Port-Revel: "if you can dream it, just try it"

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En cette dernière semaine d’avril, quatre officiers de marine marchande ralliaient le parc naturel de Chambaran (Isère) où est installé depuis plus de trente ans, le centre d’entraînement sur modèles réduits de Port-Revel : deux venaient de l’Est des États-Unis ; le 3e d’outre-mer ; le dernier, de Nantes. Trois pilotes en activité depuis plusieurs années et un commandant de gros porte-conteneurs. "Full speed ahead" pour un stage "basique" de Port-Revel, filiale de Sogreah. S’adressant à des pilotes et commandants "confirmés", ce stage a pour objectif d’augmenter le niveau de sécurité en toutes circonstances par une meilleure connaissance des capacités de manœuvres et de leurs limites de tous les types de navires naviguant en eau libre et en eau peu profonde.

La première journée comme les suivantes, commence à 9 h précise par un bref rappel de quelques notions élémentaires (loi de similitude de W. Froude, effet de petit fonds, etc.) réalisé par un ou deux instructeurs, anciens pilotes français. Une heure plus tard, direction le garage à "bateaux" pour prendre en main qui le Berlin, qui le Ben-Franklin, réglé, à la demande, en mode turbine ou diesel. Les pilotes nord-américains sont très demandeurs d’exercice sur turbinard caractérisé par un "indolent factor" élevé. La composition de chaque équipage (un commandant et un homme de barre) est modifiée chaque jour par les instructeurs.

Voir manœuvrer en eaux resserrées deux gros navires est toujours instructif, surtout en l’absence de toute régulation du plan d’eau: on a beau être pilote depuis plusieurs années, cela peut mal se terminer mais au 1/25e, la présence d’un inspecteur du BEA-mer est inutile. La prise en main comporte cependant des figures imposées : suivre le canal de grande profondeur menant au golfe de Gascogne, se mettre à quai, etc.

Au fil des demi-journées, les exercices et les ordres se succèdent: "full speed ahead", "half astern", "midship", etc. Il n’est cependant pas certain que les moteurs des gros porte-conteneurs modernes apprécieraient beaucoup ces changements de régime.

Les zones de "very shallow water" (le pied de pilote est inférieur à 10 % du tirant d’eau) sont surfréquentées car c’est là que les comportements des navires sont les plus facétieux: ils virent, bien ou mal selon un point pivot incertain. Tout ou presque est possible.

Si durant toute la semaine, les stagiaires ont l’opportunité de pratiquer le canal de Manhattan; de racler les berges du canal de Suez ou de se "vautrer" sur le quai H au Sud du lac du fait d’un courant mal anticipé, ils resteront passifs et admiratifs pour la manœuvre des "seigneurs" ; celle qui doit illustrer l’effet de piston. Assis sur le pont principal, les stagiaires voient s’approcher à toute vitesse la darse où le VLCC doit s’arrêter. De chaque côté, une vingtaine de centimètres soit l’équivalent de 5 m. A la barre, un instructeur, ancien pilote, qui joue sa réputation internationale. Dans son bureau, derrière ses jumelles, le directeur du centre qui se rappelle que chaque maquette, électronique comprise, vaut environ 300 000€. Et ça marche : le navire est stoppé net par l’eau qui s’écoule difficilement de part et d’autre de la coque ainsi qu’en dessous. La fierté doit être de courte durée car avant que la vague arrière n’arrive, il faut faire machine arrière toute car le fond de la darse est proche ; une demi-longueur de navire environ.

SAN FRANCISCO, PREMIER CLIENT

Le fait que Port-Revel ait été créé à la fin des années 60 pour Esso Tankers (New Jersey) n’y est sans doute pas étranger, le premier client du centre est depuis plusieurs années la station de pilotage de San Francisco avec ses 70 pilotes. La filiale de Sogreah peut également remercier l’État de Californie qui, allant au-delà des recommandations de l’OMI, exige que ses pilotes s’entraînent sur maquette tous les cinq ans et sur simulateur, le reste du temps.

L’échouement de l’Exxon-Valdez a beaucoup ému les autorités américaines qui ont exigé la présence de remorqueurs d’escorte. Problème: personne ne connaissait précisément la manœuvre qui permettait à un remorqueur d’arrêter un VLCC chargé lancé à 16 nœuds ou au moins de modifier sensiblement sa route. Les pilotes de San Francisco ont donc demandé à Port-Revel ce qu’il lui était possible de faire. Après un certain temps de réflexion, deux maquettes télécommandées de remorqueurs furent achetées (50 000 € pièce) pour étudier avec les pilotes américains la manœuvre la plus efficace. Il est apparu que celle-ci consistait à travailler en mode indirect : le remorqueur tire l’arrière du navire en faisant un angle de 30o à 40o (voire 90o) par rapport à la route suivie.

