"Nous prévoyons actuellement de fermer la voie maritime le 30 décembre. Cela sera la saison la plus longue depuis 1959, date à laquelle elle a été ouverte. Nous essayons chaque année de gagner un ou deux jours", affirme fièrement Richard Corfe, président et chef de la direction de la Corporation de gestion de la voie maritime du Saint-Laurent (CGVMSL). L’an dernier déjà, la voie était restée ouverte 280 jours, le record établi en 2004 s’élevant à 281. À l’origine de cet allongement, une météo de plus en plus clémente, c’est sûr, mais aussi – devant une demande de la clientèle, notamment celle qui transporte le minerai de fer – une meilleure gestion des glaces et des travaux sur les équipements réalisés sur des délais plus courts. La plupart des travaux d’investissement et d’entretien des infrastructures ont en effet lieu durant la période de fermeture, en hiver. La réouverture de la voie devrait se faire le 23 ou 24 mars prochain. Les années précédentes, le trafic avait repris respectivement le 25 et le 23 mars.
2006 est également une année faste en termes de trafic pour le fleuve qui sépare l’Est des États-Unis et du Canada. Le volume transporté augmente de plus de 10 %. 47 à 48 Mt sont attendues au moment de la fermeture, soit + 11 à 12 %. En 2005, 43,3 Mt avaient été transportées, ce qui s’avérait déjà une amélioration après des années de stabilité. 2006 devrait représenter les meilleurs résultats depuis la fin des années 1990. Les vracs augmentent le plus fortement, avec + 50 à 60 %. Les importations d’acier, surtout, ont progressé. Cela permet à des navires océaniques d’entrer sur la voie maritime jusqu’à Thunder Bay et Duluth, sur le Lac Supérieur. Ils repartent alors chargés de céréales à l’exportation, ce qui permet également une forte croissance de cette denrée dans le trafic global. Globalement, le nombre de navires océaniques croît de presque 30 % et représente aujourd’hui 40 % des bâtiments empruntant la voie. L’aluminium, un nouveau fret depuis deux ans, pèse 70 000 tonnes. Ce trafic, aujourd’hui pris en charge dans les ports de Sept-Iles et Trois-Rivières pour aller à Toledo, au bout du lac Erié, passait auparavant par le rail. A noter: les ports à l’extrémité Ouest du réseau ont respectivement fait des résultats aux alentours de 10 Mt pour Thunder Bay (dont 4 Mt en céréales) et de 11 Mt pour Duluth.
Le conteneur reste le parent pauvre
Seul bémol à cette saison: les conteneurs sont encore peu nombreux. Gagner des parts de marché dans ce secteur est l’objectif premier et affiché du marketing de la voie maritime, qui ne peut se contenter de rester à l’écart des trafics mondiaux qui explosent. Les ports de Montréal et Halifax, eux-mêmes, améliorent leur score de ce point de vue. Montréal affiche 1,2 million d’EVP et Halifax près de 600 000 EVP. Pour la suite de leur trajet, les conteneurs empruntent jusqu’à maintenant le rail. "Ce trafic devient significatif et devrait encore monter. Le volume en provenance de Chine progresse. Nous devons nous positionner pour faire partie de ce marché, car la capacité terrestre est de plus en plus limitée", soutient Richard Corfe. Le gestionnaire reconnaît cependant qu’une période de fermeture n’aide pas à fidéliser les clients. "Il faut que nous trouvions des partenariats gagnant-gagnant avec les camionneurs et les compagnies de chemins de fer. Nous y réfléchissons." L’idée serait que, après Halifax par exemple, les marchandises en provenance d’Asie via le Canal de Suez soient prises en charge par des petits porte-conteneurs pour les livrer vers l’intérieur du continent nord-américain. La CGVMSL met en avant l’efficacité énergétique, la lutte contre les gaz à effet de serre, l’allégement de la congestion routière, la sécurité et l’amélioration de la qualité locale de l’air.
L’idée est également d’augmenter dans l’avenir le nombre de navires océaniques entrant sur le réseau, en développant le feedering dans certains ports. "Il faut que nous trouvions notre niche", explique le responsable. "En Hollande, en Belgique et dans tout le Nord de l’Europe, le système se développe depuis une dizaine d’années. Nous le faisons aussi, mais de façon trop confidentielle." Cependant, quelques habitudes ont été prises. Depuis deux ans, il n’y a plus de production de coke en Amérique du Nord. Du coup, cette année, 1,3 Mt de coke indonésien a été transbordé à Québec pour aller vers les usines des Grands lacs. Outre l’aluminium à Sept-Iles et Trois-Rivières, le port d’Hamilton, sur le lac Ontario, a également commencé le transport de courte distance vers celui de Sault-Sainte-Marie, sur le lac Supérieur.
Un marketing encore débutant
La voie maritime du Saint-Laurent et des Grands lacs est actuellement utilisée à 60 % de ses capacités, la limite se situant à un trafic autour de 80 Mt, selon la taille des navires. Mais elle reste trop méconnue dans le monde pour arriver à bien vendre ses avantages. Son marketing s’est structuré il y a deux ans. Alors que les acteurs agissaient séparément jusque-là, une démarche commune a été initiée. Et une marque est née: l’autoroute H2O. Elle regroupe au point de vue commercial le gestionnaire de la voie – une autorité à double casquette, américaine et canadienne – et 18 ports. Des tarifs plus souples et incitatifs ont été décidés, notamment en éliminant certains frais pour les nouvelles cargaisons. La tarification devrait encore évoluer. La deuxième conférence H2O a eu lieu à Toronto sur le thème des conteneurs. Enfin, deux missions ont été menées, en Allemagne et en Chine. Ce dernier pays est lui-même confronté au défi de l’accessibilité de l’intérieur, les manufactures s’installant désormais au cœur du continent et non plus seulement le long de la côte.
Concrètement, la fermeture hivernale va permettre de réaliser des travaux pour un montant de 30 M$ (19,7 M€) sur les 37 M$ (24,3 M€) annuel. Le projet le plus important concerne le canal de Welland, qui permet de contourner les chutes du Niagara en reliant les lacs Ontario et Erié. Toute la machinerie, qui date de 1932, est convertie à l’hydraulique avec commande à distance; les revêtements de béton sur les murs des écluses sont rénovés, etc. 11 M$ (7,2 M€) y sont injectés cette année. La voie investit également 2 M$ (1,3 M€) en travaux de dragage.
Pour la saison 2007, et même s’il est tôt pour faire des pronostics, la CGVMSL ne prévoit pas d’améliorer ses résultats. Le gestionnaire voudrait atteindre 48 Mt à nouveau, ce qui voudrait dire qu’elle gagne des parts de marché face au rail et à la route. Il faut en effet compter avec le ralentissement économique attendu aux États-Unis.
15 ports pour le Saint-Laurent
La voie maritime du Saint-Laurent, qui termine sa 48e saison et part de l’océan Atlantique pour rejoindre le lac Supérieur, via les lacs Ontario, Erié, Huron, Michigan, compte 15 grands ports, dont plus de la moitié ont une profondeur supérieure à 8,23 m. Les autres ports sont considérés comme “régionaux”. Plus de 40 routes et autoroutes, canadiennes et américaines, y sont reliées et 30 sociétés ferroviaires les desservent. Elle peut accueillir des navires transportant 30 000 t de marchandises, soit 226 m de long, 24 m de large et un tirant d’eau de 8 m. Si la voie maritime termine sa 48e saison, le canal de Welland termine sa 75e.