Passer des politiques liées à la mer à une politique maritime

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A n’en pas douter, le Livre vert de la Commission européenne, intitulé"Une vision européenne des océans et des mers", pourrait bien devenir le best-sellers de l’été dans les milieux maritimes. Au travers de 58 pages, la Commission européenne a présenté son approche des différents secteurs de la mer. Divisé en cinq chapitres, ce document dresse un bilan de la politique maritime de l’Union et s’interroge sur les actions à entreprendre pour l’avenir. Il vise un objectif: "Dans le domaine maritime au sens large, ce document doit stimuler la croissance et la création d’emplois dans la ligne de l’agenda de Lisbonne et ce de manière durable, de façon à assurer la protection de l’environnement marin", a indiqué la Commission au Parlement.

Ce Livre vert est une première étape vers "un large débat sur la façon dont l’Europe gère ses mers et océans qui l’entourent", a déclaré Joe Borg, commissaire européen en charge des affaires maritimes et des pêches lors de la présentation du Livre vert devant le Parlement européen le 7 juin. "Nous attendons un débat qui ouvre sur une approche d’une politique large, parce que nous ne pouvons plus regarder l’héritage maritime de l’Europe, son économie et son environnement maritime comme séparément", a-t-il précisé.

Une ère nouvelle s’ouvre donc pour le maritime. La Commission a décidé de prendre son bâton de pèlerin et de tenir des conférences pendant plus d’un an, jusqu’au 30 juin 2007, pour recueillir les avis des professionnels et des politiques sur les sujets abordés. À l’issue de ces débats, le processus normal voudrait qu’après un Livre vert, la Commission publie un Livre blanc qui se concrétise par une directive ou un règlement. Mais cette dernière étape est encore loin. En 1997, la Commission a présenté un Livre vert sur la politique portuaire européenne. En neuf ans, commissaires, ministres et parlementaires n’ont pu se mettre d’accord sur une directive.

Le Livre vert en cinq chapitres

Le Livre vert s’ouvre sur une introduction qui présente un état des lieux de la situation des politiques en matière maritime. Le constat est un peu amer. "Depuis les temps les plus reculés, les océans ont eu une influence primordiale sur le développement de la culture, de l’identité et de l’histoire européenne", rappelle le document. L’ensemble des secteurs maritimes européens représente entre 3 % et 5 % du produit intérieur brut de l’Europe, sans qu’il soit tenu compte de la valeur des matières premières telle que le pétrole, le gaz ou le poisson. Si le maritime emporte donc une large part de l’économie, "jusqu’ici nos politiques concernant le transport maritime, l’industrie maritime, les régions côtières, la production d’énergie en mer, la pêche, le milieu marin et d’autres domaines connexes ont été fragmentés", souligne le Livre vert. Et cette fragmentation peut déboucher parfois sur des mesures contradictoires s’inquiète la Commission. "L’heure est venue de rassembler toutes ces pièces et de les refondre dans une nouvelle vision de la manière dont il convient de gérer nos relations avec les océans", continue le Livre vert.

Après ce constat sur les politiques maritimes, le chapitre introductif explique la finalité de ce document: "Ouvrir un débat sur une future politique maritime communautaire caractérisée par une approche holistique des mers et des océans." Cette politique doit, avant tout, "s’inscrire dans le droit fil de la stratégie de Lisbonne qui vise à stimuler la croissance et à l’accompagner d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi."

– Le premier chapitre du Livre vert est ensuite consacré à "la préservation de la suprématie européenne en matière de développement durable."

Dans ce chapitre, le transport maritime et les ports sont mis à l’honneur. Avec 90 % du commerce extérieur de l’Union, les ports jouent un rôle fondamental en son sein. L’ensemble des 25 pays européens représente 40 % de la flotte mondiale. Ce secteur "joue un rôle catalyseur pour les autres secteurs, en particulier les chantiers navals et l’équipement maritime". Parallèlement au transport maritime, le tourisme est générateur d’un chiffre d’affaires de 72 Md€. Outre cet aspect transport, la mer est un réservoir inépuisable pour les énergies renouvelables.

"Convenablement exploitée, elle pourrait représenter une grande partie de l’approvisionnement en électricité de nombreuses zones côtières", rappelle le Livre vert. La compétitivité économique de ces différents secteurs de l’activité maritime revêt une importance fondamentale pour l’Union. Pour la Commission, "le point fort du secteur maritime européen réside dans son esprit d’entreprise et dans sa capacité d’innovation. De nombreuses actions peuvent être entreprises afin de s’assurer que le secteur privé ait accès aux facteurs de production de qualité supérieur."