Tôt ou tard, l’Europe exigera également la présence de remorqueurs d’escorte, estime Arthur de Graauw, directeur du centre, qui a passé commande au Canada d’une 3e unité. La Norvège y vient et deux pilotes de ce pays sont attendus dans les pré-alpes grenobloises, cette année.

Pour la première fois, également des pilotes danois viendront en France.

Port-Revel cherche des clients en dehors des États-Unis considérés comme étant déjà largement démarchés; et riches car les stages ont un prix certain.

Cependant, les besoins américains restent prépondérants car si le centre a équipé une maquette de pods, c’est bien à la demande des pilotes de San Francisco. Ces derniers en avaient assez de s’entendre dire que ne connaissant pas les capacités manœuvrières d’un paquebot équipé de ce type de motorisation/propulsion, ils n’apportaient qu’une connaissance locale du port.

Aux dernières nouvelles, la mise en point des pods et de leur électronique, est encore perfectible. La simulation rejoint la réalité.

Face à la concurrence des centres britannique et polonais, Arthur de Graauw, ingénieur hydraulicien de métier, est intarissable: "son" lac est le seul qui soit vidangé régulièrement pour remettre précisément les profondeurs aux côtes imposées par l’échelle de 1/25e. Son lac est le seul qui dispose d’un générateur de houle. Il est peut-être également le seul où les paons manifestent bruyamment leur présence au printemps.

Un VLCC de 13 m pour 18,6 t et 0,41 CV

Le recours aux maquettes pour simuler la réalité est une méthode déjà ancienne que l’on retrouve, notamment dans les bassins de carène. Le principe de base repose sur les lois de similitude de W. Froude que l’on admettra sans démonstration. Schématiquement, les maquettes de Port-Revel sont toutes au 25e. Les dimensions des maquettes sont donc 25 fois plus petites que celles des vrais navires. Par contre, leur déplacement, proportionnel au volume, est réduit d’un coefficient 15625 (1/25)3. De sorte qu’une maquette d’un VLCC de 291 000 tpl déplace 18,6 t pour 13,17 m de long (329 m réels), 2,07 m de large et 0,80 m de tirant d’eau. Elle dispose d’une puissance de propulsion de 0,41 CV (32 000 CV réels).

En d’autres termes, il s’agit de piloter avec adresse, un camion de presque 20 t. doté d’un moteur de mobylette, sur une surface glissante et sans frein.

Contes et légendes du lac

En une trentaine d’années de fonctionnement, les instructeurs de Port-Revel ont accumulé bon nombre d’anecdotes qu’ils se transmettent de génération en génération ; les pilotes ayant une forte culture orale.

On se souvient encore de ce commandant espagnol qui, à la suite d’une manœuvre audacieuse, tapait sur l’épaule de son timonier en hurlant “more full astern”.

La surprise est toujours présente lorsque, joignant le geste à la parole, un commandant indique la direction à suivre en utilisant ses mains alors qu’il est installé derrière l’homme de barre. La bonne latéralisation d’un officier de pont est rarement vérifiée, note, philosophe, un instructeur

Il reste toujours à trouver une explication politiquement correcte à la manœuvre d’un pilote scandinave qui est entré “full speed” droit dans un quai.

Il est largement conseillé de ne pas “s’agiter” à bord et surtout de rester assis pour ne pas charger les hauts, loi de similitude oblige. Dans le feu de l’action, un équipage l’oublia: 2 500 t montant de 25 m en une ou deux secondes eurent raison de la stabilité du navire. L’équipage échappa à une noyade certaine lorsque l’instructeur lui indiqua fermement que la hauteur d’eau réelle à cet endroit était de l’ordre du mètre.

Pour autant, l’entraînement sur maquette ne permet probablement pas d’étudier la survenance d’une erreur humaine, estime Arthur de Graauw, directeur du centre, car les instruments de navigation, très simplifiés, ne reflètent pas “l’usine à gaz” d’une passerelle réelle. Le simulateur électronique serait plus adapté. La question n’est cependant pas totalement close. En effet, le nouveau stage spécialisé sur les manœuvres d’urgence pourrait ouvrir des horizons sur le comportement : durant quatre jours, à la suite de pannes déclenchées à distance par l’instructeur, l’équipage doit réagir, de préférence, de façon pertinente en fonction du vent, de la houle, de la zone de navigation ; etc. Compte tenu du rapport d’échelle choisi (1/25), la loi de Froude veut que l’officier de passerelle ait cinq fois moins de temps pour réagir que sur un “vrai” navire. Cela pourrait favoriser de la survenance de comportements incontrôlés.

Témoignage

Les pilotes de Boston sont à une heure en voiture d’un centre d’entraînement sur maquettes : si l’objectif est d’obtenir une attestation de stage, ce centre est très bien; “s’il s’agit de s’entraîner réellement, je viens en France”, explique l’un d’eux. Venir à Port-Revel n’exclut pas cependant un séjour moins professionnel avant ou après le stage…

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