organiser leur gestion à leur convenance.
Quelques exemples permettront de comprendre les effets prévisibles d’une telle décision.
Le Nord-Pas de Calais dans lequel se trouve le Port autonome de Dunkerque qui s’est doté d’une ouverture européenne remarquable, hérite de Calais et de Boulogne. Si la pérennité de Calais n’est pas en cause, celle de Boulogne est sérieusement compromise. Seule la proximité d’élus locaux directement concernés par la survie de leur outil de travail, aurait pu conduire à une reprise en mains d’un site sinistré sur le plan industriel et en quête de reconversion économique. On imagine mal la région, dépositaire d’une offre largement suffisante, faire les efforts nécessaires pour éviter à Boulogne une spécialisation "port de pêche" vers laquelle il tend inéluctablement depuis une dizaine d’années.
Cette décision, que l’État n’a pas voulu prendre, sera entérinée par une région soumise à un réalisme économique nécessaire et à des arbitrages politiques contraignants.
Le cas de Sète est également significatif. Situé au cœur d’une région viticole dépourvue d’industrie, le port n’a connu son heure de gloire que grâce aux importations de vins. La guerre d’Algérie et, plus tard, la reconversion viticole, ont limité son rayonnement. La disparition d’une raffinerie de pétrole lui a porté un coup fatal.
À quelques encablures de Marseille à l’est, et de Barcelone à l’ouest, il n’a pas vocation à devenir un pôle majeur d’échanges internationaux.
Le nouveau propriétaire dispose pourtant d’un outil polyvalent qu’il va devoir faire fonctionner harmonieusement. Et, pour cela mettre en œuvre une véritable politique d’urbanisme portuaire permettant de redéfinir les espaces affectés à chacune des activités concernées: le commerce, la pêche et la plaisance.
Cet exemple sera à suivre en même temps que celui de la Bretagne où Brest, Lorient et Saint-Malo vont devoir se positionner de façon complémentaire pour que la région tire le meilleur parti de son offre portuaire au lieu de se satisfaire des positions acquises. Ce sera là, sans doute, la tâche du syndicat mixte qui vient de voir le jour.
Le défi sera le même à Cherbourg à condition que les choix d’urbanisme puissent être faits en concertation avec les élus locaux pour offrir au port une desserte terrestre en accord avec ses ambitions maritimes.
L’URBANISME SERA DÉTERMINANT
Nul ne pourra, nulle part, faire l’économie d’une réflexion sur ce sujet et la rentabilité du tout dépendra des choix d’urbanisme qui auront été faits. Curieusement ce seront la plupart du temps les régions qui devront influencer les élus locaux pour faire les bons choix d’urbanisme. Ce n’est pas une mince contradiction dans le cadre de l’autonomie des collectivités territoriales les unes par rapport aux autres alors que la compétence d’urbanisme appartient aux maires.
Comme souvent, le statu quo dont l’État avait le secret, ne suffit plus au moment où s’opère le transfert de compétences. Cela a été vrai pour l’aide sociale, pour les routes et pour les lycées et collèges. C’est vrai aujourd’hui pour les ports. Il va falloir décider. Et il ne reste plus, dans certains cas, que quelques mois pour prendre la bonne décision.