"Tous les ports ont un rôle a jouer dans l’économie nationale"

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Journal de la Marine Marchande (JMM): Six ans après son précédent rapport sur les ports maritimes (La politique portuaire française, paru en octobre 1999), la Cour des comptes a publié le 26 juin, un nouveau rapport sur "la mutation des ports français". Ce délai vous paraît suffisant, quand, en Belgique, la Banque nationale publie tous les ans une analyse de leurs établissements?

Bruno Vergobbi (B.V.): "Les deux documents ont leur importance dans un contexte différent.

L’institution française analyse les ports avec une approche thématique. La périodicité de ce rapport est plus appropriée. En Belgique, la Banque nationale mène une analyse intéressante à d’autres niveaux en prenant en compte le paramètre financier. Chacun a sa place. Il serait souhaitable qu’en France nous ayons la même approche d’une analyse port par port sur la valeur ajoutée produite. L’exercice devrait être fait par une institution analogue à celle de Belgique, comme la Banque de France.

JMM: Le rapport de la Cour des comptes pose un regard critique sur les ports français. Il analyse les différents aspects de la politique portuaire française et conclut à l’urgence de l’action. Partagez-vous cette analyse?

B.V.: "Ce rapport est sérieux et les analyses sont fondées. Il est indéniable que nos ports ont perdu des parts de marché sur les trafics de conteneurs. Dans son ensemble, ce rapport bouscule les professionnels du secteur portuaire. La seule réserve que je formulerais à son égard tient à son champ d’analyse.

Ce document fait parfois un amalgame entre les problèmes généraux et ceux particuliers relatifs aux conteneurs. Ainsi, quand il aborde la question de la gouvernance des ports, il ne traite que les cas de Marseille et du Havre. Les autres ports ont aussi un rôle à jouer dans le concert national. Ce document prend en compte uniquement les trafics de conteneurs sans analyser véritablement les autres courants que sont les pondéreux, les vracs liquides et les marchandises diverses. Tous les ports ont un rôle à jouer dans l’économie nationale, il est important de ne pas en oublier et de prendre en considération tous les flux qui transitent dans ces établissements."

JMM: Plusieurs chapitres rythment le rapport: les performances médiocres des ports, la réforme de la manutention, les dessertes locales et la gouvernance des ports. Attachons-nous d’abord à la performance des ports ou plutôt, comme le qualifie la Cour des comptes, la "sous performance des ports".

Pensez-vous véritablement que ce secteur soit véritablement à la traîne par rapport à leurs concurrents étrangers?

B.V.: "Le constat dressé par la Cour sur les terminaux à conteneurs montre notre retard en terme de parts de marché par rapport à nos concurrents européens. Un des volets de ce décalage vient certainement du manque d’inves-tissements. Nos ports ont peu investi au cours des vingt dernières années contrairement à nos concurrents européens. Ce retard est en train de se combler. Port 2000, au Havre, a été inauguré, certes avec six ans de retard. Quant à Fos 2 XL, à Marseille, sa réalisation est en cours même si ce terminal sera opérationnel avec un peu de retard.

Un autre élément de cette contre-performance, selon le rapport, tient à la dualité de commandement entre les grutiers et les dockers. Ce constat est réaliste, mais obère des points importants. De nombreuses choses fonctionnent parfaitement dans les ports français et la Cour semble les ignorer.

Ces deux paramètres ont amené la Cour des comptes à recommander une meilleure clarification entre le privé et le public. C’est un élément essentiel, au même titre que la desserte terrestre et les investissements. À ce propos, l’approche menée par les pouvoirs publics d’une gestion port par port des problèmes me semble la plus adéquate pour trouver des solutions."

JMM: Le second point abordé dans le rapport touche à la réforme de la manutention. La Cour revient, six ans après, sur ce dossier et s’inquiète de son inachèvement. Êtes-vous d’accord avec ce pessimisme et pensez-vous que le rapprochement des conventions collectives des dockers et de l’Upaccim pour un commandement unique étendu à tous les ports soit une solution?

