Le rachat de P&O Nedlloyd a déstabilisé l’offre de transport

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Depuis fin 2002/début 2003, P&O Nedlloyd (P&O N) et Columbus (filiale de Hamburg Süd) avaient rejoint le Vessel Sharing Agreement (VSA) qui unissait depuis février 1998, CMA CGM, Marfret et Contship. Devenu ainsi hebdomaire, ce service reliait le Sud et Nord Europe à l’Océanie via Panama; le retour se faisant par Singapour, puis Suez. Certes P&O N n’avait pas de "droit" de trafic sur le VSA car n’ayant jamais desservi les îles françaises en direct, mais la présence de ses trois porte-conteneurs arrangeait tout le monde. Cet accord prévoyait également que CMA CGM et Marfret disposent d’espace sur le service de P&O Nedlloyd/ Constship entre l’Europe et l’Australie/Nouvelle-Zélande. Bref, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, d’autant que les taux de frets étaient élevés.

À la suite du rachat de P&O N par Mærsk, la Commission européenne conditionnait son autorisation, en fin juillet 2005, au retrait de P&O N d’un certain nombre de conférences et autres consortia. Un jour plus tard, Maersk précisait que sa filiale se retirait de tous les accords dont elle ne faisait pas partie. L’avenir du VSA semblait compromis, comme celui de la desserte de l’Australie/Nouvelle-Zélande.

En novembre, CMA CGM annonçait qu’à partir de février 2006, le Pacifique Sud français serait desservi par un VSA bimensuel exploitant six navires au lieu de 12, de 2 000 à 2 500 EVP géométriques. Y sont associés Marfret, l’ami de toujours, avec le Provence et Contship, filiale d’Hapag-Lloyd, avec les Canberra- et Sydney-Express. La rotation se limite à l’Europe du Nord: Tilbury, Rotterdam, Dunkerque, Le Havre, New York, Norfolk, Savannah, Manzanillo (canal de Panama) Papeete (28 jours après Le Havre), Nouméa (35 jours), Brisbane, Sydney, Auckland, retour Panama, Manzanillo, Savannah, Philadelphie et Tilbury. Pour sa part, CMA CGM exploite les – La Tour, – Manet et – Matisse.

De taille moyenne, ces navires ont dû limiter leur capacité d’emport du fait du faible tirant d’eau de Papeete, premier port touché à destination. Pour éviter de "racler" le corail, une centaine de boîtes sont "perdues". Compte tenu du niveau des taux de fret (entre 2 300 et 4 350 € + BAF/CAF), cela fait un peu grincer des dents. Aussi n’est-il pas surprenant que ces compagnies soient des chauds partisans de l’approfondissement de la passe de Papeete; au moins dans le discours. En effet, faciliter l’arrivée de plus grosses unités, sans même parler des 4 000 EVP dont rêve la place portuaire polynésienne, ne revient-il à faciliter l’arrivée de la concurrence? Et elle n’a pas eu besoin d’invitation…

MSC et Mærsk s’installent

Contrairement à Tahiti, il est assez facile de desservir la Nouvelle-Calédonie depuis l’Australie ou la Nouvelle-Zélande. Pourtant dans les deux îles, en mai 2003 déjà , il était vivement question de l’arrivée prochaine de MSC; compagnie qui connaît bien les us et coutumes de la France d’outre-mer, au moins celle de La Réunion.

Le 2e transporteur conteneurisé mondial a donc mis trois ans à se décider à desservir la Nouvelle-Calédonie, uniquement: en avril dernier, il annonçait l’ouverture de sa propre agence à Nouméa, dirigée par Étienne Snijders. Via un transbordement à Sydney, l’affrété MSC-Calédonien de 600 EVP devait décharger les premières boîtes venues d’Europe ou d’ailleurs, le 22 mai. Le 19 mai, l’Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités (USTKE) menaçait d’une grève générale, bloquait le port autonome, en l’entourant d’un mur de conteneurs en double hauteur, et contrôlait ses accès pour empêcher l’accostage du MSC-Calédonien (voir p. 24). Le port était finalement libéré le 8 juin par environ 130 gendarmes mobiles et 60 policiers. Fin août, il était toujours sous la protection des forces de l’ordre. Principalement orientée contre MSC, l’ire de l’USTKE s’adressait également à Mærsk, mais dans une bien moindre mesure. En effet, le Maersk-Asia-Decimo (500 EVP; 10 000 tpl) devait réaliser sa première escale à Nouméa le 24 mai. Il l’effectua le 10 juin.

Interrogé par la Shipping Gazette de Nouvelle-Zélande du 27 mai, Pierre Chauvat, porte-parole de l’USTKE expliquait: "I will jeopardise all the established and original shipping companies coming into New Caledonia – PDL and Sofrana could be badly hurt. The volumes of freight and containers are so small, we cannot have many shipping companies calling New-Caledonia. Because Mærsk and MSC are dropping prices of freight, therefore PDL and Sofrana will no longer be competitive… They will put the prices up again once they are the only shipping companies to call New-Caledonia. […]." Notons que PDL est un opérateur local du groupe Bill Ravel, manutentionné par Manutrans, propriété de Louis Kotra Uregei, lui-même membre fondateur de l’USTKE. Basée en dehors de la Nouvelle-Calédonie, Sofrana Shipping appartient au groupe de Didier Leroux, l’actuel ministre de l’Économie du gouvernement néo-calédonien.

