DCN a présenté ce passage du virtuel à la réalité du bâtiment, en deux phases, sur son site de Lorient: le 29 juin pour la conception et le 12 juillet lors de la mise à flot de la frégate antiaérienne Chevalier-Paul du programme franco-italien "Horizon", à l’issue des premiers essais à la mer de sa jumelle Forbin.
DÉMARCHE COMMUNE
La réalisation d’un bâtiment forme un tout. Toutes les compétences doivent être réunies pour en débattre, mais l’architecte naval pratique l’art du compromis en prenant en compte divers facteurs liés aux besoins spécifiques des clients français et étrangers, même en cas de commande commune. En France, tout matériel militaire s’intègre dans un "système de forces" ou grande mission interarmées, alliant cohérence opérationnelle d’ensemble et complémentarité des systèmes d’armes. Ainsi, une frégate entre dans celui de la "maîtrise du milieu aéromaritime". Au départ, l’étude de faisabilité doit correspondre à une offre budgétaire. Ensuite, l’avant-projet doit cadrer avec une offre ferme, qui débouche sur un contrat. Commence alors le développement, suivi de la construction et des essais du bâtiment. Actuellement, la corvette de type Gowind et les futurs sous-marins à propulsion diesel-électrique pour l’exportation, le second porte-avions français et les sous-marins nucléaires d’attaque Barracuda sont au stade d’avant-projet. Les sous-marins à propulsion classique Scorpène pour la Malaisie et l’Inde, le sous-marin nucléaire lance-engins Le-Terrible et les frégates européennes multimissions (FREMM) sont en phase de développement. Enfin, sont en cours le suivi de la construction et les essais des sous-marins Scorpène pour le Chili et Agosta 90 B pour le Pakistan, des frégates Delta pour Singapour, des frégates franco-italiennes Horizon et des bâtiments de projection et de commandement Mistral et Tonnerre.
Le processus est commun pour le bâtiment de surface et le sous-marin, la plate-forme et son système de combat, la commande nationale et celle à l’export. Il structure le travail en commun entre DCN, ses partenaires et leurs sous-traitants. Il décrit parfaitement les données de sortie de l’ingénierie d’ensemble, qui garantit les performances (facteur de compétitivité), et permet de maîtriser les risques. L’ingénierie d’ensemble recourt à la conception assistée par ordinateur en trois dimensions, au système informatique "Etr@ve" propre à DCN, à la "réalité virtuelle" (voir encadré) et à une plate-forme d’intégration à terre, où les équipements de conduite du bâtiment sont testés avant ses essais à la mer. DCN déclare disposer de la plus importante ingénierie d’Europe dans le domaine militaire. En tant que constructeur naval, il étudie l’hydrodynamique du navire, sa masse, sa stabilité, ses emménagements, sa coque, sa structure et ses sous-systèmes de plate-forme. En outre, un bâtiment militaire présente des spécificités: aviation embarquée (avions, hélicoptères et, à terme, drones), emport de munitions, vulnérabilité et système de combat (senseurs et armes). Ce dernier représente 40 à 60 % du prix d’un bâtiment. La simulation des performances d’ensemble s’avère donc indispensable. La "réalité virtuelle" permet de prendre en compte et de valider divers critères:
• fonctions essentielles: vues extérieures en navigation ou manœuvres aviation;
• emménagement: volumes des équipements, meubles, réseaux de câblage etc.;
• facteurs humains: accessibilité des postes, zones de vision et de préhension et communications entre les opérateurs;
• maintenance: accessibilité des équipements et possibilité de les démonter.
La recherche et le développement en cours portent sur la validation de l’emménagement à l’échelle 1 avec notamment les mesures de distance et d’angles et un rendu réaliste des ambiances lumineuses. Est aussi à l’étude la simulation des opérations de maintenance par l’équipage, car les bâtiments futurs passeront davantage de temps à la mer qu’aujourd’hui. La gestion des activités aviation sur le pont d’envol d’un porte-avions, processus complexe, fait aussi l’objet d’une simulation. Enfin, la situation tactique pourra être présentée en stéréoscopie en trois dimensions."DCN consacre 60 à 70 M€ par an à l’autofinancement dans la recherche et développement", indique Georges Thiéry, directeur de DCN Lorient. Le personnel ingénieur provient de l’École polytechnique, des Écoles centrales (Lyon et Nantes), de Supaéro, de l’ENSTA et de l’ENSIETA. "Pour éviter de fabriquer un bateau d’ingénieurs", DCN recrute aussi des anciens de la Marine nationale pour connaître le point de vue de l’utilisateur. En outre, des opérationnels militaires, diplômés de l’ENSTA, viennent régulièrement à DCN Lorient au cours de la réalisation du bâtiment. De son côté, la Délégation général pour l’armement (DGA) met à disposition son bassin d’essais des carènes du Val-de-Reuil (Eure). Expert obligatoire pour les sous-marins, elle devient "partenaire privilégiée" pour les unités de surface, car DCN s’adresse aussi à d’autres organismes européens.
Comme le bâtiment du futur aura un équipage moins nombreux, il est indispensable de l’informatiser au maximum. A cet effet, il disposera d’un réseau appelé "Dinna", dont le brevet a été déposé en 2004. L’intégration aux systèmes de combat et de conduite du navire sera achevée cette année. Grâce à la technologie "Ethernet/IP", Dinna rendra accessible toutes les informations nécessaires, notamment pour la détection de pannes et la télémaintenance à partir de la terre. Il véhiculera la voix, la vidéo, les émissions radar à haute définition et les informations entre systèmes. Le réseau sera sécurisé contre les agressions informatiques selon les normes de la DGA et innervera tout le navire. La confidentialité sera garantie par la séparation physique des câbles de transmissions pour les informations publiques et celles dont le degré de secret varie.
