CMA CGM: dix ans déjà

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"Cela fut moins difficile que prévu", répondait Jacques (Rodolphe) Saadé (J.R.S.) lors d’un entretien exclusif, fin novembre: "Une heureuse surprise. La compétence du personnel CGM était présente. Avec les syndicats de sédentaires CGM qui ont certainement parlé avec leurs homologues de CMA, nous n’avons pas eu de problèmes majeurs. Nous avons été ravis de constater qu’en réfléchissant ensemble, et en consultant comme il se doit les syndicats, il n’y avait pas de difficultés particulières; d’autant que la croissance est là. De plus, la mise en synergie des services des deux compagnies a été assez facilement réalisable. Si la CGM avait arrêté ses services sur l’Extrême-Orient ou sur l’Atlantique-Nord, il en restait encore quelque chose sur le terrain dont nous avons pu tirer assez rapidement parti."

JMM: Qu’est-ce qui vous motivait dans le rachat de la CGM?

J.R.S.: "La CGM avait posé les jalons pour devenir une grande compagnie. Pour diverses raisons, elle avait dû réduire ses activités. Mais il nous a semblé qu’il existait de nombreux domaines qui pouvaient être facilement corrigés ou améliorés. C’est là que Johnny Saadé ne m’a pas compris. Il y avait des pépites à mettre en valeur."

JMM: Il s’est beaucoup dit que d’abord très réticents, les réseaux antillais ont finalement basculé en faveur de la CMA. Qu’en fut-il?

J.R.S.: "Je pense que la CGM était ressentie comme une sorte de diktat alors que nous, nous étions demandeurs et prêts à fournir les services attendus. Mais nous nous sommes beaucoup bagarrés, au début. Ils ont été chercher un concurrent. Ce qui a entraîné une chute des taux et donc des pertes pour tout le monde."

JMM: Quelques grands souvenirs des dix dernières années?

J.R.S.: "Avoir su faire quelques bons choix comme l’implantation en Chine, l’achat de la CGM bien sûr. Aujourd’hui, nous investissons en Inde, et demain, au Vietnam.

Investir en Afrique du Nord, en général et l’Algérie en particulier, a également constitué une très bonne idée. Nous avons installé un port sec à Rouïba, à côté d’Alger. Nous sommes partenaires à 50-50 avec les chemins de fer algériens. Nous y construisons un immeuble pour notre siège régional. Nous avons pris une participation financière dans une banque."

JMM: Un enseignement pour l’avenir?

J.R.S.: "Après l’intégration de CGM, d’Australian National Line, de Mac Andrew et de Delmas, mon sentiment est qu’il est finalement assez facile d’absorber de petites ou moyennes compagnies, car les mises en synergie se réalisent vite. En quelques mois, nous avons pu ramener sur Delmas des boîtes venant d’Amérique et d’Asie. Les volumes ont été globalement multipliés par 1,5. Les économies d’échelle se réalisent vite. La fusion de grandes compagnies nous semble plus délicate.

D’ici à cinq ans, il me semble que de plusieurs petites compagnies pourraient cesser leur activité, faute de rentabilité ou de capacités à acheter de grands navires. Dans le meilleur des cas, elles resteront régionales. Sur les cinquante premières compagnies mondiales, une vingtaine environ pourrait ne pas survivre, au moins en restant indépendantes.

Bien sûr, cela nous intéresse pour des zones que nous couvrons pas assez bien comme, par exemple, l’Amérique du Sud ou le Maroc; la Comanav étant semble-t-il, à la recherche d’un partenaire."

JMM: Certes, le prix des navires a beaucoup monté, mais grâce au système des K/G allemands ou à un équivalent, il semble toujours possible d’accéder aux capacités de transport?

J.R.S.: "Aujourd’hui, le système des K/G est sorti du marché du financement, car il fait appel à des intermédiaires financiers dont les rémunérations et les exigences dans les clauses de frètement sont trop élevées. Nous avons essayé plusieurs fois et finalement renoncé à ce dispositif. Mais en négociant directement avec les établissements financiers allemands, il reste toujours possible de financer ses navires; ce que nous avons finalement fait. En France, nous attendons l’arrivée du nouveau GIE approuvé par la Commission européenne."

JMM: Des compagnies comme CMA CGM, avec la surface financière qui est la leur, ont-elles réellement besoin d’un GIE fiscal?

J.R.S.: "Nous n’en avons pas réellement besoin pour vivre, c’est vrai. Beaucoup de gens viennent nous proposer une sorte de leasing: financement d’un navire neuf et son frètement. Généralement, cela est trop cher. Par contre, nous avons réalisé quelques opérations de lease back, vente et affrètement en retour, pour financer d’autres opérations."

JMM: Au delà de cinq ans, comment voyez-vous le marché?

J.R.S.: "Avec une certaine inquiétude, car si les grands chantiers sont pleins jusqu’en 2009, ils cherchent activement des commandes pour livraison 2010 et au-delà. Ils n’en trouvent pas beaucoup. Cela devrait faire baisser les prix du neuf et des chartes-parties. La vitesse de construction des porte-conteneurs et le développement rapide des capacités des chantiers chinois auront un effet direct sur l’importance de la baisse. Dans ces conditions, les grandes compagnies pourraient poursuivre leurs achats avec le risque d’atteindre une taille difficile à gérer. En outre, les transporteurs moyens, après avoir absorbé quelques petits, en profiteraient pour croître à bon compte. Et nous nous retrouverions alors avec cinq grandes compagnies et une dizaine de moyennes.

Côté demande, l’exportation chinoise, suivie par son équivalente indienne, devrait absorber sans problème jusqu’en 2010, le supplément de capacité de transport. Après, je me pose des questions."

JMM: Dans l’hinterland de Hambourg ou dans le sud de la Grande-Bretagne, la congestion des voies terrestres se vit au jour le jour. Comment la CMA CGM ressent-elle ce problème?

J.R.S.: "Le transfert des productions de produits finis en Chine a été anticipé par les autorités chinoises qui ont rapidement mis en œuvre les moyens massifs nécessaires. Les capacités des terminaux portuaires ont donc vite été augmentées ou créées. Cela n’a pas été fait en Europe. Dans le Nord-Europe, les acheminements terrestres sont de plus en plus difficiles. C’est la raison pour laquelle, j’ai expliqué au Havre que nous allions, à partir de ce port, acheminer les boîtes par voie ferrée vers le sud et le centre de l’Allemagne. D’où notre volonté d’augmenter notre implantation havraise. Le Havre a donc une belle carte à jouer à l’import. Cela dit, il faut faire attention au coût total de l’escale havraise de nos 8 000 EVP qui occupe maintenant le haut de l’échelle. Dernièrement, j’ai attiré l’attention du PAH sur ce point.

Notre desserte ferroviaire se fera avec Veolia et doit commencer au printemps prochain avec des moyens propres."

JMM: Comment s’organisera la direction CMA CGM après votre départ?

J.R.S.: "Cela est organisé avec la présence effective de mes trois enfants dans la société: déjà D.G., Rodolphe sera à ma place et Tania, D.G. La répartition du capital est organisée en conséquence. Cela dit, si ma santé me le permet, je suis encore là pour quelques années."

JMM: Le conflit entre actionnaires historiques de la CMA est-il clos?

J.R.S.: "Ce n’est pas un conflit. Il attaque. Je subis. Via la presse égyptienne reprise par la presse libanaise, les attaques ont repris. Sans autre commentaire."

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