La conférence annuelle de l’International Union of Marine Insurance (Iumi) qui se tenait à Tokyo en septembre dernier a permis aux 370 souscripteurs présents, représentant toutes les principales compagnies d’assurances maritimes, de faire le point sur l’assurance maritime mondiale. Les problèmes liés aux accumulations de valeurs à bord des porte-conteneurs géants arrivent au premier rang des préoccupations des assureurs, pour lesquels le montant des primes encaissées en 2005 avoisine les 17,8 milliards de dollars selon Astrid Selman, analyste au Central Union of Marine Underwriters d’Oslo. Les facultés génèrent 9,28 milliards de dollars de primes, les corps de navires 4,77 Md$, la responsabilité civile 1,2 Md$ et l’énergie-offshore 1,69 Md$. Il faut y ajouter 2,4 Md$ encaissés en couverture responsabilité civile par les clubs mutualistes P&I.
Le volume de primes corps de navires progresse régulièrement depuis 2001, contrairement à celui des facultés qui, après une forte croissance de 2001 à 2004, a reculé en 2005. Ainsi, les corps de navires affichent + 5,1 % en 2005 (+ 12,8 % en 2004), les marchandises – 6,5 % (+ 8,7 % en 2004), la responsabilité civile + 7,6 % (− 0,7 % en 2004) et l’énergie-offshore + 9,3 % (− 11,5 % en 2004). Ces évolutions résultent avant tout des politiques tarifaires des compagnies sur un marché fortement concurrentiel en facultés. La forte croissance du commerce international n’arrive pas à compenser la guerre commerciale que se livrent les compagnies d’assurances. Par ailleurs, l’envolée du prix du baril de pétrole dope l’activité offshore et les soubresauts désordonnés du dollar par rapport au yen et à l’euro jouent également un rôle important. Globalement, le chiffre d’affaires de l’assurance maritime a progressé de 0,5 % en 2005, contre + 6,9 % en 2004.
L’Europe reste leader en termes de parts de marché, avec 61 % des encaissements (sans compter les P&I britanniques), suivie par la zone Asie/Pacifique (24,5 %) et l’Amérique du Nord (12,4 %). Cette situation est relativement stable, les évolutions étant moins liées à une réelle redistribution des cartes qu’à la parité des monnaies. Une analyse par pays montre en corps de navires une hégémonie du Royaume-Uni, remise en cause par la Norvège qui progresse très fortement depuis trois ans, bénéficiant du développement de sa flotte et d’un niveau de services apprécié des armateurs. Ces deux pays passent la barre des US $ 600 millions de primes encaissées. La France (380 M$) arrive 4e derrière le Japon (430 M$). Mais ce dernier assoit sa puissance presque exclusivement sur son marché domestique alors que la France, qui ne possède que la 28e flotte mondiale, place 80 % de ses affaires à l’international.
En facultés, la situation est radicalement différente avec cette fois un couple Japon-Allemagne (respectivement 1,6 et 1,8 Md$ de primes) situé loin devant les Britanniques, les États-Unis et la France, qui se tiennent dans un mouchoir de poche. Là encore, le Japon ne doit sa place qu’à son quasi-monopole sur un marché domestique extrêmement puissant.
Le développement rapide des échanges internationaux et les contrats remportés par les compagnies françaises en Chine et aux États-Unis expliquent en grande partie la progression de la France, en dépit d’une baisse des primes. En effet, 2005 a vu certains intervenants casser les prix pour se faire une place et on voit, par exemple, l’arrivée dans l’hexagone de plusieurs compagnies étrangères comme Tokyo Marine ou Ace Europe.
Collisions et échouements
De 2002 à 2004, le coût moyen des sinistres dû à des collisions ou des échouements a augmenté de 61 %, alors que ceux provoqués par des incendies et explosions baissaient de 30 %. Le nombre croissant de navires sur les mers, leur vitesse de navigation accrue et leur conduite par des équipages peu qualifiés expliquent la montée en puissance des collisions et échouements. À l’occasion des "entretiens phocéens" consacrés à "l’architecture navale" en octobre dernier à Marseille, l’expert maritime Georges Figuiere, constatait que "les abordages et échouements sont la cause principale des pertes de vies humaines et des pollutions. 80 % de ces sinistres relèvent de défaillances humaines. Les équipements technologiques de plus en plus sophistiqués n’empêchent pas les naufrages, car cette évolution s’accompagne d’une baisse de la veille optique. Rien ne peut remplacer la présence humaine. Or les bordées de quart ne comptent qu’un officier de veille, alors que les navires filent à plus de 20 nœuds et souffrent d’inertie en raison de leur taille croissante. C’est totalement déraisonnable. La baisse des effectifs rend les recommandations et règles internationales pratiquement impossibles à appliquer". Des propos confirmés par André Fabiao, expert en coques et machines. "Le dernier Mærsk ne dispose comme équipage de base que de treize hommes. Heureusement, l’état de la flotte s’est considérablement amélioré depuis une décennie, particulièrement celui des navires transportant des produits dangereux."
