"Nous sommes un port de combinaison intermodale"

Article réservé aux abonnés

Journal de la Marine Marchande (JMM): En 2006, les trafics ont gagné 6 % pour atteindre 23,3 Mt. Un résultat qui souffre malgré tout d’une faiblesse, une diminution de 4,6 % des courants céréaliers. À l’inverse, les vracs liquides affichent une hausse. Ces grands équilibres se répètent-ils sur 2007?

Martine Bonny (M.B.): "2006 s’avère être une bonne année pour le Port autonome de Rouen. Les deux premiers mois de 2007 sont corrects. La progression des trafics s’inscrit à deux chiffres (10 %). Mais il est trop tôt pour en tirer des pronostics sur l’année 2007.

L’analyse par courant montre les grands équilibres du port. En janvier et février, le trafic de céréales se redresse pour des raisons exogènes et endogènes. Du côté des éléments extérieurs, l’Ukraine et la Russie ont vu leur production céréalière baisser en raison d’un hiver rigoureux. L’Australie, quant à elle, a subi une forte sécheresse qui a affecté sa production. Le tarissement de ces sources a permis aux blés français de renforcer leur position sur le bassin méditerranéen et la Côte occidentale d’Afrique, leurs marchés traditionnels. D’un point de vu endogène, la bonne tenue du trafic de céréales tient à notre politique tarifaire. Nous avons décidé une réduction de 31 % des droits de port marchandise pour les céréales. Certes, cette baisse est une goutte d’eau dans la mer, mais elle a dû avoir un effet positif. Elle n’explique pas tout, mais elle accompagne cette hausse."

JMM: La hausse des trafics céréaliers se décline-t-elle aussi sur les autres courants?

M.B.: "Globalement, oui. Ainsi, les produits forestiers affichent aussi une progression à deux chiffres. Quant aux vracs liquides, notamment les exportations d’essence raffinée et les importations de gazole, leur hausse devrait se confirmer dans les prochaines années. L’essence part en grande partie vers les États-Unis dont le déficit dans ce produit est devenu chronique. À l’inverse, en Europe, notre déficit en gazole ne se résorbe pas.

Les trafics conteneurisés sont stables. Notre port, rappelons-le, est acteur sur les axes maritimes nord/sud. Ce secteur est stable, à la différence des relations est/ouest qui enregistrent de taux de progression à deux chiffres. Au cours des derniers mois, nous avons consolidé notre position. Récemment, par exemple, le groupe CMA CGM a aligné un septième navire sur son service entre la Guyane et l’Europe. Le renforcement de ce service devrait s’accompagner d’une hausse des trafics, notamment des bois depuis le Nord-Brésil. Au final, les trafics de conteneurs maritimes ont gagné en moyenne 7 % par an depuis trois ans."

JMM: Rouen est un port d’estuaire. Plus proche des consommateurs parce que dans les terres, il souffre aussi d’une limite dictée par la profondeur de son chenal. Depuis plusieurs mois, les clients du port de Rouen demandent un approfondissement du chenal. Ce projet s’inscrit-il dans votre schéma de développement à court terme?

M.B.: "La position d’estuaire du port de Rouen apparaît comme un avantage. En approchant le transport maritime au plus près des consommateurs, il participe à la baisse du prix des marchandises à l’import. Aujourd’hui, le transport maritime est bien meilleur marché que le transport terrestre. En allongeant le voyage maritime et réduisant la partie terrestre du transport de la marchandise, le prix de vente baisse. À l’export, notre position stratégique au milieu du grenier à blé de la France, offre aux céréaliers une compétitivité de leur produit sur le marché mondial. Comme pour les importations, la réduction de la partie terrestre offre un avantage important. Concernant les vracs solides et liquides, nous constatons actuellement un changement de la flotte des navires qui les transporte. Les navires traditionnels qui transportent ces vracs, les handysizes, vont disparaître. Ils sont progressivement remplacés par des navires de plus grande taille, les handymax. Ces nouvelles unités ne peuvent charger à pleine capacité dans notre port. Afin de pouvoir accueillir la nouvelle génération de navires dédiés aux céréales, nous avons besoin d’un chenal d’accès adapté à cette nouvelle flotte."

JMM: Vous abordez ce point du chenal d’accès. L’approfondissement de ce chenal doit intervenir dans les prochaines années. Quel calendrier ces travaux suivront-ils?

