Melbourne veut conforter son leadership

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Voilà déjà six ans que le dossier traîne en longueur. "Nous étions loin de nous douter alors que l'approfondissement du chenal allait provoquer une polémique d'une telle ampleur", affirme aujourd'hui Stephen Bradford, le directeur général du Port of Melbourne (POM). C'était sans compter sur les associations écologistes de la région, mobilisées dès l'annonce du projet, pour faire pression sur le gouvernement du Victoria. "Pour la première fois, on nous demandait des comptes", reprend le patron du POM. Notamment en matière d'impact environnemental sur la baie de Port Phillip. Cette mer intérieure de 2 000 km2, porte océane de Melbourne et de ses terminaux, regorge d'un patrimoine écologique reconnu et par endroits protégé. Il n'est donc pas question de faire fuir les dauphins à coup d'explosif.

"Nous avons alors décidé de jouer la transparence", explique Stephen Bradford, qui s'est rendu en 2000 au Havre, pour voir comment la ville avait traité la question environnementale dans le cadre de Port 2000. À son retour et avec l'appui du gouvernement travailliste, la direction veut impliquer les habitants de Melbourne dans la définition du projet. "Une démarche responsable et aujourd'hui nécessaire pour un port situé au cœur d'une agglomération de 3 millions d'habitants." En suivront plusieurs années de discussions "pas toujours très utiles" et une bonne douzaine de rapports d'experts indépendants ou de commissions gouvernementales. En juillet 2004, toute la communauté portuaire est soulagée lorsque la 15e étude montre que le dragage pourra être réalisé "sans causer d'impact irréversible sur l'équilibre écologique de la baie". Ne reste plus qu'à inclure dans ces conclusions les observations des différents lobbies écologistes, ainsi que les résultats des essais de dragage réalisés avec succès en septembre 2005, avant une ultime présentation au public prévue pour début 2007.

À quelques semaines de la publication de ce rapport final et alors que les travaux auraient initialement dû démarrer l'année dernière, Stephen Bradford ne montre aucun signe d'agacement. Au contraire, il est même fier d'avoir initié "une démarche qui, en conjuguant impératifs économiques et écologiques, peut servir d'exemples à beaucoup d'autres ports dans le monde". Selon le calendrier, le démarrage du chantier est annoncé pour septembre 2007, le POM devant réceptionner les travaux avant la fin 2009. Prévue pour s'élever à l'origine à 235 M€, la facture va coûter plus du double au port et à sa communauté, dont beaucoup estiment que le feuilleton n'a déjà que trop duré.

L'absence d'un tirant d'eau permanent de 14 m dans la baie de Port Phillip pénalise en effet fortement l'activité du port. Plus du quart des porte-conteneurs s'arrêtant à Melbourne ne peuvent faire escale à pleine charge, générant un manque à gagner chiffré "à plus de 200 000 € par navire pour les compagnies", selon l'Association maritime d'Australie. L'inquiétude règne donc sur les quais, à l'heure de la massification des services et de l'utilisation de navires toujours plus volumineux. Bien que très confiant dans la suite du processus, Stephen Bradford est le premier à reconnaître l'importance des enjeux liés au chenal. "Si nous ne faisons rien, nous prenons en effet le risque de voir les compagnies éviter le port", prévient-il, assurant ne pas faire de provocation, lorsqu'il fait part dans le journal local, de sa crainte de voir Melbourne devenir alors "un simple port à feeders".

Le port joue la carte du conteneur

Persuadée que le démarrage du chenal n'est plus qu'une question de mois, la direction du POM préfère déjà travailler sur des prévisions plus optimistes, aidée en cela par la bonne santé générale des trafics. Avec 27,8 Mt entre juin 2005 et juin 2006, le trafic du port est en baisse de 0,3 %, en raison de la petite forme des importations (− 3 %). "La hausse des taux d'intérêt en mars dernier a un peu bloqué la consommation, mais la machine semble être relancée", observe Stephen Bradford, l'œil sur les statistiques portuaires du dernier trimestre. À l'approche des fêtes, les grossistes et détaillants de Melbourne mettent en effet les bouchées doubles et le port en profite pour empiler les records. Avec 173 000 EVP traités en août dernier, puis 178 000 en septembre, Melbourne a simplement réalisé puis battu, le meilleur résultat mensuel jamais enregistré en Australie. De bon augure, quelques mois seulement après avoir connu une 15e année consécutive de hausse sur un trafic qui représente 65 % des tonnages manutentionnés par le port. Près de 2 millions de boîtes transitent par an sur les différents terminaux de Melbourne, soit 40 % des volumes australiens.

