Journal de la Marine Marchande: Depuis juillet 2005, Mærsk Line a connu de grands bouleversements le propulsant au rang de géant de la conteneurisation avec une flotte d’une capacité supérieure à 1 MEVP, grâce, notamment, à l’intégration de P&O Nedlloyd. Comment s’est déroulé ce regroupement?
Lars Kastrup: "Le projet d’union entre Mærsk et P&O Nedlloyd a commencé à la fin du printemps 2005. Nous avons exprimé notre intention au mois de mai. L’opération est survenue en août lorsque nous avons repris le capital de P&O Nedlloyd. Ensuite nous avions un préavis de six mois à respecter avant de quitter les alliances avec lesquelles P&O Nedlloyd opérait. Ainsi, en février 2006, nous avons donc intégré l’ensemble des deux flottes des deux armements, soit environ 150 navires pour P&O Nedlloyd et 350 pour Mærsk. Dans le domaine social, l’intégration s’est déroulée dans les mêmes conditions. Au mois de décembre, nous avons évalué chaque salarié en fonction de ses compétences et de son expérience pour lui proposer un poste. Des 120 personnes de P&O Nedlloyd en France, toutes ont rejoint la nouvelle organisation. Seule une dizaine de salariés n’a pas souhaité suivre."
JMM: L’intégration de P&O Nedlloyd dans Mærsk Line vous a-t-elle permis de réaliser des économies d’échelle?
L.K.: "En France, l’union des deux armements nous a apporté un avantage de taille: une restructuration de la flotte qui nous permet d’offrir désormais plus de départs sur toutes les destinations. De plus, l’acquisition de P&O Nedlloyd nous a permis de consolider nos positions dans certains pays. Il en est ainsi en Australie et en Nouvelle-Zélande, pays dans lesquels nous étions présents, mais le réseau de P&O Nedlloyd était plus étendu."
JMM: APM Terminals et le groupe Perrigault ont signé avec le Port autonome du Havre un accord pour exploiter deux postes à quai à Port 2000. Pourquoi avoir attendu cette date?
L.K.: "La signature est intervenue en mai, mais nous discutons avec les autorités portuaires depuis plusieurs années. Nous souhaitions observer la situation sur Port 2000, notamment au niveau social. L’accord trouvé entre le consortium actuellement en place, le port et les syndicats nous est apparu comme convenable. Nous avons encore des détails à régler, mais le système de mise à disposition des grutiers pendant une période transitoire de trois ans avec, à l’issue, le choix pour ces personnels de retourner dans le giron du port ou de demeurer dans la société de manutention semble être une solution acceptable. Le temps venu, nous commencerons avec les syndicats des négociations sur les modalités pratiques d’application de l’accord."
JMM: À quelle date pensez-vous que ce terminal sera opérationnel?
L.K.: "Le Terminal de la Porte Océane (TPO) sera opérationnel en octobre 2007. Avant la signature, nous avons dû suivre une procédure administrative auprès des autorités françaises de la concurrence pour que la co-entreprise entre APM Terminals et Perrigault soit acceptée. Maintenant, nous commençons les travaux sur le terminal (revêtement et bureaux) et les commandes de matériel: portiques et cavaliers. Au total, nous investirons environ 80 M€ dans TPO en première phase."
JMM: Avec une longueur de quai de 700 m pour les deux postes et une superficie de 36 ha, à quel volume votre terminal sera-t-il saturé?
L.K.: "Les deux postes à quai ne sont pas suffisants pour aligner simultanément deux navires de type "S" avec les distances de sécurité obligatoire. Quant à la surface de 36 ha, elle nous permet déjà de recevoir un volume suffisant. Nos prévisions tablent sur une croissance continue de nos trafics. Nous ferons venir en transbordement des trafics au Havre depuis d’autres ports, notamment d’Europe du Nord. Il existe pour la place havraise un marché de transbordement, mais aussi un marché de fret local en direction de la région parisienne, du Centre et l’Est de la France. Nous estimons que ce terminal atteindra sa capacité à 600 000 EVP, avec un paramètre à prendre en compte: la proportion de conteneurs en transbordement et ceux qui sont pour le marché local."
JMM: Dans le cadre de Port 2000 la convention d’exploitation prévoit une évacuation des boîtes par des modes alternatifs. Quels sont vos projets en la matière à Port 2000?
L.K.: "Nous avons des projets tant sur le fluvial que sur le ferroviaire. Sur le fleuve, et notamment en Seine, Mærsk Line a démarré depuis peu une ligne régulière entre Le Havre, Gennevilliers et Bonneuil-sur-Marne avec deux départs par semaine. Cette ligne est opérée par Logiseine et dédiée à Mærsk Line. Sur le ferroviaire, nous n’avons pas de projets finalisés, mais il nous paraît logique de choisir cette solution pour évacuer les conteneurs. Nous souhaitons positionner la société ERS (European Rail Shuttle) en France comme nous l’avons fait dans d’autres pays européens. Cette société dispose de locomotives et pourrait réaliser sa propre traction. Nous n’avons pas encore arrêté un choix sur l’action d’ERS en France."
