La fiabilité n’est toujours pas "juste à temps"

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Dans le meilleur des mondes possibles, les grands porte-conteneurs livrant des marchandises d’Asie en Europe arriveraient le jour prévu, les conteneurs seraient déchargés rapidement (sans mouvements sociaux dans les ports), puis ils seraient acheminés directement vers la plate-forme logistique du destinataire, qui pourrait ainsi immédiatement reconstituer son stock et minimiser ses coûts financiers.

En fait, selon la dernière enquête trimestrielle "Drewry Container Shipper Insight" des consultants anglais Drewry Shipping Consultants, la fiabilité des horaires des services conteneurisés est loin d’atteindre 100 %, même sur la liaison Asie/Méditerranée/Europe du Nord, qui bénéficie d’un matériel naval moderne et d’infrastructures portuaires de pointe aussi bien en Europe qu’en Extrême-Orient.

Sur le premier semestre de cette année, seulement 49 % des voyages conteneurisés exploités par les grands armateurs ou les "global alliances" sur la liaison Asie/Méditerranée/Europe du Nord sont arrivés à temps, selon l’enquête. Pour définir le retard d’un navire, Drewry a comparé le jour d’arrivée prévu dans l’horaire et le jour d’arrivée réel de 5 676 voyages au niveau mondial. Si le navire était entré dans le port de destination le jour prévu dans l’horaire ("estimated day of arrival") ou le jour précédent, il était considéré comme étant arrivé à temps. Il serait aussi possible d’affiner cette étude pour déterminer si les navires arrivent non seulement le jour prévu, mais aussi à l’heure prévue; il semble que nous sommes loin d’atteindre ce niveau de discipline de "juste à temps" dans le secteur maritime.

Fiabilité variable des armateurs

La fiabilité moyenne des grands armateurs étant de 49 % et le retard moyen étant de 1,3 jour (voir tableau "Étude comparative de la fiabilité des horaires des porte-conteneurs sur la liaison Asie/Méditerranée/ Europe du Nord"), il faut aussi prendre en compte les variations derrière ces moyennes.

Il y a des différences importantes entre armateurs, entre les lignes exploitées par un armateur donné et aussi entre des voyages différents pour la même ligne d’un armateur.

Dans de rares cas, les navires arrivent 8 ou 9 jours plus tard que prévu. Sur 1 706 arrivées de navires sur la liaison Asie/Méditerranée/Europe du Nord, 234 (ou 14 %) accusaient un retard de 3 jours ou plus. Cela n’est pas négligeable.

Pour les lignes les moins fiables sur la liaison Asie/Méditerranée/Europe du Nord, 5 % – ou moins – des voyages arrivent à temps. Leur retard moyen est de 5 jours.

La situation inverse est celle de la ligne "Asia-Europe 9", ou AE9, de Mærsk Line, qui a eu une fiabilité de 100 % selon l’enquête (voir tableau "Fiabilité des horaires des porte-conteneurs sur la liaison Asie/Méditerranée/Europe du Nord par ligne et par armateur").

Mærsk Line est actuellement l’armateur le plus fiable sur la liaison Asie/Méditerranée/Europe du Nord, alors que MSC est le moins fiable. Cependant, le pourcentage moyen de voyages arrivés à temps de 69 % pour Mærsk ne semble non plus pas optimal.

La moyenne de Mærsk Line comprend les voyages exploités sous les anciennes marques Mærsk Sealand et P&O Nedlloyd, qui ont été remplacées par Mærsk Line en février.

Il est intéressant d’observer qu’il n’y a pas de supériorité évidente des fiabilités des horaires d’armateurs de conférence par rapport aux armateurs hors conférence, comme Evergreen. Et le fait que certaines lignes sont exploitées en commun par la CMA CGM (conférence) et par China Shipping (non-conférence) diminue cette distinction.

On aurait pu s’attendre à ce que les armateurs qui ont des parts de marché moins importantes sur la liaison Asie/Méditerranée/Europe du Nord aient une fiabilité moindre, mais cela n’est pas généralement le cas. Par exemple, les lignes exploitées par CSAV Norasia, United Arab Shipping Company et Zim Integrated Shipping Services ont des fiabilités qui sont proches de la moyenne de 49 %. Le service commun entre Wan Hai et Pacific International Lines a des résultats plus bas que la moyenne (36 %), selon l’enquête.

