Le 1er février, à St-Brieuc, était signée la charte de la Fédération des ports régionaux et locaux (de commerce) de la Manche. Ses membres fondateurs sont: l’Association des ports locaux de la Manche (APLM; 14 ports); l’Association des ports du Sud-Ouest de l’Angleterre (SWRPA); la future Association des ports du Sud-Est de l’Angleterre, les ports de Jersey et Guernesey et le "lointain" port d’Ostende. Au total donc, plus de 35 autorités portuaires, réparties entre les régions Bretagne, Basse et Haute-Normandie, Picardie et Nord-de-Calais, pour la France, Ostende et tout le Sud de la Grande-Bretagne. Compte tenu de la divergence des droits français et britannique, il est très difficile de trouver une structure juridique commune. On passe donc par un"OJMI", objet juridique mal identifié, pour fédérer les ports de part et d’autre de la Manche, explique un représentant du Conseil régional de Haute-Normandie.
L’ASSOCIATION DES PORTS LOCAUX DE LA MANCHE
Quelques heures plus tôt avait été constituée, toujours à St-Brieuc, l’APLM, selon le décret de 1901. Regroupant concédants et concessionnaires de ports, principalement de commerce, l’APLM s’inscrit dans "la volonté de faire reconnaître l’espace Manche comme un espace cohérent de l’UE, et de renforcer la dynamique de coopération entre les ports locaux de la Manche, en associant les collectivités territoriales propriétaire des ports, et les concessionnaires, notamment les CCI". Elle a pour "ambition de renforcer l’influence des ports auprès des institutions nationales et européennes, tout en favorisant la communication et les échanges de bonnes pratiques sur des problématiques communes, ainsi que la création de nouveaux services. Cette association permettra de saisir des opportunités de montage de projets communs entre ports français, mais également en collaboration avec les ports locaux britanniques", explique le préambule.
Concernant les opportunités de montage, Jean-Yves Le Drian, président de la Région Bretagne, rappelait qu’il y avait près de 160 M€ à se"partager" au titre du programme Interreg IV B pour la période 2008-2011 et que les premiers dossiers de demande de subvention devaient être prêts dès mai prochain. Il ne faut donc pas traîner.
Il faut en effet savoir que cette future coopération portuaire s’inscrit dans un dispositif plus large: l’"Espace Manche Development Initiative", EMDI. Soutenu par les fonds Feder et regroupant 22 partenaires français, britanniques et belges, l’EMDI a pour ambition de "développer et renforcer les coopérations transmanche". Cinq secteurs d’intérêt commun ont été définis: le tourisme; la pêche et les ressources halieutiques; la sécurité maritime (qui n’est pas de compétence régionale, au moins en France; ndlr); l’intermodalité des transports de marchandises; la gestion intégrée des zones côtières; et l’enseignement supérieur, la R & D et le transfert de technologies.
LES VRAIS SUJETS "DURS"
Incontournables, au moins en France, les incantations sur le cabotage et autre autoroute de la mer tenaient une bonne place dans les discours des élus locaux pour ranimer commercialement les ports. Les trafics de ces derniers étant cependant déjà largement générés par le cabotage. Mais, selon quelques responsables de ports régionaux rencontrés, les problèmes immédiats sont de nature technique, ainsi que l’illustrent les thèmes de réflexion de la seconde journée du colloque: sûreté des ports; conflits d’usage; et inextricable problème du dragage portuaire, renforcé depuis le "largage" des ports d’intérêt national aux collectivités locales.
En ce qui concerne le code ISPS, Christian Dupont, chef de l’Unité adjoint "Politique de sûreté et sûreté maritime" à la DG Transport est venu expliquer aux portuaires que la clef de la sûreté était le facteur humain: aucun système de vidéosurveillance ne se substituera à l’homme.
Sur les conflits d’usage, Yves Auffret, membre de la Task Force"Politique maritime" à la Commission européenne (CE) soulignait tout le bien que l’on pouvait penser du Livre vert sur une possible politique maritime intégrée proposée par la CE. Il invitait toutes les autorités portuaires à faire part de leurs commentaires avant juin prochain.
Le représentant des ports du Sud-Est de la Grande-Bretagne expliquait à ses homologues que le prix du foncier avait tellement augmenté dans sa région qu’il était devenu très difficile de réaliser des extensions portuaires.
Grand exportateur de kaolin en vrac, le port de Fowey commençait à très fortement indisposer les populations riveraines qui, du haut de la falaise, guettaient toute trace de pulvérulent. De gros efforts ont donc été réalisés pour nettoyer les routes et réduire au maximum les nuages de kaolin au chargement. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les ports du Légué et du Tréguier se sont inspirés de l’expérience anglaise pour investir afin de réduire les poussières de kaolin.
Le directeur de l’exploitation du port de St-Malo situé à proximité immédiate de la cité soulignait qu’il devait faire face à de nombreux projets visant à prendre le contrôle des espaces portuaires dédiés au commerce.