B.V.: "Globalement, la réforme de 1992 a largement porté ses fruits. Nous avons fait beaucoup de progrès. Je regrette que ce rapport focalise son attention sur les terminaux à conteneurs, qui souffrent d’une performance insuffisante. La Cour dresse un bilan financier de cette réforme. Elle oublie que dans certains ports et sur d’autres créneaux d’activité, la manutention fonctionne beaucoup mieux depuis cette réforme.

Je crois aussi à la démarche poussée par l’Unim de travailler sur la professionnalisation de la manutention. Ce point est une des clés de la réussite de cette réforme.

Quant aux recommandations que la Cour propose, à savoir notamment le rapprochement des deux conventions collectives de l’Upaccim et de la manutention, elle me paraît un peu prématurée. Avant d’entreprendre un tel travail, il faudrait démontrer comment ce rapprochement serait de nature à rendre plus productif l’exploitation des terminaux. Nos deux textes n’ont pas la même origine. La convention de la manutention date de 1992, celle de l’Upaccim de 1947 avec des adaptations. Avant de nous attacher à réunir les deux conventions, nous devons, à l’Upaccim, moderniser notre texte. En effet, avec la décentralisation, les gestionnaires des ports vont changer de visage. Nous devons adapter notre texte au droit social pour que chaque gestionnaire évolue dans des règles équitables."

JMM: Troisième volet de ce document, la desserte terrestre. Encore une fois, la Cour pose un regard critique sur l’insuffisance du report modal de la route vers les modes alternatifs que sont le fer et le fleuve. Quelles actions doivent être menées rapidement?

B.V.: "Avant de voir l’avenir, il convient de regarder avec attention les évolutions, notamment au Havre et à Marseille-Fos, des modes alternatifs. La Cour reconnaît implicitement une progression des trafics fluviaux dans les ports.

Ainsi, au Havre, le fleuve est passé de 0,6 % en 1995 à 5,1 % en 2004. Ces chiffres témoignent qu’à partir du moment où une infrastructure se combine avec une gestion nouvelle, le dynamisme est au rendez-vous. Dès lors que cette dynamique a été lancée, les ports ont su l’accompagner et en tirer profit.

Néanmoins, cette dynamique du fluvial voit ses limites avec le manque de connexion du réseau fluvial au reste de l’Europe.

Enfin, sur le fluvial toujours, il est un handicap qui tend à se résorber: la manutention. Les opérateurs ont d’ores et déjà entrepris des efforts pour adapter les outils aux besoins, mais d’autres actions doivent être menées pour améliorer ce service."

JMM: Le ferroviaire est aussi abordé largement dans ce rapport. La Cour regrette ses faibles performances dans les ports. Sur quelle corde faut-il tirer pour que le fer augmente dans les pré- et post-acheminements?

B.V.: "Le ferroviaire a, en effet, beaucoup perdu de trafic ces dernières années. La situation est inquiétante, d’autant plus qu’au niveau européen, les ports français sont écartés des corridors de massification. Nous devons faire entendre notre voix pour montrer que les ports sont générateurs de fret ferroviaire et connectés au Monde.

Le second handicap du fer tient à la période qu’il vit actuellement. La libéralisation est entrée en vigueur en Europe, sans être pour autant opérationnelle. Nous vivons une période charnière, car l’offre de service de demain n’est pas encore en place et celle d’hier est déstabilisée par le contexte réglementaire. En Europe, notamment en Allemagne et au Benelux, la transition vers la libéralisation est plus avancée."

JMM: Toujours à propos de ce chapitre des dessertes terrestres, la Cour aborde la question de la route sous l’angle du passage au 44 t pour les pré-acheminements portuaires dans un rayon de 100 km. Pensez-vous que cette mesure profite réellement aux ports français?