La bonne fortune du port sur les trafics conteneurisés lui permet aussi de compenser le plongeon réalisé sur certaines activités de vracs solides, à commencer par celle des céréales, dont les volumes d'exportations ont chuté de 60 %, suite à la terrible sécheresse qui sévit dans le sud du pays. "Et nous ne sommes pas sûrs que la situation s'améliore dans les prochaines années", soupire Stephen Bradford. Alors que les trafics de vracs liquides et de diverses connaissent peu de variation d'une année sur l'autre et que les prévisions n'en annoncent aucune avant longtemps, il semble évident que l'avenir du port se jouera bien sur sa capacité à attirer les trafics conteneurisés. "D'où l'importance du chenal", glisse encore une fois le directeur du POM, histoire de bien rappeler le sens des priorités.

La direction du port a déjà depuis longtemps identifié sa cible. Alors que les terminaux n'ont pas connu de grève depuis la réforme de la manutention en 1998, le port en a profité pour revoir son organisation et en externalisant un certain nombre de métiers, Melbourne est aujourd'hui en mesure de proposer les coûts d'escale les plus bas du continent australien. "Et nous faisons en sorte d'aider nos opérateurs à rester le moins cher possible", précise le directeur du port. Comme en publiant, en août dernier, la première ébauche du plan de développement sur 30 ans.

Avec ce document, dont la version définitive est également attendue pour 2007, le POM propose "le cadre qui doit permettre au secteur privé de réfléchir dès aujourd'hui aux décisions qu'il devra prendre demain, notamment en matière d'investissements".

Les objectifs de cette étude portuaire sont élevés, surtout en matière de conteneurs. En partant d'une croissance annuelle de 6 %, identique à celle enregistrée en moyenne par le port ces dix dernières années, le port de Melbourne ambitionne d'atteindre les 3 MEVP dès 2015, puis 4,5 MEVP en 2025 et plus de 7 MEVP en 2035, date finale de l'étude. Considérant le chenal comme un préalable et en évitant bien de détailler les montants à investir, le document énumère une série d'investissements publics et privés, censée redéfinir les activités de certains bassins et améliorer la productivité des quais. À commencer par le principal terminal à conteneurs du port, celui de Swandon. Disposant d'assez d'espace pour étendre les deux quais existants, le premier propriétaire foncier de la capitale du Victoria envisage tout simplement de doubler la surface du terminal, tout en ajoutant quelques portiques supplémentaires. "L'idée est de passer d'une productivité de 850 EVP par mètre de quai en 2005 à plus de 1 500 EVP à l'horizon 2015", résume Stephen Bradford. Melbourne présentera alors une productivité équivalente aux meilleurs ports de la planète.

"Agrandir l'hinterland du port"

Pour être sûre d'absorber les augmentations de trafics conteneurisés tant espérées, la direction portuaire veut également développer et moderniser les installations de Webb Dock, aujourd'hui uniquement dédiées aux trafics en tout genre avec la Tasmanie. "Une manière de répondre déjà aux problèmes d'engorgement qui pourraient survenir à plus ou moins long terme sur Swandon", avance Stephen Bradford.

Il est également prévu d'assurer immédiatement la connexion ferroviaire de ces terminaux. "Pas question de doubler le nombre de conteneurs en doublant le nombre de camions", prévient le port, qui depuis 10 ans a constamment cherché à améliorer sa desserte ferroviaire. Là encore, les ambitions sont grandes, puisque le fer devrait à terme représenter 30 % des pré et postacheminements, contre 18 % aujourd'hui. "C'est également le moyen le plus efficace pour agrandir l'hinterland du port", estime Stephen Bradford. Melbourne compte en effet aller chasser le conteneur sur les terres traditionnelles de Sydney et d'Adélaïde, en connectant directement ses terminaux aux états voisins de la Nouvelles-Galles du Sud et de l'Australie méridionale. L'étude estime que le port pourrait ainsi grappiller près de 200 000 EVP supplémentaires par an. Pour compléter le réseau, la direction de POM souhaite également la construction de deux plateformes multimodales en complément de celle existant aujourd'hui au nord de l'agglomération.

Pour arriver à ses fins, le port prévoit d'investir plus d'un milliard d'euros, pendant que les acteurs privés pourraient avoir à dépenser plus du double. La direction a maintenant un an pour les convaincre du bien-fondé de sa stratégie. D'ici là, le dragage devrait avoir démarrer, inaugurant alors ce qui pourrait bien être une nouvelle ère pour le port de Melbourne.

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