JMM: Parallèlement à votre implantation au Havre, vous êtes en négociation sur le terminal de Dunkerque. Qu’en est-il des autres ports français?
L.K.: "À Dunkerque, nous sommes prêts. La balle est dans les mains des autorités portuaires. À Marseille-Fos, nous avons montré notre intérêt pour des postes à quai sur Fos 2 XL sans avoir été retenu. Nous sommes présents dans ce port par notre participation dans Seayards. Nous sommes intéressés par Marseille, mais sans avoir bâti un véritable projet sur les axes de développement. Quant aux autres ports français, nous intervenons en tant que ligne régulière à Rouen, Montoir ou Brest, mais ne disposons pas suffisamment de volume pour avoir une implantation en propre."
JMM: L’activité lignes régulières de Mærsk Line comprend aussi la logistique. Vous disposez sur le port de Dunkerque de 20 000 m2 d’entrepôts. La société Lego utilisait ces bâtiments. Leur départ de Dunkerque va vous obliger à restructurer l’activité logistique sur ce port?
L.K.: "À Dunkerque, nous avons en effet vu notre client principal, Lego, partir. La société danoise a annoncé récemment la délocalisation de sa production, et par conséquent sa plateforme logistique aussi, du Danemark en Tchéquie. Nous voulons conserver nos entrepôts sur ce port et cherchons aujourd’hui de nouveaux clients. Si nous ne trouvons pas un client de la même taille que Lego nous réduirons peut-être notre surface, mais nous ne quitterons pas le port de Dunkerque.
Quant aux autres ports, et notamment Le Havre, nous n’avons pas de projet de construction de nouveaux bâtiments logistiques. Nous sommes présents dans un certain nombre de ports français au travers de nos activités de Mærsk Logistics, sans pour autant avoir un projet précis d’implantation en propre. Nous ne voulons pas spéculer sur ce marché."
JMM: Mærsk Line dispose de deux navires sous pavillon Taaf. Avec l’adoption du RIF (Registre international français) pensez-vous passer ces navires sous ce registre?
L.K.: "Nous sommes armateur français avec deux navires inscrits sous le pavillon Taaf, les Mærsk-Gironde et Mærsk-Gascogne. Le RIF n’a pas atteint les objectifs recherchés. La défiscalisation des marins n’est pas totale comme dans le registre international danois. De plus, le GIE Fiscal est mis à mal par la Commission européenne, système qui allait de pair avec le RIF. Enfin, le RIF a été inscrit comme pavillon de complaisance par des syndicats. Tant que ce registre demeurera sur cette liste, nous n’y inscrirons pas de navires. Nous le regrettons, car les marins français s’avèrent être professionnellement très compétents. Il est malheureux qu’Armateurs de France et les syndicats n’aient pas trouvé un terrain d’entente pour éviter d’inscrire ce registre en pavillon de complaisance. Il serait dommage que ce rendez-vous raté constitue une fatalité. Réalisant les enjeux, et surtout le risque de disparition du pavillon français, il est grand temps que les partenaires sociaux se retrouvent sans a priori pour développer ensemble une alternative viable."
JMM: Les chantiers Odensee, appartenant à AP Møller, votre maison mère, développe des navires de plus de 10 000 EVP. Pensez-vous que l’avenir des armements de lignes régulières soit véritablement sur les navires de grandes tailles?
L.K.: "Le développement des armements de lignes régulières ne peut se suffire de l’augmentation de la taille des navires. Nous devons aussi regarder sur l’efficacité de nos procédures. Il paraît aujourd’hui important que nous ayons une standardisation de notre industrie pour une meilleure efficacité de nos services. Nous réfléchissons à appliquer ce processus pour offrir aux clients une plus grande implication dans la chaîne logistique."
Propos recueillis par Hervé Deiss
Nouméa: Mærsk Line continue le service de P&O Nedlloyd
La situation à Nouméa évolue tous les jours. L’activité de lignes régulières sur cette île française est gérée, dans l’organisation de Mærsk Line, par la division Australie et Nouvelle-Zélande. La desserte de Nouméa depuis l’Europe par Mærsk Line se fait dans le cadre de la reprise des activités de P&O Nedlloyd. “Nous avons quitté le VSA qui liait P&O Nedlloyd et CMA CGM sur le service Tour du Monde, mais nous continuons d’assurer une desserte de cette île en transbordement. Ce marché est ouvert et la présence d’un nouvel opérateur comme Mærsk Line représente pour le marché local de nouvelles opportunités”, explique Lars Kastrup. “Les tracasseries actuelles sur le port nous dépassent, mais nous ne voulons pas faire de rupture par rapport au service proposé précédemment. L’arrivée en même temps que nous d’un autre armateur européen a quelque peu troublé les esprits localement, mais tout va rentrer prochainement dans l’ordre”, continue Lars Kastrup.