B.V.: "Le 44 t, à savoir l’autorisation pour les camions de rouler à 44 t de PTRA (poids total roulant autorisé), quand ils sont à destination d’un port dans un rayon de 150 km, est un élément important. Cette mesure doit permettre le développement de filières intermodales et pas seulement pour les conteneurs. Le 44 t s’adresse surtout aux trafics de l’intérieur qui partent vers les ports étrangers. Cette autorisation de rouler avec plus de charges doit permettre de ramener des trafics dans les ports français."

JMM: Dans le cadre du 44 t, la Cour aborde la question des autoroutes de la mer et préconise plusieurs recommandations, dont l’indication claire par l’État d’un port prioritaire. Quelles sont d’après vous les conditions de réussite des autoroutes de la mer et l’intervention des ports sur ce sujet?

B.V.: "Dans son Livre blanc, la Commission rappelle que le report modal ne peut se faire autoritairement. En l’espèce, ces autoroutes de la mer ne pourront réussir qu’à la condition que nous donnions du temps au temps pour que les opérateurs modifient leurs logistiques. De plus, ces autoroutes doivent être initiées par des sociétés dont l’assise financière est suffisamment solide.

Quant aux autorités portuaires, elles ont un rôle à jouer dans la mise en place de ces lignes. Elles doivent accompagner l’opérateur en offrant des tarifs compétitifs et des équipements adaptés. Les ports et la communauté portuaire sont aussi tenus de travailler sur les prestations comme le pilotage, le remorquage et le lamanage. Elles sont essentielles pour les trafics de short sea."

JMM: Le dernier volet de ce rapport touche à la gouvernance des ports. Un sujet qui refait surface régulièrement. Dans ce contexte, pensez-vous que la loi de 1965 doit subir un toilettage en profondeur?

B.V.: "La question de la gouvernance des ports est complexe. Ce point n’a pas été abordé dans nos réunions de l’Upaccim, depuis mon arrivée, et je souhaite donc m’exprimer en mon nom plutôt qu’au titre de ma fonction. Il faut combiner deux objectifs, parfois difficiles à concilier: d’une part, les grands ports sont un outil pour l’économie nationale et européenne, et, d’autre part, la capacité d’initiative locale. La loi de 1965 est bâtie en tenant compte de ces deux objectifs. Il est donc nécessaire de trouver un équilibre qui les respecte. Dans les pays d’Europe du Nord, dans une tradition hanséatique, un tissu local de décideurs influe sur le port. Il conviendrait de calquer ce modèle sur nos ports."

JMM: Vous avez pris vos fonctions de délégué général de l’Upaccim en juillet. L’importance de l’Europe dans la politique portuaire est indéniable. Vos principaux dossiers sont surtout européens?

B.V.: "Les questions européennes sont importantes à l’Upaccim, mais sans perdre de vue que nous conservons des tâches au niveau national.

L’Upaccim demeure l’interlocuteur des pouvoirs publics sur les préoccupations portuaires, un partenaire social dans la gestion de la convention collective et le représentant de la France à l’Espo.

Au niveau européen, nous avons besoin d’être plus présents et de mieux anticiper pour que notre position soit défendue. À ce propos, nous allons d’ores et déjà travailler sur la politique portuaire. Le commissaire européen s’est donné un an de réflexion avant de relancer une réforme sur les services portuaires. Dans ce dossier, notre position est de défendre une meilleure prise en compte de ce qui relève de l’intérêt général, au sens européen du terme. Entre la vision des nord européens, très libérale, et celle des pays d’Europe du Sud, plus attachée à faire reconnaître le champ de ce qui relève de l’intérêt économique général, notre position est plus proche de cette seconde voie.

Cette préoccupation est transversale, elle recouvre les problèmes de financement, d’investissement et des missions régaliennes.

Enfin, au niveau national, nous nous attachons à moderniser le dialogue social avec nos partenaires sociaux."

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