Jusqu’au passage des cyclones Katrina, Rita et Wilma, le marché de corps de navires avait atteint un palier après des hausses régulières pendant ces dix dernières années; un rattrapage impératif, car les capitaux commençaient à se détourner de ce secteur. Ainsi, les syndicats londoniens purement marins se raréfient et les regroupements favorisent cette déspécialisation. Le nombre de syndicats de Lloyd’s est passé de 123 en 2000 à une soixantaine en 2006. Dès lors, ces syndicats présents sur différents marchés allouent leurs fonds aux branches les plus rentables. Partout dans le monde, la faible rentabilité du capital investi en assurance corps de navire explique le nombre réduit de nouveaux acteurs.
Les assureurs doivent, parallèlement, faire face à une forte augmentation de la réassurance. Ils sont tentés de moins se couvrir, et donc, en cascade, de prendre moins de risques, un phénomène compensé en Grande-Bretagne par la spécificité de la Lloyd’s sur les risques compliqués et les fortes capacités. Sur ces niches peu concurrencées, ils peuvent pratiquer des tarifs leur assurant une marge suffisante. À l’autre extrémité de la balance, les risques à faibles primes restent bien couverts, car les marchés intérieurs offrent une alternative compétitive.
Si le nombre d’accidents diminue globalement, les sinistres deviennent de plus en plus lourds, notamment en raison de l’augmentation de la taille des navires. Tsunami, cyclones, terrorisme… la multiplication de catastrophes majeures rend également les assureurs très prudents. Faible rentabilité et risques plus importants rendent les cotations difficiles. "Nous avons de plus en plus de mal à trouver des capacités, surtout pour les risques les moins classiques. Les compagnies veulent bien assumer un rôle d’apériteur (leader), mais en ne s’engageant qu’à hauteur de 20 à 30 %", se plaint Philippe Chabas, directeur du cabinet Harrel-Courtes. Les assureurs imposent parallèlement des évaluations plus techniques, en s’intéressant aussi bien à l’état du navire qu’à son équipage et à la façon dont il est entretenu, quel que soit son âge.
Les compagnies semblent avoir réussi par leurs augmentations récurrentes à redresser des résultats déficitaires. Cette politique tarifaire visait également à dégager les assureurs de leur dépendance vis-à-vis des revenus financiers des capitaux immobilisés, très aléatoires en raison des chocs boursiers. Cette indépendance semble en partie acquise aujourd’hui. Les compagnies gèrent désormais leurs placements en privilégiant davantage la sécurité.
"Les majors ont remis de l’ordre dans leurs comptes et s’observent", souligne Karine Tramier, gérante du cabinet Harrel-Courtes. "L’arrivée de compagnies étrangères plus ou moins exotiques sur le marché français va sans doute briser cet équilibre et provoquer des rabais sur les « bons contrats »." Philippe Chabas s’attend à un décrochage rapide. "La France bénéficiait dans le passé de cycles lents. Mais depuis le 11 septembre 2001, les compagnies se sont rapprochées du modèle anglo-saxon et n’hésitent plus à pratiquer des corrections tarifaires brutales, quitte à tout inverser l’année suivante."
Suite aux hausses tarifaires, les armateurs sont confrontés au risque réel de voir diminuer leurs niveaux de garanties et de s’assurer auprès de compagnies basées dans des pays tiers. Reste à savoir s’ils privilégient un montant de prime, quitte à changer régulièrement d’assureur, où s’ils préfèrent jouer la carte de la stabilité.
En dépit de cette épée de Damoclès, pour beaucoup de compagnies, une baisse des prix conduirait à une réallocation des capitaux vers d’autres marchés que le maritime. 2006 et 2007 apparaissent comme des années de transition. D’autres catastrophes naturelles pourraient déclencher un nouveau cycle haussier, même si la tendance est plutôt à la modération, voire à la baisse. Un constat partagé par Armateurs de France, que la responsable juridique, Geneviève Thomas-Ciora, résume en expliquant que "les armateurs ne s’attendent pas à un changement de cycle. Le marché de l’assurance maritime est stable. Les fusions des compagnies d’assurances permettent d’augmenter leur rentabilité. Nous ne pensons pas qu’il s’agit d’un secteur souffrant d’un manque de profitabilité". Xavier Conti, directeur des assurances transports à la FFSA estime également que "le marché des corps de navire ne souffre pas d’une pénurie de capitaux. Sa rentabilité est cependant précaire. La reconstitution des marges a rendu depuis 2002-2003 ce marché profitable. Nous arrivons tout juste à l’équilibre en matière de rapport sinistre à prime."
Les Français placent à l’étranger
Faute de navires français battant pavillon français, les assureurs hexagonaux doivent trouver une clientèle étrangère pour survivre.
Moins de 1 % des navires naviguant dans le monde possèdent un pavillon français. Le Registre international français va sans doute faire remonter légèrement ce taux. Mais une chose apparaît certaine, les assureurs spécialisés dans le maritime doivent chasser hors de nos frontières pour développer leur portefeuille. Groupama Transports a ainsi ouvert des bureaux en Asie (Hong Kong et Singapour) et en Europe (Italie et Grande-Bretagne). Pour rester présent à l’international, il faut peser lourd. La place française corps et facultés est entre les mains de quatre compagnies qui trustent 70 % de parts de marché contre 30 % dans les années quatre-vingt-dix.
Les assureurs français de corps de navires se comptent actuellement sur les doigts d’une main et tous disposent d’un réseau mondial. Axa Corporate Solutions reste un solide leader avec 25 % de son activité “maritime” (336 M€) réalisée dans l’assurance de corps de navires. Suivent ensuite Groupama Transports, Allianz Marine Aviation et Generali France Assurance.
Il faut ajouter à cette liste quelques spécialistes du fluvial. Cette niche qui représente tout de même un marché de 23 M€ est dominée par Groupama, AGF, Axa, MMA et depuis peu Helveua, qui limite pour l’instant son portefeuille aux fluviaux de moins de 20 ans sous pavillon français.
Les intermédiaires souffrent, à l’image du cabinet marseillais Harrel Courtes, qui doit se diversifier dans la plaisance et l’IARD (incendie accident risques divers) pour maintenir son chiffre d’affaires. “Les armateurs sont de moins en moins nombreux du fait des fusions. Le nombre de contrats se raréfie donc mécaniquement”, constate Karine Tramier, gérante du cabinet Harrel Courtes. Mais globalement, la France tient son rang et “n’est pas à la traîne. Trois à quatre pays dominent l’assurance maritime et la France en fait partie”, se félicite Xaxier Conti, directeur des assurances transports à la FFSA. “Le marché français peut réunir sans difficulté 150 millions de dollars de capacité.”