Le service Mærsk sur Nouméa est en fait une extension du Fiji Feeder qui tourne, depuis plusieurs années, entre Auckland, Tauranga d’un côté et Suva, Latoka, de l’autre. S’arrêter à Nouméa, un samedi sur deux pour quelques heures et y décharger quelques boîtes ne devrait pas déséquilibrer fondamentalement le marché. En tout cas, pas celui en provenance d’Europe. En effet, selon le site internet de Mærsk, une boîte chargée au Havre met entre 42 et 50 jours pour arriver à Nouméa après deux transbordements; l’un à Singapour et l’autre à Auckland. Même si le taux doit être en rapport avec la qualité de service, les importateurs néo-calédoniens disposent d’autres solutions. Cela n’explique pas finalement la relative neutralité dont bénéficie Mærsk dans les dernières prises de parole de l’USTKE. Celle-ci n’a pas été suivie, tant s’en faut, par les autres syndicats de salariés, ni même pas le bureau politique du FLNKS. Difficile d’avoir raison contre tous.

Rien n’est réglé sur le fond

Pour tenter de sortir de la crise, un expert est venu de Paris, jouer les messieurs bons offices: Yves Gauthier, ancien directeur général du Port autonome de Bordeaux et membre du Conseil général des Ponts et Chaussées. Aux termes de plusieurs jours de consultations, un accord de principe est trouvé dont ni l’USTKE, ni MSC France ne souhaite parler. Le même syndicat souhaite également discuter avec un représentant direct de Mærsk.

Les propositions du ministre chargé des Transports: créer un BCMO

"Le problème vient de ce que les acconiers, dans le fonctionnement actuel du port, sont directement liés aux compagnies maritimes", explique Gérald Cortot, ministre chargé des Transports dans le quotidien Les Nouvelles Calédoniennes du 11 juillet dernier. "Si l’une d’entre elles est mise en difficulté, un acconier sera en difficulté. On peut avoir à redire sur la forme de l’action de l’USTKE mais on ne peut pas condamner des gens qui ont un vrai souci sur le fonctionnement du port."

Il reconnaît que la venue de MSC et Maersk et "bientôt Cosco" peut déstabiliser des compagnies régionales déjà en difficulté parce qu’elles affrètent des navires dont les taux d’affrètement ont flambé. D’où l’idée du ministre: que ces compagnies disposent d’espaces à bord des navires des grands transporteurs et cessent d’affréter. Faut-il rappeler qu’elles avaient déjà cessé d’être propriétaires de navire pour réduire les coûts? D’autre part, elles opèrent des navires polyvalents capables de tout transporter, ou presque, s’adaptant ainsi à la diversité des demandes de transport.

Poursuivant sa réflexion, Gérald Cortot souligne que "ce qui intéresse la Calédonie, ce n’est pas de savoir quel bateau transporte les conteneurs, mais d’avoir du fret moins cher". D’autant que les compagnies régionales n’y ont pas leur siège social alors que les acconiers, si.

Pour dissocier au moins partiellement les cinq acconiers de leurs clients, armateurs, le ministre propose donc une mise en commun des moyens lourds, pour commencer. Le Port autonome serait prêt à participer à cette mutualisation. Il propose également une sorte de mutualisation des moyens humains. Chaque acconier garde son encadrement, mais fait appel à un volant de personnel en commun dans le cadre d’un service partagé en volumes de travail définis. Tout cela devrait permettre d’abaisser les coûts de l’acconage. Pour bien se faire comprendre des acconiers, il rappelle également que leurs concessions arrivent à leur terme en 2013.

La perspective d’un retour d’un bureau central de la main-d’oeuvre docker (BCMO) devrait émouvoir, même si l’environnement socio-économique calédonien est particulier; d’autant plus particulier que les acconiers ristournent au moins 15 % du tarif de déchargement, voire 40 % selon certaines sources portuaires (lire p. 29). Une étude détaillée sur le fonctionnement réel et les enjeux économiques de la manutention à Nouméa pourrait aider à l’analyse. Mais ici comme dans les autres îles françaises, la paix sociale n’a pas de prix.

CMA CGM: 50 % du marché Europe/Nouvelle-Calédonie

En chiffres ronds, sur les 15 000 EVP qui, en provenance d’Europe, ont été déchargés à Nouméa en 2005, 5 000 avaient été transportés par CMA CGM, 3 000 par la Bank Line, 2 500 EVP par Marfret et autant par Contship. La part de marché de Seatrade est estimée à 2 000 EVP. À l’export, vers l’Europe, la même source estime le marché total à 4 370 EVP: 2 750 pour CMA CGM, 1 200 pour la Bank Line, 340 pour Contship et 80 pour Marfret.

Pour les deux premiers, le principal client à l’export est la SLN/Eramet.

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