L'encouragement du développement du partenariat du secteur public avec le secteur privé contribue à rétrécir la sphère du pouvoir régalien. Cette notion n'est d'ailleurs pas consacrée en droit, c'est l'expression "exercice des prérogatives de puissance publique" qui est retenue dans les textes et par la jurisprudence.
Pour sa part, le droit communautaire contribue largement à étendre la définition des activités économiques. Ainsi, la Cour de justice considère que celles-ci existent indépendamment du statut de l'entité qui les exercent. Elle a jugé que "constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné".
Actuellement, il est difficile d'établir une nette distinction entre les actes d'autorité publique et l'exercice d'activités économiques. Toutefois, une évolution se dessine tant au niveau national qu'au niveau communautaire.
Des activités de service public
Même si le concept de droit public économique a aujourd'hui acquis une légitimité, la séparation entre le droit public et le droit privé demeure tranchée, malgré des incursions significatives du droit privé (comme le droit de la concurrence, ou la reconnaissance des droits réels au profit des occupants du domaine public) dans des matières relevant du droit public.
L'imprécision, volontaire ou non, des textes donne parfois lieu à une jurisprudence divergente. Ainsi, la loi du 29 juin 1965 se borne à qualifier les ports maritimes autonomes d'établissements publics de l'État; pour le Conseil d'État, il s'agit d'établissements "à double visage" exerçant à la fois des missions de service public à caractère administratif et des activités de nature industrielle et commerciale; tandis que la Cour de cassation les qualifie d'établissements publics à caractère industriel et commercial.
La situation des ports maritimes autonomes illustre la difficulté de séparer le pouvoir régalien du pouvoir économique. En effet, s'il est indispensable de désigner des représentants des opérateurs économiques au sein des conseils d'administration de ces établissements publics, le risque n'est pas négligeable que certains d'entre eux soient poursuivis pour prise illégale d'intérêt dès lors qu'un lien peut être établi entre la gestion de leur entreprise et leur qualité d'administrateur d'un établissement public de l'État. L'intervention du législateur pour imposer la transparence en matière financière n'apporte pas de solution satisfaisante pour atténuer le risque de poursuites pénales.
Le pouvoir discrétionnaire de l'autorité portuaire tend à s'estomper progressivement; le législateur impose à présent un appel à candidatures pour l'octroi des concessions et des sous-traités de concession, tandis que la jurisprudence recommande au gestionnaire du domaine public la prise en compte de la liberté du commerce et de l'industrie et le respect du droit de la concurrence. Même l'exercice du pouvoir de police portuaire n'échappe pas à l'influence de cette branche du droit. Ainsi, les conditions d'attribution des postes à quai ne peuvent créer de discrimination entre les usagers, sauf s'il existe une raison impérieuse d'intérêt général comme la sécurité.
La portée de la notion de service public tend à se restreindre, tandis qu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Conseil d'État jugeait que la manutention portuaire était un élément du service public, désormais, la Cour de justice des communautés estime que cette activité ne constitue pas un service d'intérêt économique général, et selon toute vraisemblance, c'est qu'il s'agit selon elle d'une simple activité économique. Sur un autre plan, l'embauche des dockers intermittents qui est qualifiée de service public à caractère administratif disparaît peu à peu depuis la réforme de la manutention portuaire en 1992.
À l'inverse, comme l'a jugé à plusieurs reprises le Conseil d'État, l'aménagement de l'espace portuaire et la réalisation des ouvrages d'infrastructure d'intérêt collectif (tels que les ouvrages de protection contre la mer, les chenaux, bassins…) constituent des activités de service public à caractère administratif, et entrent incontestablement dans les missions régaliennes des autorités portuaires au même titre que l'exercice du pouvoir de police: la sauvegarde de l'intérêt général justifie que ce régime juridique soit maintenu.
La séparation entre les missions régaliennes et les activités économiques des autorités portuaires est-elle possible ou est-elle souhaitable?