Cette partie aborde aussi l’importance de la santé du milieu marin. La protection de la ressource pour la pêche, la politique en matière de sécurité maritime et les mesures prises ou à prendre, notamment le paquet Erika 3 en discussion actuellement, doivent permettre de sauvegarder le milieu. "Pour progresser davantage, il est indispensable d’exploiter pleinement l’évaluation des risques comme instrument d’élaboration des politiques". Par ailleurs, dans le cadre du développement durable, la Commission émet l’idée de trouver rapidement un projet pour la recherche lié au milieu marin "pour pouvoir élaborer une stratégie susceptible de tirer le meilleur parti des programmes-cadres et des autres sources de financement en Europe afin d’éviter les redondances, de combler les lacunes et de créer des synergies."

En outre, l’Europe doit développer le savoir-faire maritime et promouvoir l’emploi dans ce secteur. "La pénurie actuelle, qui concerne principalement les officiers de la marine marchande ne touche pas tous les États membres dans les mêmes proportions", indique le Livre vert. De plus, les armateurs ne sont pas favorisés à offrir des rémunérations attrayantes pour les Européens, souligne le Livre vert, en raison de la concurrence avec les pays d’Asie, notamment. "Pour renverser la vapeur, il est notamment indispensable d’encourager la mobilité professionnelle entre les différents secteurs. Cela passe par la reconnaissance et la mise en œuvre du concept de clusters maritimes", continue le document de la Commission qui préconise une poursuite de l’action de l’Union en ce qui concerne la formation minimale requise, les conditions de travail et la mise en application de la réglementation.

La mobilité professionnelle et le poids de l’économie maritime devraient pouvoir être renforcés si "on parvient à établir une conception commune des liens qui unissent les différents secteurs maritimes. Cette idée a donné naissance au concept du clusters. Ce nouveau concept doit s’étendre à toutes les activités liées au maritimes même si l’économie a des répercussions bien au-delà des régions."

– Le second chapitre de ce Livre vert traite du rôle particulier des régions côtières.

Selon les estimations, près de la moitié des populations européennes vivent le long des côtes ou à proximité de celles-ci. Il s’intéresse donc à la qualité de l’environnement marin pour la vie aux bords de la mer. En outre, "s’il faut se poser la question de savoir comment protéger les océans, il faut aussi se demander comment s’en protéger", indique le document de la Commission. Parmi les risques et menaces, la Commission pense d’abord aux conséquences liées aux perturbations climatiques (comme les tempêtes ou autres phénomènes de ce genre) mais aussi à la pollution marine causée par les navires ainsi que les activités criminelles comme la piraterie, le terrorisme ou encore la contrebande. La Commission propose de faire un inventaire des politiques de réduction des risques et des interventions en la matière. Ensuite, cette partie traite du rôle clé du tourisme maritime dans les économies locales et des moyens d’en maintenir la bonne santé. Enfin, il présente une réflexion sur les meilleures façons de gérer les relations entre activités maritimes et terrestres, pour les renforcer mutuellement. Dans ce contexte, les ports jouent un rôle important. Ils doivent s’adapter à la croissance du transport maritime tout en demeurant compatible avec les exigences environnementales. "Cette problématique est liée à la question de savoir si les activités portuaires doivent se concentrer dans quelques ports très performants ou s’il convient de les répartir dans un nombre de ports plus importants afin de réduire une trop grande concentration de l’activité."

– Le chapitre suivant examine les outils de gestion des activités maritimes. La collecte d’informations et données relatives aux activités maritimes permet de mieux comprendre les utilisations concurrentes des océans. Ces informations doivent concerner tant les évolutions du milieu marin que les mouvements de navires. Le Livre vert plaide en outre pour la mise en place de dispositifs d’aménagement de l’espace dans les zones côtières selon "une approche écosystèmique définie dans la stratégie thématique pour le milieu marin". Enfin, le financement des régions côtières, bénéficiant aujourd’hui de fonds par le Feder, doit trouver d’autres sources, comme par exemple la BEI (Banque européenne d’investissement). "L’objectif serait de financer des investissements d’infrastructures destinés à faciliter l’aménagement de l’espace et la mise en œuvre de stratégies en vue du développement des pôles de compétitivité dans les régions côtières", continue le Livre vert.

