Ces jours-ci, fin juin-début juillet, l'Overseas-Donna est en escale à Antifer. Ce pétrolier construit en 2000, avec plus de 330 m et un port en lourd supérieur à 300 000 ts, vient décharger au Havre ses milliers de tonnes de pétrole brut. Stocké dans les bacs de la CIM (Compagnie industrielle et maritime), le fameux "or noir" rejoindra Le Havre par un pipe-line. Avant d'être réacheminé vers les raffineries de la Seine (Total, ExxonMobil…). Quelques heures plus tard, une fois les opérations du pétrolier achevées, l'Overseas-Donna reprend la mer. Cap sur le golfe Persique pour faire le plein de ses cuves. Ainsi va le ballet régulier des pétroliers. En moyenne, une soixantaine de navires par an au cours de ces dernières années. Soit un rythme d'environ un navire par semaine avec, parfois, des pointes où deux pétroliers se retrouvent en même temps en escale dans le port d'Antifer.
Choix le 22 septembre
Trente ans qu'Antifer est ouvert. Officiellement, le port pétrolier a été mis en service le 23 juin 1976, entre deux chocs pétroliers. Trois décennies plus tard, il s'apprête à vivre de très profonds changements. Dans quelques années en effet, les pétroliers, comme l'Overseas-Donna tout récemment, ne seront plus les seuls à y faire escale. Non pas que le PAH veuille y adjoindre, au nord de la digue, un port de plaisance, comme quelques politiques locaux le souhaiteraient, mais parce qu'Antifer, très convoité, va se doter d'installations nouvelles destinées à compléter le trafic de pétrole brut. À sa manière, le port autonome prépare les décennies à venir en anticipant, dès à présent, sur le manque prévisible et annoncé de pétrole que les experts fixent sur leur calendrier aux alentours de 2040-2050. Devant cette situation, mieux vaut se préparer à une alternative énergétique. D'où l'idée d'accueillir à Antifer une activité liée au méthane.
Le dossier sera sans doute très long. Car il est ambitieux. Il a été ouvert il y a quelques mois par le conseil d'administration du port autonome qui a décidé de lancer un appel à candidatures international pour l'exploitation d'un nouveau terminal gazier à Antifer. Plusieurs candidats se sont manifestés auprès de l'autorité portuaire. À ce jour, quatre dossiers sont en course. Impossible d'en savoir plus pour le moment sur l'identité de ces quatre groupes internationaux. Il faudra attendre la fin de la période de consultation des offres et d'analyse des préprojets. Le conseil d'administration du port autonome devrait faire connaître son choix le vendredi 22 septembre.
Chose sûre: l'arrivée d'un terminal gazier devrait profondément modifier la nature du port d'Antifer puisque de nouvelles installations seront construites sur place. Conséquence directe: l'espace public devrait se restreindre au fil des années compte tenu des périmètres de sécurité nécessaires autour des stockages de ce type. À la lumière de ce projet méthanier, on comprend mieux, aujourd'hui, le refus du port autonome de voir des éoliennes géantes s'implanter sur la digue d'Antifer. Il y a cinq ans, ce projet-là avait suscité un long débat sur la cohabitation jugée délicate entre l'éolien et les activités pétrolières. En dépit d'un permis de construire obtenu par le promoteur du projet, le port avait refusé de signer une Autorisation d'occupation temporaire (AOT) à une filiale d'EDF, Siff-Energie, spécialisée dans l'énergie éolienne.
À quelle date les nouveaux terminaux méthaniers ouvriront-ils leurs portes? Compte tenu des études nécessaires, des enquêtes publiques qui devront être lancées et du délai des travaux, les futures installations devraient être opérationnelles à partir de 2010, au minimum. Au passage, cette refonte d'Antifer permet d'accueillir, outre les méthaniers, des pétroliers de plus petite taille, dopant ainsi l'activité de ce port initialement dédié au seul "or noir".
Une carte à jouer en Europe
Ce projet de terminal gazier à Antifer est un enjeu économique considérable. Le marché du gaz naturel liquéfié (GNL) est aujourd'hui en plein développement. Selon tous les experts, il constitue un atout pour l'avenir. Et autant dire que le port du Havre, qui voit déjà transiter chaque année un tiers des besoins de la France en pétrole brut, a une carte maîtresse à jouer. D'autant que les industriels locaux sont très intéressés. Dresser-Rand, par exemple, va prochainement construire, près du Parc logistique du pont de Normandie, un centre d'essai mondial de turbines et de compresseurs pour les usines de liquéfaction du gaz.
Le gaz naturel, comme le pétrole, constitue une chaîne industrielle de premier plan. Le brut importé doit être raffiné pour obtenir une très large palette de produits. Le gaz, lui, est transporté sous une forme liquide pour des questions de facilités, de capacités et de coûts. Le transport du méthane liquide est possible grâce à des méthaniers conçus comme des "bouteilles thermos" et capables de maintenir une température constante de − 163o. C'est à cette température-là que le méthane se liquéfie. Arrivé sur place, dans le pays d'importation, il faut passer à l'étape de la "regazéification": le liquide est réchauffé dans des terminaux de réception proches des zones de consommation. Il reprend alors sa forme gazeuse initiale. Là encore, outre le stockage, il faut donc prévoir des usines de "regazéification".
En 2004, quelque 110 Mt de GNL ont été produits dans le monde. Selon l'Agence internationale de l'énergie, la production devrait être de 750 Mt à l'horizon 2030. De 1990 à 2005, la croissance du GNL a été de 8 à 9 % par an. L'Europe, à elle seule, représente aujourd'hui près de 10 % de la demande dans le monde. On comprend tout l'enjeu économique pour le port du Havre et son annexe d'Antifer. Une annexe promise à un bel avenir après quelques années de doute. Conçu au début des années soixante-dix – avant le premier choc pétrolier – pour accueillir des pétroliers jusqu'à 550 000 t, le port d'Antifer n'a vu une telle coque depuis bien longtemps. Les plus gros tankers affichent aujourd'hui des poids de l'ordre de 350 000 t. Il faut dire qu'en un peu plus de trente ans, le monde a connu des chocs pétroliers à répétition. Et l'avenir, à long terme, sera assuré par le GNL. Au détriment de l'ancien "or noir"" qui va se raréfier.