Les feux de la délégation de service public (DSP) pour la desserte maritime de la Corse sont loin d’être éteints. La mèche court encore et n’a pas été coupée avec le dépôt de candidature des trois armateurs habituels sur ces lignes. Actionnées par un mécanisme infernal, des bombes sont encore prêtes à éclater.
La première est portée par la Commission européenne en plein travail d’enquête sur les conditions de la privation de la SNCM. Elle vient de recevoir les mémoires de la Corsica Ferries et de la Compagnie Méridionale de Navigation, ou plutôt de la STIM d’Orbigny, société qui regroupe au sein du groupe STEF-TFE les activités maritimes de la CMN. Les deux sociétés qui avaient dénoncé les aides déloyales de l’Etat, ont déposé de substantiels documents (67 pages pour la Corsica Ferries et 53 pour la STIM d’Orbigny).
Enjeu de la plainte, 98 M€ (c’est-à-dire plus que l’enveloppe de la DSP) que les actionnaires de la SNCM pourraient être contraints de rembourser à l’Etat.
Si Bruxelles venait à suivre l’argumentation des plaignants, la bonne aventure de mer réalisée par Véolia Transports et Buttler Capital en abordant la SNCM se transformerait en affaire sinistrée. Pour l’instant, le couple de repreneurs tangue. Il n’a toujours pas commencé l’application du plan social de l’entreprise. Malgré ses allégations sur la bonne reprise du trafic, aucun élément n’est encore venu infléchir fondamentalement le couloir que suivait l’ex-compagnie publique et endettée.
Si le mariage de raison avec la CMN a prévalu, si les rapports commerciaux persistent entre les deux partenaires, leurs liaisons demeurent distantes. Pour tout dire, la bouderie continue et la "chambre à part" prévaut. Les deux compagnies n’ont pas réglé l’objet de leur divorce avorté: qui dirige à la maison CMN? Le renvoi en cassation du jugement de la cour d’appel, le 13 décembre, attribuant le premier rôle à la STIM d’Orbigny, n’arrange pas les choses. Les avocats de la SNCM chercheraient par tous les moyens à accélérer un processus qui, souvent, s’étale sur un ou deux ans. Les plaidoiries pourraient débuter à l’entrée de l’été. Autre motif de discorde, la STIM d’Orbigny pousse Bruxelles à classer les parts de la SNCM dans la CMN comme "non stratégiques" ce qui contraindrait à les vendre (estimation: plus de 50 M€).
Et ce n’est pas fini. De son côté, la Corsica Ferries fourbit ses armes pour attaquer la prochaine décision de l’assemblée territoriale de Corse. Aux yeux des observateurs, il ne fait pas beaucoup de doute: la SNCM et la CMN emporteront la DSP. L’armement bastiais prépare ses cartouches, il n’en manquerait pas, pour amorcer une nouvelle procédure judiciaire. La desserte de la Corse ne passe décidemment pas par la mer de la tranquillité.