Près de deux mois après la mise en service de Port 2000, quel bilan tirez-vous des premières escales?
Aujourd’hui, je peux dire que le relationnel et le travail avec l’opérateur GMP [Générale de manutention portuaire, Ndlr] se passent bien. Nous restons dans l’expectative pour l’avenir car nous avons le sentiment que tout le monde s’observe encore. C’est à celui qui va faire le faux pas… Nous, le personnel du port autonome, nous restons sur notre faim: c’est-à-dire les embauches.
Pour quelles raisons?
Port 2000 a été présenté comme une croissance du trafic et des emplois. En termes d’emplois, je reste sur ma faim. C’est zéro au port autonome du Havre!
Que demandez-vous alors?
On demande des embauches, pas dans la démesure ni pour mettre demain l’entreprise dans la difficulté, mais qu’il y ait des créations de postes parce qu’aujourd’hui certains services du port, comme les ateliers de réparation et de maintenance, sont en difficultés. Dans un contexte où nous avons apporté une flexibilité importante – et sans être encore à la vitesse grand "V" à Port 2000 où les escales arrivent au compte-gouttes – nous restons vraiment maintenant sur notre réserve parce que l’on ne veut pas que l’on nous dise, si demain il y a un faux pas, que nous sommes les responsables.
Mais de quel faux pas pourrait-il s’agir?
Par exemple, que l’accord de la fédération nationale des ports et docks ne soit pas respecté. Nous nous tenons mot à mot à l’accord de la FNPD et nous ferons en sorte qu’il soit respecté. Il ne faut pas que l’un des acteurs soit à l’origine d’un faux pas. Aujourd’hui, on décèle que l’un des acteurs – en l’occurrence le port autonome – pourrait être demain à l’origine de ce faux pas. À savoir, ne pas embaucher.
L’accord sur la conduite des portiques ne comprend pas de volet embauche…
Si, indirectement, car dans l’accord de mise à disposition, il y a les portiqueurs, les renforts du port autonome puis les dockers. Or, pour renforcer du côté du PAH, il faut encore que nous ayons les équipes nécessaires. On a un problème de fond: les gens qui sont mis à disposition ne peuvent plus revenir sur les terminaux actuels autres que Port 2000, pendant les trois ans de la mise à disposition. Le port se met donc en difficultés lui-même car les renforts du PAH peuvent aller à Port 2000 et déséquilibrer les terminaux actuels. C’est une situation que nous avons dénoncée dès le départ. C’est pourquoi, aujourd’hui, notre première revendication est celle des embauches. Le port ne doit pas se mettre en difficultés pour servir ses clients qui ne sont pas concernés par Port 2000. Le port a un devoir d’équité par rapport à tous ses clients. Le nombre de portiques a augmenté et il faut bien armer ces portiques. Nous ne tomberons pas dans le piège tendu.
Aujourd’hui, vous demandez au port autonome d’embaucher et dans quel délai?
Avant la fin juin, il nous faut un signe de la direction générale du port autonome. Sans quoi nous monterons au créneau.
Comment se passe la cohabitation avec les dockers à Port 2000 à la suite des semaines tendues qui ont précédé la signature de l’accord avec les grutiers?
Bien. Ils sont issus de la même culture que nous, la CGT et la fédération des ports et docks. Tout le reste, ce ne sont que des petits réglages qui interviennent après des malentendus.
Faut-il décliner dans les autres ports français l’accord passé entre le port, les opérateurs et les grutiers?
Ce n’est pas souhaitable aujourd’hui dans la mesure où nous n’avons pas suffisamment de recul. On doit aussi continuer, au plan national, à avoir un débat sur l’expérience vécue au Havre. Ce n’est pas du Dunkerque, c’est une expérience havro-havraise avec une fin. Dans trois ans, nous ferons le bilan et nous verrons si elle doit être reconduite. Il faudra, alors, en tirer tous les enseignements et, pour cela, nous aurons bientôt une épreuve grandeur nature, avec l’arrivée des vacances. Je reste très prudent et je dis qu’un dossier comme Port 2000 a manqué d’ambitions du côté de l’emploi au port autonome. J’aurai bien voulu que le volet de l’emploi, au sein du PAH, soit traité de la même manière que le volet technique. Ça a été le parent pauvre.
Qu’est-ce qui ferait que dans trois ans vous pourriez ne pas reconduire l’accord?
Nous sommes intéressés par une reconduction de cet accord car c’est le moins mauvais. Par contre, on verra dans quel contexte économique et politique nous nous trouverons. Il faut être très prudent avec les armateurs. MSC, par exemple, est arrivé avec des grandes promesses de trafic – ce qu’il a fait dans un premier temps – mais il y a de moins en moins de "boîtes". MSC a mis en difficulté le port, l’opérateur et les travailleurs. Ce n’est pas normal et cela signifie que le port autonome doit prendre des garanties sur la durée auprès des armateurs. Il est anormal qu’un armement puisse jouer au yo-yo comme le fait MSC.
Le fait que le gouvernement ait donné son feu vert au port autonome pour l’achat de deux portiques avec une option pour un troisième, c’est une contrepartie?
Non, il n’y a pas de contrepartie. L’investissement par le port est une nécessité dans la mesure où nous sommes le parent pauvre de tous les ports. On a participé à des tas d’opérations qui ne nous concernaient pas, comme le financement de plans sociaux. Cela aurait pu être des achats de portiques. Port 2000 a coûté très cher à l’établissement et quand, aujourd’hui, j’entends les opérateurs dire qu’ils sont chez eux, cela me gêne un peu… Pour cela, il aurait fallu qu’ils paient une part plus importante des infrastructures – qu’ils peuvent d’ailleurs retirer quand ils veulent.
Ils ont pourtant une convention d’exploitation de trente-six ans…
Oui, mais aucun port ne mettra à mal un armement. Ce sont eux qui font la pluie et le beau temps. Nous sommes à la merci de quelques compagnies internationales.
Ce programme de portiques ne va pas assez loin alors?
Qu’il y ait une compétition public-privé, d’accord. Mais il ne doit pas y avoir de mixité sur un même terminal, c’est ingérable. Au Havre, le port est partagé entre deux ou trois armements et, peu à peu, on voit une situation de monopole qui est en train de se mettre en place autour de quelques compagnies qui vont étouffer les autres. En tant que service public, le port se doit de préserver un équilibre parce que derrière tout cela, il y a d’énormes risques sociaux.