Il n’y aura qu’à brancher les commutateurs et les changer, quand ils évolueront avec une capacité accrue. Le câblage durera autant que le navire. La fibre optique aux points d’accès à la liaison cuivre est pérenne et n’est pas sujette aux perturbations électromagnétiques. Des simulations en dégradé permettent d’évaluer les pannes de réseau, si le bâtiment subit un impact accidentel ou en opérations. Enfin, DCN validera le réseau en fonction du choix du bâtiment.
MISE À FLOT ET ESSAIS
Le 12 juillet à 17 h 30 sous un soleil radieux, la frégate antiaérienne Chevalier-Paul sort lentement de la forme de Lorient, tirée par le remorqueur Buffle et poussée par le Morbihan. Le bagad de Lorient joue et une cantatrice entonne la "Marseillaise". Ensuite, une bande magnétique diffuse "Carmina Burana" de Carl Orff. Sur le pont de la frégate pavoisée, deux comédiens en costumes d’époque rappellent les carrières des illustres marins qui ont donné leurs noms aux deux premières frégates françaises du programme "Horizon": le chevalier Paul (1597-1669), chef d’escadre en 1647, et le comte de Forbin (1656-1733), qui assume la même fonction en 1707.
Entre le 29 juin et le 11 juillet, le Forbin a effectué avec succès ses trois premières sorties à la mer (deux de 3 jours et une de 2 jours) avec, à bord, 83 hommes d’équipage et 140 personnels techniques de DCN et des fournisseurs. Il a atteint la vitesse de 30,3 nœuds, alors que le cahier des charges n’impose que 29 nœuds. Il utilise ses deux moteurs diesel (4,3 MW chacun) jusqu’à 18 nœuds et ses deux turbines à gaz (2 MW chacune) au-delà. Grâce à cette propulsion combinée, le passage du ralenti à la montée en puissance se fait en quelques secondes. Une visite du Forbin permet de constater que toutes les cabines (1, 2 ou 4 personnes) sont équipées de sanitaires personnels, une véritable révolution pour un bâtiment militaire! L’habitat représente en effet 20 % de la surface d’une frégate "Horizon", qui compte 6 000 m2 de pont, 600 locaux et 420 km de câbles. Les 6 affûts verticaux Sylver du système de défense antiaérienne PAAMS tirent 16 missiles Aster 15 (30 km de portée) et 32 Aster 30 (100 km). Le PAAMS suit plusieurs milliers de pistes (aéronefs et missiles), car une frégate "Horizon" doit protéger toute une flotte centrée sur un porte-avions ou un bâtiment de projection et de commandement. Le système SLAT, constitué notamment d’une "flûte" (tuyau) d’un km de long remplie d’hydrophones à hautes fréquences, détecte les torpilles et les leurrent en créant, plus loin, un écho comparable à celui de la frégate. Deux EDO ("embarcation de drôme opérationnelle") d’une vitesse de 30 nœuds serviront aux liaisons et opérations de sécurité et récupérations d’hommes à la mer. Les frégates "Horizon" assumeront aussi des missions de service public.
PROGRAMME "HORIZON": UNE PREMIÈRE MONDIALE
Le programme "Horizon" est le fruit de deux coopérations internationales: France et Italie pour les bâtiments; France, Grande-Bretagne et Italie pour leur système de combat PAAMS. Pour la première fois au monde, deux États participent à un programme de 3 Md€ portant sur quatre bâtiments (2 millions d’heures de travail chacun) et intégrant autant de systèmes complexes de haute technologie. A cet effet, ils ont créé Horizon SAS, société commune d’Armaris (filiale de DCN et Thales) et de Orizzonte Sistemi Navali (filiale de Fincantieri et Finmeccanica), chargée de la fourniture des bâtiments et de leur logistique associée. Leurs conception et réalisation sont confiées à DCN et Fincantieri. Les frégates seront livrées tous les quatre mois et demi pour que les équipes techniques binationales puissent aller de l’une à l’autre. Les françaises Forbin et Chevalier-Paul remplaceront les Suffren (2007) et Duquesne (2008) et les italiennes Andrea-Doria et Caio-Duilio les Ardito (2008) et Audace (2009).
Réalité virtuelle
Évaluation de l’ergonomie d’un poste de travail.
La "réalité virtuelle", domaine scientifique et technique, exploite l’informatique et des interfaces comportementales. Elle simule un univers virtuel par une représentation graphique et parfois sonore dans un espace équipé de deux caméras et d’un écran de grande dimension. L’ensemble coûte 90 000 €.
L’utilisateur, équipé de lunettes stéréoscopiques et d’un "joystick", peut se promener à l’intérieur d’un navire de commerce, d’un bâtiment militaire ou d’un bateau de plaisance et estimer l’ergonomie nécessaire à l’emplacement des équipements. Il peut aussi visualiser des manœuvres difficiles, notamment d’aviation.
Par ailleurs dans le cadre d’un mécénat avec l’entreprise d’énergie nucléaire Areva et d’autres partenaires, DCN finance l’équipe de France participant à la régate internationale de l’America’s Cup, qui se déroulera à Valence (Espagne) en 2007. A ce projet dénommé "Areva-Challenge", DCN apporte son expertise et des prestations techniques. Sur un budget total de 20 M€, la contribution d’Areva se monte à 12 M€ et celle de DCN à 2 M€.
L.S.