Journal de la Marine Marchande: Port 2000 a été officiellement inauguré le 30 mars. Après une année 2005 de baisse des trafics, les premiers mois de 2006 et notamment ceux d’avril et de mai laissent-ils présager d’une reprise?
Jean-Marc Lacave: "Sur les cinq premiers mois de l’année, les trafics du Port autonome du Havre baissent de 3,7 % à 30,6 Mt. Cette tendance s’explique par des phénomènes conjoncturels. En effet, les vracs secs perdent 31 % sur cette période en raison, surtout, de l’arrêt de la centrale électrique havraise d’EDF. Le même phénomène se remarque sur les granulats. Nous importions, encore l’année dernière, des produits pour la construction de Port 2000. Sur 2006, l’arrivée de ces matériaux a cessé.
Les diverses ont, quant à elles, enregistré une baisse plus douce avec la perte d’un million de tonnes soit environ 10 %. Pour revenir à la première partie de votre question, les conteneurs diminuent de 2,6 % à 841 000 EVP. En tonnage, le trafic conteneurisé perd 6,6 % à 8,1 Mt. Il ne faut pas en tirer de conclusions trop hâtives par rapport à Port 2000. Ce trafic reste sur la lancée de l’année dernière au cours de laquelle nous avons souffert de la congestion portuaire et de l’attentisme des opérateurs maritimes sur la façon dont l’organisation du travail à Port 2000 serait gérée. En outre, nous avons été victimes des travaux menés sur la porte de l’écluse François 1er qui nous empêche de recevoir, dans les terminaux intérieurs les plus grands navires."
JMM: Port 2000 aurait pu gommer ces avatars conjoncturels pour permettre une stabilité des trafics conteneurisés. Quelles actions entreprenez-vous pour voir la tendance s’inverser?
J.-M.L.: "D’abord, je vous informe que Port 2000 connaît une montée en régime conforme à nos attentes. L’ouverture de ce terminal à des opérations commerciales n’a pas réussi à résorber la congestion portuaire que Le Havre, comme les autres grands ports européens, subit depuis plusieurs mois. L’attentisme des opérateurs semble laisser place à la confiance. Quant à la porte de l’écluse François 1er, notre seule action possible est de faire pression, dans la limite de nos moyens, sur l’entreprise en charge des réparations. Nous espérons que ce problème soit résolu avant la fin de l’année."
JMM: Tous les signaux semblent donc être passés au vert. Quel bilan tirez-vous des premiers mois de Port 2000?
J.-M.L.: "Très satisfaisant. Sur les deux premiers mois, nous avons reçu 40 escales qui ont représenté un trafic de 40 000 EVP. En juin, le nombre de mouvements par escale grossit pour passer à environ 1 800 à 2 000 EVP à chaque touchée.
Les services qui déchargent sur le Terminal de France résultent d’une part d’un transfert des opérations réalisées précédemment aux terminaux de l’Europe et de l’Atlantique, d’autre part de l’arrivée de nouveaux services. Depuis le printemps, six nouvelles rotations ont inscrit Le Havre dans leurs horaires."
JMM: Au niveau commercial, Port 2000 monte en puissance. Socialement, l’accord trouvé avec les syndicats le fut au dernier moment. Le secrétaire général de la CGT au Havre, Patrick Deshayes, a réclamé, lors d’un entretien au JMM, que les promesses en matière d’emploi soient tenues. Est-ce le premier accroc?
J.-M.L.: "L’accord signé entre les manutentionnaires, la direction du port et les syndicats sur l’organisation du travail au Terminal de France (TDF) fonctionne. Le climat est bon. Le 19 juin, nous avons eu notre première réunion de la commission de suivi de l’accord entre tous les partenaires au cours de laquelle nous avons pu nous exprimer sur les différents points. Nous avons encore des réglages à peaufiner, mais globalement il n’existe pas d’oppositions entre les partenaires.
Sur l’emploi, les textes sont clairs. La communauté portuaire de Port 2000 doit réunir 1 200 emplois en trois ans. Sur l’ensemble des quais du port autonome, ce sujet est vivant et nous en discutons régulièrement. En 2003, nous avons signé un accord avec les syndicats pour calibrer le nombre d’emplois en fonction du trafic. Pour 2004, nous avions prévu 220 portiqueurs pour 2,4 MEVP. Même si le trafic a baissé l’an passé, nous n’avons pas réduit nos effectifs. Par conséquent, nous disposons du nombre suffisant de personnels pour traiter le trafic actuel d’autant plus que certains trafics ont disparu."
JMM: APM Terminals et le groupe Perrigault ont signé un accord pour disposer de deux postes à quai. Quelles sont les étapes avant que cet opérateur rejoigne celui du Terminal de France?