M.B.: "Plutôt que d’approfondissement, je préfère parler d’adaptation. Le projet prévoit un arasement des points hauts. Il ne s’agit pas de creuser dans le chenal, mais seulement de couper les « bosses » qui limitent le tirant d’eau. Ce projet appelé « Rouen, port maritime » s’inscrit dans le cadre du nouveau contrat de projets État-Région. Derrière ce vocable, il s’agit de permettre au port de conserver sa vocation de plate-forme maritime. « Rouen, port maritime » s’appuie sur un « trépied ». Le premier axe concerne le chenal d’accès. Il prévoit un investissement de 185 M€ au total qui sera financé par les collectivités locales, en particulier par la région, le département, l’État et le port. Cette enveloppe se décompose en deux parties. La première, de 115 M€, vise les travaux d’arasement des points hauts du chenal. Le solde, soit 70 M€ environ, concerne plus précisément le rempiétement de certains quais devant accompagner cette opération. Quant au calendrier du projet, il suit la procédure prévue. Nous menons actuellement les différentes procédures administratives et les présentations à l’ensemble des personnes et associations concernées. Les premiers travaux sont prévus pour 2009. La livraison du nouveau tirant d’eau du chenal devrait intervenir dans le courant de 2011. Nous souhaitons accompagner cette opération de mesures environnementales particulièrement soignées.

Le second volet du trépied concerne des mesures environnementales et de réhabilitation des berges de la Seine. Enfin, dernier aspect de ce trépied, le classement de certaines boucles de Seine au titre de la loi "paysage", ménageant en même temps la réservation d’espaces le long du fleuve pour le développement économique du port. Nous tenons à conserver cet atout d’offrir à nos clients une logistique « les pieds dans l’eau »."

Dans le secteur des conteneurs, nous engageons, au titre du contrat de plan précédent, une extension du terminal à conteneurs de Grand-Couronne. Dans le contrat actuel, nous prévoyons l’ajout d’un poste à quai. Un second poste à quai est prévu dans le prochain contrat de projets. Enfin, sur ce terminal, nous achevons des travaux pour améliorer les accès routiers et la desserte des quais.

JMM: Ces projets devraient participer à une forte progression des trafics. Avec l’adaptation du chenal, les nouveaux postes à quai du terminal à conteneurs, les mesures environnementales, quelle sera la configuration du port dans une décennie?

M.B.: "Le port de Rouen souhaite conserver sa place de premier port céréalier européen et sur un plan plus général, conforter sa place de grand port de vracs. Par ailleurs, nous menons des actions de diversification pour les marchandises diverses, notamment conteneurisées, accompagnant le développement de la logistique « bord à quai ». Au final, dans dix ans, l’objectif est que notre trafic total s’approche des 30 Mt.

S’agissant des vracs, notamment solides, l’adaptation du chenal apparaît comme vitale. Nous sommes un port de combinaison intermodale qui sera renforcé par l’adaptation du chenal.

La position de notre port est essentielle pour la filière agricole française. Pour bien comprendre cet aspect, il convient de regarder la situation économique et géographique du marché agricole actuel. Depuis l’accès à l’économie de marché des pays de l’ex-URSS, le barycentre des céréales s’est progressivement déplacé vers l’est de notre continent. La Russie et l’Ukraine offrent des produits concurrents à notre production à des prix avantageux. Si nous ne disposions pas d’un port qui permette aux céréaliers français d’avoir un accès à prix raisonnable sur le marché mondial, c’est toute la filière céréalière française qui pourrait être déstabilisée. Sans l’adaptation du chenal, les céréales françaises devraient emprunter d’autres portes de sortie. Chaque tonne verrait son prix augmenter d’environ 11 $. Elles ne seraient plus compétitives sur le marché mondial. L’intérêt de ces travaux est national, parce qu’il touche l’ensemble de la filière agricole, mais aussi parce que, sans ces travaux, les ports concurrents de Rouen dans les céréales ne bénéficieraient pas d’un report de trafic. De plus, et toujours pour rester dans ce secteur des vracs secs, avec le nouveau tirant d’eau, le port offrira aux autres courants de trafics des possibilités de croissance. Ainsi, à titre d’exemple, l’importation de granulats par voie maritime est un enjeu pour la région parisienne. La fermeture et l’arrêt d’exploitation de carrières en Seine obligent les industriels à trouver de nouvelles sources qui sont parfois éloignées. En utilisant une logistique maritime et fluviale avec un transbordement du maritime sur le fluvial dans notre port, nous participons à la réduction du coût de vente, rendu Paris de ces marchandises. Ce coût dans une logistique maritime et fluviale se monte à 18 €/t, il serait presque du double si la route devait remplacer l’acheminement fluvial sur la Seine. Il en est de même pour le charbon. L’arrivée de navires de plus grande taille nous oblige à adapter nos conditions d’accès pour répondre à la demande des chargeurs. Ce produit pourrait connaître dans les prochaines années un essor si le prix du pétrole continue de progresser à des niveaux élevés. Nous voulons demeurer sur ce secteur.