La complexité des législations nationale et communautaire sur l’élimination des produits de dragage, boues plus ou moins polluées ou"simples" sédiments naturels amenés par une tempête, fut soulignée à plusieurs reprises. Tout comme les coûts croissants du dragage. Et les ports nouvellement décentralisés sont particulièrement touchés par cette croissance. En effet, ayant perdu leur statut de ports d’intérêt national, ils ne peuvent plus utiliser les services du GIE dragage. Ils ont donc l’obligation de procéder par appel d’offres européen. Pour Dieppe par exemple, le plus récent devis néerlandais a été de 1,8 M€ dont 460 000 € d’amenée et de repli de la drague à rapprocher d’une allocation de l’État de 1,5 M€, expliquait Patrick Le Bonniec, chef de projet service Transports et Infrastructures à la région de Haute-Normandie. Le simple transfert de Dieppe coûte déjà 30 000 € à la collectivité locale, juste pour voir.
L’une des toutes premières actions intelligentes que les membres de la nouvelle Fédération des ports (de commerce) régionaux et locaux de la Manche pourraient mener est donc de coordonner leurs besoins de dragage et procéder à un appel d’offres en commun pour minimiser les frais d’amener et de repli de la drague.
L’autre action immédiate serait de se connaître et de se parler. En effet, être riverain de la même Manche ne semble pas être suffisant pour dépasser les clivages départementaux, régionaux ou linguistiques. Or nécessité faisant loi, ces ports régionaux ou locaux doivent maintenant mutualiser leurs capacités d’expertises pour avoir une chance raisonnable de durer. Vaste programme.
Décentralisation des ports: réactions contrastées
Si Patrice Raulin, ex-directeur de la DGMT, saluait lors de “ses” vœux le “très beau succès obtenu dans la décentralisation des ports d’intérêt national”, sur le terrain, les réactions sont moins enthousiastes. Ainsi la vice-présidente de la Région Bretagne pour la mer, apprécie-t-elle à sa juste valeur le mode de calcul de la compensation financière que l’État doit verser aux nouveaux propriétaires des ports: pour les investissements, il est question de faire une moyenne sur dix ans; et sur cinq ans en ce qui concerne les coûts d’exploitation. Sauf que dans de nombreux cas, il y a eu d’importants retards dans la réalisation des travaux d’exploitation; les représentants de l’État ne proposant de prendre en compte que les sommes réellement dépensées et non pas celles prévues au budget. “Ça discute ferme”, d’autant qu’il n’y a pas que cela à traiter. L’avenir de l’École de la marine marchande de St-Malo rend la Région perplexe, car si le rapport demandé à l’inspecteur général de l’enseignement maritime, Dominique Laurent, sur l’avenir de l’enseignement maritime supérieur, est toujours “ensablé” au ministère (JMM 14-4-2006, p. 14), ses conclusions sur la nécessité de concentrer les moyens n’échappent plus à personne.
Les représentants des “petits” ports ont également particulièrement “apprécié” la qualité du travail interministériel concernant la désignation des points d’entrée communautaire des bois d’origine extra-communautaire en ce qui concerne les contrôles phytosanitaires (JMM du 5-1-2007, p. 14). Comme par hasard, seuls les ports autonomes (Rouen et Bordeaux exceptés) ont sauvé la mise, alors que leur part de trafic est modeste par rapport à celle de St-Malo, le Légué, etc. Peut-être un peu excessifs, certains y voient la main invisible d’une décision prise en plus haut niveau administratif: “on” prive les “petits” ports de quelques-uns de leurs rares trafics; avec un peu de “chance”, leurs propriétaires n’ont plus les moyens de faire face à l’augmentation des coûts de dragage; et en toute logique, économique, ces ports se concentreront sur le “core business” du maritime français: la plaisance.
À Paris, on trouvera toujours un ministre des Transports pour se déclarer très favorable au transfert modal en faveur du maritime. “Il faut surtout une forte volonté politique nécessaire pour ne pas brader un potentiel qui pourrait fort bien s’avérer décisif à l’avenir”, rappelait Yves Bouvart en conclusion de sa présentation sur le “rôle des ports locaux dans l’aménagement du territoire”.
M.N.
Trouver du fret
Présidée par Claudy Lebreton, par ailleurs, président du conseil général des Côtes d’Amor, l’Association des ports locaux de la Manche a établi un programme d’actions à mener. Il est notamment question de mettre en place en 2008, un bureau d’affrètement régional coordonnant les demandes de transport par petits navires en sortie ou à destination des ports de la Manche. Cela rappelle fortement l’action menée il y a plus de dix ans par le Port autonome de Paris lorsque ce dernier cherchait à développer réellement le fluvio-cabotage.
La récupération dans les ports des déchets devrait également faire l’objet d’études pour consolider les demandes de façon à obtenir de meilleures conditions financières. Cela devrait être effectif avant l’été prochain.
M.N.