Les demandes de gaz naturel et donc de méthaniers connaissent des croissances exponentielles depuis une dizaine d’années. Elles s’expliquent par la stabilité politique des pays exportateurs, ce qui facilite les investissements, et l’importance prise par la protection de l’environnement. Le Qatar, qui dispose de réserves évaluées à 25 trillions de m3, est devenu le troisième exportateur mondial fin 2005 avec 25,4 Mt/an, principalement au profit des États-Unis, et entend être le premier avec 76 Mt/an en 2011. Son gaz liquéfié est exporté par le terminal de Ras Laffan sur la côte ouest. Pour diminuer les coûts de transport, armements, affréteurs et chantiers sont donc enclins à optimiser les capacités d’emport des méthaniers en fonction des contraintes portuaires (tirant d’eau et rayon de giration). En outre, la tarification du transit du canal de Suez prend en compte le tonnage du navire et non pas son déplacement. Le choix des navires à grande capacité permet également de réduire la flotte en assurant le transit de la cargaison de gaz définie par contrat. En outre, les chantiers sont plus disponibles car le temps de construction est peu affecté par l’augmentation de la capacité des navires. Celle du plus grand méthanier en service atteint 155 000 m3 et celle des grandes unités en construction 210 000-220 000 m3.
Les aspects techniques des méthaniers présents et futurs ont été présentés par Antoine Mares de Gaztransport & Technigaz, société d’ingénierie spécialisée dans l’isolation de type membrane qu’elle propose à ses trois chantiers licenciés: Mark III, No96 et CS 1. Il existe actuellement deux types de méthaniers dont la cargaison doit être absolument maintenue à − 160 oC et à une pression proche de celle de l’atmosphère. Voici les caractéristiques de chaque grand méthanier pour une capacité proche:
• Moss Rosenberg Mark III à cuves sphériques en aluminium recouvertes de mousse isolante; capacité; 216 000 m3; longueur hors tout, 315 m; largeur, 50 m; tirant d’eau, 12 m;
• à membrane No96 avec des cales tapissées d’une isolation constituée de plusieurs couches, dont l’épaisseur varie de 270 à 530 mm selon les systèmes; capacité, 210 000 m3; longueur hors tout, 315 m; largeur, 50 m; tirant d’eau, 12 m.
Tous deux ont longtemps utilisé une propulsion dite vapeur, composée d’un assemblage chaudière-turbines et qui fonctionne indifféremment avec du fuel lourd ou les gaz évaporés de la cargaison. Toutefois, la salle des machines est très encombrante (jusqu’à 157 m de long), le rendement est faible (28 %) et les équipages formés sont de plus en plus rares. Ce mode de propulsion est peu à peu remplacé par un moteur diesel semi-rapide couplé à un moteur électrique. L’ensemble est plus compact, dégage une pollution limitée et consomme les gaz évaporés, mais seul Wärtsilä peut le construire. À partir de 2007, le moteur diesel lent au rendement élevé (45 %) sera employé, mais avec l’embarquement d’une usine de reliquéfaction pour traiter les gaz évaporés.
Le tirant d’eau d’un méthanier de 220 000 m3 sera limité à 12 m pour pouvoir entrer dans Ras Laffan. Sa construction dépendra de la disponibilité du chantier, car il faudra une forme plus large. Une étude économique sur la durée de vie du navire permet d’estimer le gain de l’armement en rapportant l’investissement initial à la cargaison livrée et en prenant en compte le rendement et la maintenance du système de propulsion sur les voyages considérés. Seul le moteur diesel lent a été retenu car, son usage fréquent sur les autres navires de commerce permet de disposer de davantage d’équipages formés. De plus, son coût est limité car la plupart des chantiers le fabriquent sous licence et le privilégie par rapport à des systèmes qu’ils ne maîtrisent pas en interne. Mais l’unité de reliquéfaction, quant à elle, est onéreuse et nécessite une puissance importante (6 MW). Au niveau du préprojet, le méthanier à membrane l’emporte sur le Moss pénalisé par les limites physiques des moyens de production des chantiers japonais Kawasaki et Mitsubishi et un surcoût important (100 000 $) lors du passage du canal de Suez. Toutefois le procédé à membrane implique une capacité d’emport moindre, en raison d’une isolation plus lourde et plus épaisse et des dimensionnements de structure plus sévères.
ATTENTION AU "SLOSHING"
En mer, le navire est soumis aux mouvements de la houle qui se répercutent sur la cargaison. Ce ballottement du gaz liquide à l’intérieur de la cuve – ou "sloshing" – est un phénomène critique pour les méthaniers à membrane. En effet, ses quatre à cinq cuves prismatiques de 50 000 m3 chacune ont des discontinuités physiques et sont dépourvues de compartiments. En conséquence, il faut estimer rigoureusement les pressions d’impact que le navire pourra endurer tout au long de sa vie.
Gaztransport & Technigaz a alors procédé à une étude des mouvements de plate-forme à partir des observations faites en Atlantique Nord pour reconstituer la houle. Des essais ont ensuite eu lieu à échelle réduite en remplaçant le gaz liquide par de l’eau. Enfin, les observations et mesures ont été comparées au réel pour renforcer les systèmes d’isolation et les conditions d’opérabilité du futur navire. Deux courbes enveloppes du spectre de houle ont été définies: l’une sur une période de retour de quarante ans et l’autre d’un an. Cette dernière correspond aux conditions de mer de travers estimées en cas d’avarie. Le banc d’essais "hexapode" permet des simulations de roulis de +/− 45 o et de tangage de +/− 20o. L’ensemble des calculs de tenue à la mer se fait au moyen du logiciel Diodore, développé par Principia R&D, le Bureau Veritas et l’Institut français du pétrole. Pour permettre le passage au réel, un navire de 138 000 m3 et ayant une grande expérience à la mer a servi de référence. Cette étude a permis à Gaztransport & Technigaz de convaincre chantiers, sociétés de classification et armements de la viabilité des méthaniers de grande capacité. Déjà, 17 navires de 210 000-220 000 m3 ont été commandés et, cette année, quelques uns de 260 000 m3!