Une fiabilité des horaires de 100 % est impossible. Le transport maritime dépend d’éléments externes tels que le mauvais temps, ainsi que les grèves et l’encombrement portuaires, pour lesquels les armateurs ne sont pas responsables.

La sortie de P&O Nedlloyd de la "Grand Alliance" en février, après son rachat par Mærsk, doit avoir causé des retards du fait du transfert des navires de P&O Nedlloyd. Ce facteur devrait être temporaire.

Impact pour les chargeurs

Selon Drewry, le secteur mondial du transport maritime des conteneurs ne fournit pas le niveau de qualité de service attendu par la plupart des chargeurs en matière de fiabilité des chaînes logistiques. Pour la plupart des liaisons internationales, la fiabilité des horaires atteint moins de 55 % (l’enquête trimestrielle "Drewry Container Shipper Insight" porte sur 23 liaisons).

La fiabilité est l’un des aspects les plus importants pour les chargeurs dans leur politique de logistique des transports. Pourtant, pour la plupart d’entre eux, il est difficile de suivre et de quantifier les retards des navires, et il y a eu peu de transparence dans ce domaine de la part des armateurs.

Jean-Louis Cambon, responsable du comité transport maritime de Michelin, a déclaré: "Comme les chargeurs se concentrent de plus en plus sur la vitesse des chaînes logistiques et sur la conformité avec des temps définis, l’outil de Drewry arrive au bon moment pour avoir une vue plus claire de cet aspect important du service de ligne régulière."

Les retards, où l’incapacité à les anticiper, représentent une "non-qualité". En particulier, pour les chargeurs qui travaillent en flux tendus, s’il y a des retards, ceux-ci doivent être rares et de courte durée. Les retards doivent être quasiment "prévisibles", de manière à pouvoir les incorporer dans les calculs d’optimisation de la logistique. L’existence de variations importantes entre les retards (ou non-retards) de plusieurs voyages consécutifs représente un risque accru de rupture des stocks ou un coût supplémentaire de création d’un stock tampon. Il est préférable pour un logisticien d’avoir un temps de transit des marchandises plus long, mais avec une haute fiabilité, plutôt qu’un temps de transit plus court mais non fiable.

Les retards des navires ont aussi des conséquences dommageables pour les ports, qui cherchent à répartir le mieux possible la charge d’utilisation des terminaux. Certains manutentionnaires se sont plaints que les armateurs ne respectent pas leurs créneaux horaires d’utilisation des quais.

Objectifs d’amélioration

Drewry pense que les variations très importantes entre les lignes les plus fiables (100 % d’arrivées à temps) et les moins fiables (0 % ou 5 % d’arrivées à temps), mesurées sur une période de six mois, montrent que la plupart des retards sur la liaison Asie/Méditerranée/Europe du Nord sont le résultat des actions des armateurs.

Un objectif d’arrivées à temps de 90 % des navires en moyenne longue devrait être réalisable par tous les armateurs. Cet objectif nécessite sans doute à la fois une meilleure discipline des départs de navires, l’inclusion d’environ deux jours supplémentaires dans les horaires de rotation complète du voyage pour faire face aux aléas possibles, la communication des horaires prévus du voyage aux chargeurs sans erreurs, et le choix de terminaux fiables.

Ces mesures seraient cependant coûteuses pour la plupart des armateurs et il faudrait qu’ils voient une contrepartie financière pour une amélioration de leur fiabilité. Au moins, les chargeurs devraient être en mesure d’évaluer le rapport fiabilité-taux de fret des armateurs qu’ils pensent utiliser.

Dans le secteur aérien, il existe une gamme différenciée de services entre le service "time definite" (à temps de livraison garanti) et le service de qualité normal. Les taux de fret varient selon le niveau de fiabilité.

Dans le maritime, les armateurs ne garantissent pas le jour d’arrivée (sauf exceptions rares) et les prix varient relativement peu entre les différents niveaux de service. Peut-être faudra-t-il une meilleure transparence et une différenciation plus claire des performances des armateurs (ou une mobilisation des grands chargeurs?) pour aboutir à une concurrence plus portée sur l’aspect "juste à temps" du service de transport maritime.

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