– Pénultième chapitre de ce Livre vert, la gouvernance maritime plaide pour un mode de décision plus intégré, fondé sur le principe de subsidiarité. Pour ce faire, le Livre vert propose de suivre quelques grands principes: demander l’avis des scientifiques, consulter l’ensemble des parties concernées, coordonner les différents secteurs, favoriser les questions touchant à la mer et définir les objectifs qui permettront d’évaluer la performance de cette politique maritime.

Dans ce même chapitre, la Commission propose de renforcer la coordination des activités des États membres en matière d’activité des États en mer. Une proposition qui permettrait de réaliser des économies d’échelle. Dans cette partie, la Commission milite en faveur d’un plus grand rôle de la Communauté dans les instances internationales. "Il importe d’examiner l’adhésion de la Communauté à l’OMI sur la base des recommandations effectuées par la Commission à ce propos en 2002." Et de continuer sur le rôle à adapter en fonction de chaque situation entre les États membres et la Commission.

– La dernière partie de ce Livre vert est consacrée à la réappropriatoin du patrimoine maritime européen et la réaffirmation de l’identité maritime de l’Europe. Il y est examiné comment encourager les actions en rapport avec le patrimoine maritime, comment les articuler à d’autres secteurs d’activité maritime et comment l’éducation peut contribuer à développer une vision commune du rôle des océans dans la vie. Son objectif est de promouvoir une image plus favorable des métiers de la mer et de contribuer à l’amélioration des performances des secteurs d’activité maritime.

Les réactions: un accueil favorable mais prudent

Les premières réactions ne se sont pas faites attendre. L’Espo (European Seaport Organisation) considère ce Livre vert comme “tant attendu”. Le président de l’organisation, Giuliano Gallanti, s’est réjoui de la position que les ports occupent dans ce document. “Nous devons cependant analyser les propositions de ce document pour voir si elles apportent une réponse adéquate aux problèmes portuaires. La gestion spatiale des ports a été depuis longtemps conduite par des considérations écologiques. Un véritable développement durable doit prendre en compte les besoins économiques”, a continué le président de l’organisation portuaire européenne. D’autre part, l’Espo accueille favorablement l’idée d’une remise à plat des différents textes ayant trait au maritime pour identifier les contradictions qui pourraient parfois y avoir. Pour les armements européens, réunis au sein de l’Ecsa (European Community of Shipowners Association), le livre vert est accueilli favorablement en ce qu’il reconnaît l’importance du secteur. “Le livre vert reconnaît de facto la dimension international des services maritimes et de la gestion des océans et des mers. Ce principe est fondamental pour sauvegarder la compétitivité de l’industrie maritime européenne”, a souligné l’organisation des armateurs.

En France, Francis Vallat, président de l’IFM (Institut français de la mer), tient un discours à peu de choses près identique. “La notion d’approche intégrée de la mer, harmonisant des actions concernant des secteurs jusqu’ici abordés séparément, est effectivement fondamentale.” Il a bien entendu rebondit sur l’accent mis par ce document en faveur des clusters maritimes. De plus, Francis Vallat se réjouit de voir un débat s’ouvrir sur un futur pavillon européen facultatif. “Nous avons le sentiment que ce concept n’est pas éloigné de celui de flamme européenne (flottant éventuellement sous les pavillons nationaux et indiquant le respect de certains critères communs de gestion et d’exploitation) sur lequel nous sommes en cours d’étude.” Le président de l’IFM apporte un bémol à ce discours. “Nous restons prudent sur la question du statut de l’Union dans les organisations internationales traitant des questions maritimes. Une réponse uniforme ne nous semble pas vraiment appropriée.

À l’ETF (European Transport Federation), les responsables analysent le document. “Nous avons eu une première lecture dans chaque section (le syndicat européen est divisé en sections pour les ports, les marins, la pêche, etc.…). Nous avons participé à l’élaboration de ce livre vert en rappelant nos positions notamment sur les pavillons de complaisance et la possibilité pour les armements européens de naviguer sous des pavillons d’un État membre sans employer de marins européens”, nous a confié un responsable du syndicat. Le syndicat européen milite contre la discrimination faite à bord de certains navires quand des armateurs emploient à des mêmes postes des marins d’origine diverses à des régimes et des salaires différents. De plus, l’ETF alerte la Commission sur le principe des clusters maritimes. “Nous ne sommes pas opposés à étudier le maritime dans une approche intégrée mais nous ne voulons pas que la baisse du nombre d’emploi maritime soit oublié au nom d’une compensation avec les emplois à terre”, a continué le syndicaliste.

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