Mais augmentation du coût moyen des échouements et abordages ne signifie pas progression globale de la sinistralité. Pour les P&I, "bien que nous ayons encore à l’esprit les naufrages tragiques de l’Erika et du Prestige, nous observons à l’échelle mondiale une tendance soutenue à la baisse du nombre d’accidents maritimes au cours de la dernière décennie. De plus, dans ce nombre décroissant d’accidents, une proportion croissante concernait des navires conformes plutôt que des navires ne répondant pas aux normes". Xavier Conti, directeur des assurances transports à la FFSA, remarque "une charge constante des sinistres. La fréquence est stable, mais l’intensité augmente en corps de navires. Au total, la sinistralité reste volatile en fonction de la survenance d’événements majeurs".
En fait, les assureurs imposent des franchises de plus en plus importantes, ce qui mécaniquement réduit le nombre des petits sinistres déclarés et contribue depuis 1999 à l’amélioration du ratio sinistre à prime. Les assureurs estiment que pour équilibrer les comptes, cet indicateur ne doit pas dépasser 70 %. Or il atteignait en 1999 plus de 130 % en corps de navires et près de 90 % en facultés. Depuis, la situation est revenue dans des normes acceptables avec un ratio de 70 % en corps de navires et d’un peu plus de 60 % en marchandises.
Les assureurs sont pourtant confrontés à une double problématique. D’un côté, les États durcissent les exigences de solvabilité des compagnies pendant que de l’autre, les armateurs font construire des navires de plus en plus grands.
Navires géants
Certains acteurs du monde maritime redoutent un réel problème de capacité en facultés, car le risque à assurer augmente considérablement. Xavier Conti n’y croit pas. "La question ne se pose pas en ces termes. La difficulté réside plutôt sur dans l’appréciation des risques et le danger d’accumulation. Nous sommes confrontés à des porte-conteneurs de très grande capacité, 10 000 boîtes aujourd’hui, 15 000 ou 16 000 demain. La traçabilité des conteneurs n’étant pas possible pour l’instant, personne ne peut dire avec précision sur quel navire ils voyagent. Une compagnie assurera des conteneurs en pensant que le risque est réparti sur plusieurs unités alors qu’en réalité un seul navire les chargera tous. D’où une accumulation non connue de l’assureur." Et quand une compagnie n’arrive pas à appréhender correctement un risque, elle se couvre en pratiquant des hausses tarifaires. Il faut donc s’attendre à des augmentations sensibles si la traçabilité des conteneurs ne peut être améliorée. En revanche, en termes de capacité, une marge existe encore. Xavier Conti fixe la barre à "trois ou quatre milliards de dollars par navire. Nous en sommes encore loin, car les bâtiments ne transportent pas que des conteneurs pleins. Nous arrivons pour l’instant à des maximums d’un milliard de dollars d’exposition".
Pour Ole Wikborg, président de la commission corps de navires de l’Iumi, "les assureurs accepteront d’assumer ce risque, car la prime payée le reflétera. La plupart des compagnies devront grandir. La taille est non seulement intéressante pour répartir le risque sur un plus grand nombre, mais également parce que c’est une manière de prendre des parts de marché. Cette croissance implique des fusions et des acquisitions. Pour les corps de navires comme en facultés, l’évolution sera donc semblable aux autres segments du marché de l’assurance, avec peu d’acteurs, mais disposant de plus grandes capacités de garantie. Les assurés auront en revanche moins de choix. Mais je crois que ce sera positif pour l’industrie, même si le coût en est élevé". Armateurs de France ne pense pas que le gigantisme des navires provoquera un manque de capacités. "Le problème de l’accumulation des valeurs concerne plus les chargeurs que les armateurs. Il conduit à des augmentations de primes, nous le constatons déjà. Bien sûr, le marché n’est pas simple et les négociations difficiles, notamment au moment des renouvellements, d’où l’intérêt de passer par des courtiers. Mais pour l’instant, tout le monde trouve à s’assurer."