J.-M.L.: "La convention d’exploitation signée avec le consortium Perrigault-APM Terminals pour exploiter le Terminal de la Porte Océane (TPO) se calque sur celle de Terminal de France. L’opérateur de TPO a commandé les portiques, l’ordre de service des travaux de superstructures a été délivré. Nous pensons que commercialement, TPO devrait entrer en opération en octobre 2007. Quant à l’aspect social, nous attendons l’année prochaine pour entamer des discussions sur la gestion de ce terminal, et notamment le nombre de grutiers."
JMM: Entre TDF et TPO, ce sont quatre postes à quai, plus une option sur deux autres, qui sont concédés. Port 2000 a une capacité de 12 postes. À quelle échéance et à qui seront attribués les derniers postes?
J.-M.L.: "Nous disposons en effet de six postes supplémentaires. Avant de procéder à la recherche de nouveaux partenaires, nous devons proposer aux opérateurs actuels d’agrandir leur présence. Sur le terminal, nous avons des manutentionnaires associés à des armements. Nous cherchons pour les autres postes à conserver l’élément concurrentiel. Nous avons donc plusieurs possibilités, soit de choisir un nouveau consortium combinant un armement et un manutentionnaire soit de nous tourner vers un opérateur multi user. Nous ne voulons pas être dépendants d’une maîtrise extérieure de ce terminal. Lors du lancement de l’appel d’offres, nous avions reçu des propositions de la part de groupes mondiaux de manutention. Toutes les solutions sont ouvertes. L’ensemble des discussions que nous avons avec les différents opérateurs doit se faire en gardant à l’esprit que nous dessinons le port pour les dix prochaines années."
JMM: À Port 2000, l’aspect des dessertes terrestres est apparu comme essentiel. Ou en êtes-vous des avancées sur le ferroviaire et le fluvial?
J.-M.L.: "Le fluvial est aujourd’hui traité au Terminal de l’Europe. Les conteneurs sont prés et post acheminés par la SAITH. Cette opération fonctionne. La construction de l’écluse fluviale d’accès direct aux quais de Port 2000 doit faire l’objet d’une décision du directeur régional de l’équipement. Il travaille actuellement sur une écluse qui soit dimensionnée pour prendre en compte une croissance du trafic. En somme, le processus de décision suit son cours, même si la vitesse de cette procédure n’est pas aussi rapide que certains le souhaiteraient. En attendant, la solution de disposer de navires fluvio-côtiers est à l’étude par les opérateurs afin de contourner la digue et accéder aux quais par la mer.
Sur le ferroviaire, actuellement la SNCF arrive directement au Terminal de France et les conteneurs sont déchargés par le portique de la SAITH. Pour l’avenir, nous pensons que nous devons disposer d’une offre multiple pour permettre la massification du fret ferroviaire sur notre port. Nous souhaitons voir de nouveaux opérateurs arriver, mais nous devons aussi organiser et moderniser le parcours dans les terminaux portuaires."
JMM: Nous parlons de Port 2000 mais Le Havre ne se résume pas uniquement à ces trafics. Quels projets avez-vous sur les autres flux?
J.-M.L.: "Il nous faudrait des heures pour expliquer l’ensemble des projets sur tous nos trafics parce que bien évidemment, nous ne sommes pas mono produits. Ainsi, pour prendre quelques exemples, à Antifer, nous étudions l’implantation d’un terminal gazier permettant de réceptionner de huit à neuf millions de m3 de gaz par an. Antifer, créé il y a 30 ans est en cours de rénovation pour permettre d’accueillir les plus grands pétroliers du monde.
Sur le vrac sec, si nos trafics ont perdu du volume ces quelques mois, nous demeurons une place d’importation importante en France et en Europe. Nous avons été saisis par un opérateur électrique pour une nouvelle implantation. Celui-ci souhaiterait installer une ligne de production et aurait besoin de 20 ha dans le port pour le faire. Un projet qui devrait encore doper nos trafics de minéraux. Cette zone pourrait être située à proximité de l’actuel centre multivrac.
Enfin, dans le domaine du roulier nous avons trois axes à travailler. En premier lieu, sur le transmanche, j’ai confiance dans la pérennité de la ligne exploitée par LD Lines sur Portsmouth. Il existe un marché pour Le Havre.
Ensuite, sur le roulier au long cours pour le transport de voitures neuves et d’engins roulants de grande capacité, notre localisation à nous confère une position de choix pour Enfin, sur les "autoroutes de la mer", il est, bien entendu, que nous avons un rôle à jouer dans le développement de ces trafics grâce à notre position géographique."