Le naufrage toujours inexplicable

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Avant de reprendre l’examen détaillé de la vie technique de l’Erika, le tribunal entendait le lundi 5, un avocat de la défense. Ce dernier rappelait qu’à la suite de son inspection de vetting, BP n’avait pas refusé le pétrolier. Il avait "simplement" demandé à Panship, le gestionnaire technique, des explications complémentaires.

La première visite annuelle après l’entrée en classe au Rina a beaucoup occupé les esprits. Elle eut lieu en deux fois:

• à Gênes, les 16 et 17 août 1999, lors d’une escale commerciale. La coque et la machine furent inspectées par le Rina car ce port interdisait les visites de ballast;

• en rade d’Augusta, du 22 au 24 novembre 1999, où les ballasts furent examinés par le Rina accompagné d’un représentant du gestionnaire, mais sans le commandant.

Outre un dépassement de six jours sur le délai maximal de trois mois accordé après la date anniversaire de la première certification, le tribunal s’est beaucoup occupé des pertes d’épaisseur de quelques longerons longitudinaux.

Certaines pièces du peak avant devaient être réparées avant la fin janvier 2000. À la même échéance, dans des zones "suspectes" (1) des ballasts, le Rina avait demandé que soient effectuées des mesures d’épaisseur "et/ou des réparations si nécessaires". Au zénith de sa forme, M. Pollara, ancien commandant et responsable de Panship, insista beaucoup sur le "et/ou des réparations si nécessaires" avant la fin janvier 2000. Tout ce qu’a pu écrire le rapport du BEAmer sur la corrosion des ballasts est sorti d’un "cerveau malade", estimait M. Pollara, confirmant oralement ses écrits. Le BEAmer affirme, il ne prouve rien.

Personne ne releva cependant que soit la veille, soit le lendemain, selon les sources, avaient lieu deux inspections de vetting. Il semble donc que pour une fois, les inspecteurs de compagnies pétrolières avaient l’occasion rare de visiter les ballasts.

Toujours est-il que Me Quimbert, représentant le cdt Mathur posa une question anodine à M. Pollara: une corrosion substantielle dans une zone suspecte est-elle décelable à l’œil nu ou bien faut-il un équipement spécial? En cas de doute, il faut faire des mesures, répondait M. Pollara. Mesures qui nécessitent un équipement qui ne se trouve pas à bord. Donc, le commandant ne pouvait pas s’apercevoir de l’état précis des ballasts. CQFD.

Une dernière inspection de vetting eut lieu le 3 décembre 1999 effectuée pour le compte de l’espagnol Repsol. Après l’envoi d’une télécopie de la part de Panship certifiant que les déficiences trouvées avaient été rectifiées, Repsol déclarait le navire acceptable pour six mois.

LE VETTING INOPPOSABLE AUX COMPAGNIES PÉTROLIÈRES?

En mai 1999, était signé un contrat entre l’italien Enel et le groupe Total pour la livraison, à l’option du vendeur, de 200 000 t à 280 000 t de fioul no 3 par lot de 23 000 à 35 000 t, option vendeur, selon l’incoterm ex-ship port de Milazzo (N-O Sicile). Le contrat devait être réalisé avant le 31-12-1999. Après de laborieuses explications sur les tonnages expédiés, il apparaissait qu’avant même d’avoir fixé l’Erika, le groupe Total avait dépassé le plancher des 200 000 t. Il n’y avait donc pas lieu de le suspecter de s’être pressé pour envoyer en urgence une cargaison devant lui éviter de verser des pénalités.

Le tribunal détailla par le menu la procédure de la 4e et dernière fixation de l’Erika. En effet, l’affréteur du groupe fixa ce navire alors que la première fenêtre du logiciel utilisé indiquait qu’il était "Yes", c’est-à-dire "affrétable" selon le vetting Total. Or une seconde fenêtre, non ouverte, précisait que ce "Yes" tombait le matin du 22 novembre. Le navire devenait alors "unclassed". Et l’affréteur avait l’obligation de demander au service vetting son accord. Service qui, au vu des rapports réalisés par les autres compagnies pétrolières et disponibles dans la base de données Sire, aurait "sans doute" donné son accord, répondait Bertrand Thouilin, directeur des services juridiques auprès de la direction du Trading/Shipping et président de Total Transport Corp. Ce dernier a soutenu devant le tribunal que le vetting est une procédure volontaire que s’imposent les compagnies pétrolières. À supposer qu’elles ne respectent pas toutes ses dispositions, cela ne saurait leur être opposable. Or, selon le dossier de presse, il est justement reproché à Total d’une part et à Berthrand Thouilin, d’autre part, d’avoir pour le premier, contrevenu à ses propres règles de vetting, et pour le second, le non-respect systématique de ces mêmes règles.

L’ERIKA COUVRAIT SES COÛTS

La fin de l’audience fut consacrée à la question de savoir si dans un marché fortement à la baisse, le propriétaire du navire avait encore les moyens financiers d’entretenir un navire âgé, dédié au transport de produits noirs de faible valeur, mais hautement polluants. Giuseppe Savarèse, le propriétaire du navire, rappela donc que l’Erika était affrété à temps au taux de 7 150 $/j alors que ses coûts d’exploitation étaient de 4 000 à 5 000 $/j. S’y ajoutaient 1 500 à 1 600 $/j de frais financiers. Donc, dans cette période particulièrement déprimée, le propriétaire de l’Erika couvrait l’ensemble de ses coûts grâce à l’achat "judicieux" d’un vieux navire. Le naufrage reste donc sans cause.

1) Selon le Rina, une zone "suspecte" se définit comme étant une zone présentant une corrosion de plus de 75 % de la réserve de corrosion qui est de 25 % de l’épaisseur à la construction. Une tôle suspecte n’est pas à remplacer immédiatement, mais à mesurer plus en détail, ajoutait la société de classification.

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