Dans les vracs liquides, les prévisions établies par les différents organismes en charge des flux des hydrocarbures montrent que les États-Unis conservent leur déficit en essence raffinée. Des développements sont actuellement prévus dans la raffinerie de Port-Jérôme pour que le port reste une place d’exportation importante. D’autre part, le déficit chronique européen en gazole ne se tarira pas. Nous devons aussi prévoir des installations pour recevoir ces flux. Dans cette filière, nous n’oublions pas l’éco-industrie. L’installation, sur le site de Lillebonne, d’une structure pour la production de bio éthanol entre dans nos projets."

JMM: À lire les résultats du port, les vracs, tant solides que liquides, représentent une grande part de vos trafics. Les marchandises diverses, notamment les conteneurs, enregistrent ces dernières années une progression régulière. Quelle sera la place de ces marchandises dans une décennie?

M.B.: "Nous n’oublions pas ces trafics. Sans occulter les trafics de produits forestiers, métallurgiques, colis lourds, etc., Rouen demeure un port important pour les trafics conteneurisés nord/sud et pour le travail (groupage-dégroupage) à l’intérieur des conteneurs. Nous nous sommes fixé un objectif de 3 % de croissance annuelle moyenne pour les prochaines années. Un défi puisque ces trafics sur les axes nord/sud se stabilisent mondialement. Sur ce créneau, nous devons demeurer le port de l’Afrique. Nous avons su, en 2006, attirer un nouvel armement chez nous. D’autres regardent pour se développer. Notre atout réside dans notre position, mais aussi dans notre offre logistique. La zone située à l’arrière du terminal, la plate-forme RVSL (Rouen vallée de Seine logistique), conforte le port dans sa vocation traditionnelle logistique. Nous avons eu récemment des demandes d’implantations logistiques auxquelles nous n’avons pu répondre immédiatement. Nous envisageons donc d’entreprendre la construction d’un entrepôt relais qui permettra à un opérateur de commencer son activité sur notre port, en attendant que la construction de son propre bâtiment s’achève. Sur les flux est-ouest, nous recevons les conteneurs par barges depuis les différents terminaux havrais, un bel exemple de complémentarité. Ce trafic est aussi en progression et nous pensons que nous avons aussi une carte à jouer dans ce secteur en complémentarité avec Le Havre. De plus, dans les trafics intra-européens l’offre routière se tarit alors que le transport maritime est aujourd’hui en développement."

JMM: À parler d’intra-européen, avez-vous dans vos cartons des projets d’autoroute de la mer?

M.B.: "Nous ne pouvons rester à l’écart de cette demande qui s’inscrit dans la volonté des pouvoirs publics de promouvoir le transfert maritime pour alléger un axe routier particulièrement chargé et dangereux. Nous avons mené, discrètement, des études sur la faisabilité d’une ligne avec des navires rouliers entre Rouen et la péninsule Ibérique. Nous avons des contacts avec des armements, qui sont des spécialistes de ce mode d’acheminement. À Rouen, ce service ferait escale au terminal de Radicatel. Nous regardons quel port ibérique il pourrait relier. Dans notre étude, nous avons défini un niveau de service minimum pour des remorques non accompagnées. Nous sommes actuellement en phase de discussion avec les chargeurs et les transporteurs routiers.

Avec ce projet, nous répondrons à l’appel d’offres en cours de préparation par les autorités françaises et espagnoles sur les autoroutes de la mer entre la France et l’Espagne. Nous n’avons que peu communiqué sur notre projet. Il paraît essentiel qu’il doive être économiquement viable. Nous ne voulons pas d’un concept qui se nourrisse de subventions. Nous voulons un service qui devienne rapidement rentable avec un taux satisfaisant de remplissage dès la troisième année."

Dossier

Archives

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15