Le Maroc tente aujourd'hui une expérience intéressante en transformant l'Office d'exploitation des ports (ODEP) en deux entités, l'une chargée des missions régaliennes "l'Agence nationale des ports", et l'autre, "la société d'exploitation des ports", chargée de la gestion des activités économiques portuaires, va avoir le statut de concessionnaire et pourra se trouver en concurrence avec des opérateurs privés.
En France, sous la pression du droit communautaire, le régime juridique de gestion des ports se transforme progressivement.
Où s'arrête le domaine public?
Si les concepts de "domaine public" et de "service public" subsistent toujours, leur champ d'application devient de plus en plus limité. Le législateur a donné un coup d'arrêt à l'interprétation extensive du domaine public, et de manière symbolique, l'article 538 du Code civil qui classait les ports dans le domaine public vient d'être abrogé. Cela ne veut pas dire que les ports ne font plus partie du domaine public, mais ce dernier ne concerne pas nécessairement la totalité de la zone portuaire. Déjà, il y a un quart de siècle, le Conseil d'État admettait le déclassement du domaine public portuaire pour réaliser des aménagements industriels sous le régime des conventions d'occupation de droit privé. Une considération de bon sens veut cependant que les ouvrages d'infrastructure d'intérêt collectif continuent de faire partie du domaine public afin de bénéficier d'une protection juridique suffisante pour que le port assure sa mission d'intérêt général.
Une évolution importante est intervenue avec la possibilité pour les concessionnaires publics de créer une société portuaire, par la cession ou l'apport en société de la concession d'outillage public, sous réserve de l'accord du concédant. Certes, la loi précise que le capital initial de la société doit être public, mais il est possible qu'à terme la société devienne d'économie mixte. L'innovation, c'est la reconnaissance de la valeur patrimoniale de la concession.
Au niveau communautaire, une directive impose aux États membres d'assurer la transparence des relations financières entre les pouvoirs publics et les entreprises publiques au nom desquelles il y a les ports maritimes autonomes. La Cour de justice a jugé que "la circonstance qu'une entité dispose, pour l'exercice d'une partie de ses activités, de prérogatives de puissance publique, n'empêche pas, à elle seule, de la qualifier d'entreprise". Selon cette conception, la séparation des comptabilités respectives des actes de puissance publique et des activités à caractère industriel et commercial est d'une ardente nécessité, ce qui, en l'espèce, est à la fois logique et nécessaire à une bonne gestion des ports maritimes.
Par ailleurs, le contrôle de l'utilisation de l'argent public par les ports autonomes est renforcé par la présence de commissaires aux comptes, et par la surveillance exercée par l'Agence des Participations de l'État.
Des partenariats publics-privés
Faut-il changer le statut des ports maritimes autonomes, à l'instar de celui d'Aéroports de Paris qui est devenu une société commerciale? Aucune raison impérieuse d'intérêt général ne l'impose! Bien au contraire - et lorsque le droit privé et en particulier celui de la concurrence s'infiltre partout, l'administration du port doit demeurer de la compétence d'une personne de droit public, tant l'intérêt général doit être efficacement assuré.
L'autorité portuaire doit, en conséquence, prioritairement focaliser son action sur la pleine et correcte exécution de ses missions régaliennes - ce que d'ailleurs personne d'autre ne saurait faire à sa place! Elle doit par contre conserver la possibilité que lui donne l'actuel régime des ports autonomes français d'exercer des activités à caractère industriel et commercial, notamment lorsque les professionnels privés hésitent à s'engager ou pour éviter le risque d'un abus de position dominante. Il est cependant souhaitable, en pareil cas, que l'autorité portuaire recherche activement des partenariats "public – privé" – sa participation à de tels partenariats pouvant être facilitée par la filialisation de certaines de ses activités à caractère industriel et commercial. Encore faut-il que soient levés les freins que l'actuel régime fiscal de notre pays constituent pour la création par les ports autonomes de filiales commerciales.
La nécessité que les ports français adaptent rapidement leurs structures à la nouvelle donne économique mondiale ne justifie-t-elle pas une révision de la fiscalité… plutôt que de modifier un régime juridique qui permet aux autorités portuaires d'agir efficacement, quelles que soient les perspectives de trafic et la mobilisation des opérateurs privés?