Et si le dock flottant du port du Havre retrouvait une seconde jeunesse? L’idée est dans l’air du temps, bien que rien ne soit réellement arrêté aujourd’hui. Commandé par Raymond Barre et inauguré par Pierre Mauroy, cet équipement reste désert depuis des mois. En fait, depuis la fin de la réparation navale avec la liquidation judiciaire, fin 2005, de la Soreni (Société de réparation navale et industrielle), structure née de la volonté d’une douzaine d’industriels locaux. Ils souhaitaient pérenniser au Havre une activité de réparation; ce qui est parfaitement légitime dans un grand port de commerce. L’aventure a tourné court.
VIABLE OU NON?
Dock vide d’un côté, besoins nouveaux de l’autre. À priori, l’équation paraît d’une simplicité enfantine. Mais les choses se compliquent en regardant les aspects économiques. Selon Jean-Marc Lacave, le directeur général du Port autonome du Havre (PAH), "la grande réparation navale n’est financièrement pas viable au Havre". D’où la mise en vente, en début d’année, du dock flottant. Jusqu’à ce qu’intervienne le feuilleton du Clemenceau. Cette affaire-là a remis au goût du jour la nécessité pour l’Europe de se doter d’une filière de déconstruction des navires.
Le Clemenceau a placé le dock flottant du Havre dans la lumière. Subitement, l’outil promis à la vente est devenu l’objet de toutes les attentions. À la mi-avril 2006, le ministère des Transports et de la Mer a demandé au port de surseoir à la vente. "Il nous a été demandé d’arrêter la vente pour voir si ce dock pourrait servir en France au désamiantage ou à la déconstruction de navires", souligne à l’époque Jean-Marc Lacave. Depuis, le dock est dans les mains des services des Domaines qui attend les conclusions d’une étude interministérielle. Elle dira si, oui ou non, une telle filière est économiquement viable sur le territoire national.
Depuis la mise entre parenthèses de la vente du dock et le retour en France du Clemenceau, toutes les opinions s’expriment sur le sujet. Pour la direction du port autonome, prudente, "la question de l’emploi doit être prise en considération". Selon Jean-Louis Jegaden, ancien leader syndical des ACH et aujourd’hui membre du conseil d’administration du PAH en tant que conseiller général communiste du Havre, "plusieurs centaines d’emplois" pourraient être générées par le lancement d’une filière professionnelle. Avec tout ce que cela suppose en matière de formation d’une main d’œuvre qualifiée. Les industriels, comme Isotherma, société d’Harfleur reconnue par la commission d’enquête parlementaire sur l’amiante comme garantie de sérieux et de qualité, est sur les rangs et verrait d’un bon œil la création de cette filière.
La CGT est elle aussi très favorable à cette activité. "À condition que les moyens y soient", résume Patrick Deshayes, le secrétaire général de la CGT du PAH. L’Association de défense des victimes de l’amiante (Adeva) plaide pour la constitution d’une filière professionnelle et qualifiée. Tout comme l’association écologiste Robin des Bois, qui souligne que le dock constitue une opportunité à saisir pour déconstruire "les 700 ou 800 navires civils qui attendent". "Sans compter les pétroliers à simple coque qui doivent être retirés des flottes", ajoute la CGT. Le syndicat estime également qu’il est nécessaire, aujourd’hui, qu’à l’image des constructeurs automobiles, les armateurs prévoient, dès la construction de nouveaux navires, leur fin de vie.
"PAS DE DÉCISION DOCTRINAIRE"
Du côté de la ville du Havre, la prudence est de mise. "Le dossier n’est pas mûr, indique le maire UMP, Antoine Rufenacht. Ni les conséquences ni les contraintes de cette implantation ne sont connues. Ce qui ne permet pas de s’exprimer très précisément sur le sujet. Il est par contre intéressant d’étudier tout projet susceptible de créer des emplois dans l’agglomération." Pour d’autres, comme Marc Migraine (UDF), ce projet est "une aberration".
Reste une question: si l’État décide de doter la France d’une filière de déconstruction des navires, le port du Havre est-il le mieux placé pour l’accueillir? Comme le rappelle Jacky Bonnemains, le porte-parole de Robin des Bois, "le dock est flottant et mobile". Lui plaide pour une implantation à Cherbourg. "Il faudra que nous pesions le pour et le contre, explique Jean-Marc Lacave. Nous devrons affiner la balance des avantages et des inconvénients. La décision ne doit pas être doctrinaire; elle ne doit pas être prise sur un coup de cœur ou sur une impulsion. Elle doit être réfléchie. En matière de réparation navale, nous avons les formes 4, 5 et 6 qui permettent de réaliser des petites interventions."